Iran, Israël, bande de Gaza, Liban, Syrie… Emmanuel Macron a détaillé ce lundi devant les ambassadeurs les positions françaises sur les grands enjeux internationaux en cours au Proche et au Moyen-Orient. Le président de la République a notamment pointé du doigt le rôle de Téhéran dans les différentes crises en cours dans la région. « L’Iran est aujourd’hui un risque si nous le laissons hors du cadre », estime-t-il.
Propos d’Emmanuel Macron sur l’Afrique : « Cela apparaît comme extrêmement arrogant », critique un ex-ambassadeur français au Sénégal
Par Théodore Azouze
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Des déclarations qui suscitent l’ire de plusieurs dirigeants africains. Durant sa prise de parole lors de la Conférence des ambassadeurs, ce lundi, Emmanuel Macron est revenu sur la politique étrangère de la France en Afrique, marquée ces derniers mois par le retrait de ses forces militaires au Burkina Faso, au Niger, au Mali ou plus récemment au Tchad. « On est partis parce qu’il y a eu des coups d’État, parce qu’on était là à la demande d’États souverains qui avaient demandé à la France de venir », a invoqué le chef de l’État français.
« Je crois qu’on a oublié de nous dire merci », a-t-il ajouté un peu plus tard dans son