Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Réforme constitutionnelle en Italie : « C’est une loi ad hoc » pour Meloni, analyse l’historienne Ludmila Acone
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En Italie, le gouvernement de la Première ministre postfasciste Giorgia Meloni, issu d’une coalition entre son parti Fratelli d’Italia, la Lega, parti d’extrême-droite, et Forza Italia, parti de droite fondé par Silvio Berlusconi, porte trois réformes d’importance pour la démocratie Italienne. Celle poussée par Forza Italia veut scinder en deux le corps des magistrats et séparer celui des procureurs de celui des juges. Celle poussée par la Lega veut élargir les compétences des régions et leur autonomie. Enfin, celle voulue par Meloni et son parti, la « mère de toutes les réformes », vise à instaurer une élection au suffrage universel direct du Premier ministre, pour une durée de cinq ans et concomitamment aux deux Chambres du Parlement, avec une prime à la majorité pour le parti vainqueur. Cette proposition, unique en son genre, serait une rupture d’importance dans le fonctionnement de la démocratie italienne, régime parlementaire dans lequel les gouvernements sont construits par coalition à l’issue des élections législatives du Sénat et de la Chambre et des députés. Adoptée par le Sénat italien le 18 juin, la réforme du « premierato », visant l’élection du Premier ministre au suffrage universel direct, n’est pas au bout de son parcours législatif. Que changerait l’adoption d’un tel texte pour la démocratie italienne ? Eclairages avec Ludmila Acone, historienne spécialiste de l’Italie.
Quels équilibres la réforme du premierato risque-t-elle de déstabiliser ?
Cette réforme risque de déstabiliser beaucoup de choses. Les coups de boutoirs contre la Constitution née de la résistance, il y en avait déjà eu, ils avaient déjà échoué. Il s’agit ici de verticaliser le pouvoir, dans un pays avec une longue tradition parlementaire, qui a été créée pour casser ce qui avait permis le fascisme : la verticalité et la centralisation. Avec cette réforme, il y a une volonté de donner une élection directe pour le Président du Conseil. C’est une loi ad hoc, ce à quoi l’Italie a déjà été habituée lors de la période Berlusconi.
Concernant la réforme de l’autonomie des régions, il n’est pas nécessaire de la faire, car en Italie il y a déjà une certaine autonomie. Depuis 1975, il y a des régions qui ont un statut spécial, elles ont un bilinguisme admis pour les actes administratifs et un biculturalisme accepté. Cela tient compte de l’évolution historique, culturelle et linguistique de ces lieux. L’Italie est un pays qui a des disparités régionales fortes, qui doivent être comblées par la Constitution, mais pas exacerbées. Il faut au pays une unité dans la diversité. Le risque de cette réforme, c’est de créer des inégalités profondes. Imaginez, c’est comme si à Lille ou à Marseille, vous n’étiez pas soignés de la même manière, que vous n’aviez pas les mêmes écoles ni les mêmes règles financières.
Dans ce cas, la centralisation du pouvoir est perçue comme une réforme autoritaire. C’est quelque chose qui fait beaucoup discuter. Il y a d’ailleurs eu des attaques jusque dans l’enceinte du Parlement, c’est symptomatique [le 12 juin, en marge de la discussion à la Chambre des députés de la réforme de l’autonomie des régions, un affrontement entre plusieurs députés de la majorité et un député du mouvement 5 étoiles (gauche) a éclaté, ce dernier a quitté l’hémicycle en fauteuil roulant, ndlr].
Cette attaque au sein du Parlement a lieu cent ans après l’affaire Matteotti [Giacomo Matteotti était un député socialiste italien assassiné par les fascistes italiens le 10 juin 1924, après avoir accusé le parti de Mussolini de fraude électorale et appelé l’invalidation des élections d’avril 1924, ndlr]. Elle a commencé par des prises à partie plus ou moins violentes dans l’hémicycle. Faire cela au moment de ce centenaire, c’est inquiétant.
Un des arguments de l’exécutif en faveur de cette réforme est de lutter contre l’instabilité. Or en France, on a eu le même nombre de gouvernements qu’en Italie depuis 1946-1948, alors que les régimes politiques sont très différents. Y a-t-il vraiment une instabilité en Italie ?
La lutte contre l’instabilité est l’argument classique lorsqu’on veut centraliser le pouvoir. La réalité de l’instabilité politique italienne est due à des désaccords politiques à des inégalités dans le territoire, qui seront aggravées par la réforme des régions. Il y a aujourd’hui une forte désunion dans le pays, et il ne faut pas oublier que l’Italie a été traversée dans son histoire récente par des crises comme celle de 1960 [crise politique italienne au cours de laquelle un gouvernement est formé avec le Mouvement social italien, héritier de Mussolini. Il tombe quelques mois plus tard après des émeutes antifascistes violemment réprimées, ndlr], ou encore celle de la « stratégie de la tension » [la stratégie de la tension est une expression désignant la période des « années de plomb » en Italie, de la fin des années 1960 aux années 1980, au cours de laquelle de nombreux attentats d’extrême-droite et d’extrême-gauche sont commis, ndlr].
L’opposition de gauche, ainsi que 180 constitutionnalistes craignent une atteinte à la séparation des pouvoirs et s’opposent à ces réformes. Quel est leur poids ? Ces réformes sont-elles populaires dans l’opinion ?
Dans l’opposition, une coalition se fait entre le Mouvement 5 Etoiles et le Partito Democratico (PD, gauche). Ils ont d’ailleurs été primés aux dernières élections municipales, qui ont eu lieu au même moment que les élections européennes. Toutes les grandes villes ont fait primer la coalition de la gauche. On voit une mobilisation qui veut se référer au Front populaire à la française, qui s’est créé au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron.
Si l’on sort du monde politique, les Italiens sont très assommés par tout ce qu’il se passe en ce moment. Nous sommes dans l’après de beaucoup de crises : le covid, la crise de l’électricité, les différentes crises internationales. C’est normal qu’après cela, certains puissent adhérer à un discours proposant la stabilité. En réalité, l’instabilité n’est pas due aux institutions, mais à la politique à la réalité complexe du pays et à son évolution. Mais le jeu n’est pas fait. Le désaveu de Meloni aux élections municipales et la poussée de participation des électeurs au niveau local très forte permettent d’en douter. Les Italiens tiennent aux institutions locales.
Le référendum peut être un recours pour valider la réforme constitutionnelle une fois adoptée par le Parlement. Peut-il être utilisé comme recours populiste au sens premier du terme pour faire adopter ces réformes ?
En Italie, le référendum d’initiative populaire a plutôt permis des avancées progressistes. Il a par exemple permis de sauver la loi sur l’avortement, ou encore sur le divorce. Ils ont souvent eu lieu sur la base d’un recueil de signatures par des partis politiques, et sont très encadrés. Il faut un que 500 000 citoyens ou cinq Conseils régionaux en fassent la demande, et il ne peut s’agir que d’abroger tout ou partie d’une loi. La campagne est ensuite très réglementée et contrôlée.
Quelle est la position du Président de la République, Sergio Mattarella, sur le sujet des réformes ?
Dans la Constitution, le rôle du Président de la République ressemble un peu à celui du Président français dans la IVe République en France, il n’a pas énormément de pouvoir sur le papier, mais il peut notamment dissoudre le Parlement et est garant de la Constitution. Il ne peut pas s’exprimer sur les votes qui ont lieu, il doit respecter les élections et a une position de grand sage, il ne peut donc pas directement donner son avis sur le sujet. C’est précisément par rapport à des risques concernant la stabilité et la Constitution que Sergio Mattarella a été reconduit pour un second mandat en 2022, ce qui n’est jamais arrivé. Ce qu’il peut faire, dans son rôle, c’est de rappeler les valeurs fondamentales de la Constitution, en choisissant lesquelles. Quand il célèbre le 25 avril [jour de commémoration de la libération du fascisme, ndlr], par exemple, c’est lui qui décide de mettre en avant cette fête. Cette fête nationale est importante. Depuis quelques années, elle est toujours attaquée par la droite, notamment par Giorgia Meloni, qui a institué une « fête des forces armées » qu’elle met en avant. Sergio Mattarella a voulu signaler l’importance de du 25 avril avec beaucoup de force, notamment ces deux dernières années. Il l’a fait sur le mode de l’alerte, tout en respectant son rôle arbitral.
Au regard des premières années de mandat de Meloni, de ses décisions concernant l’audiovisuel public, le droit à l’avortement et maintenant ces réformes constitutionnelles, peut-on dire que la démocratie italienne est solide ?
Lorsqu’il y a eu l’avènement du fascisme, l’Italie libérale était en crise et on aurait pu imaginer à l’époque qu’elle résisterait davantage. Quand des réformes viennent impacter l’attirail institutionnel, les garde-fous viennent à manquer. De crises se sont succédé, covid, électricité, crise sociale, crises internationales. On ne peut pas tout à fait exclure, dans un contexte de grave crise économique, que les choses aillent dans un sens ou dans un autre. Si la réforme du premierato passe, le régime sera plus stable, certes. Tout dépend de quelle stabilité on parle. Les Italiens auront-ils toujours la possibilité de s’informer et de s’exprimer ?
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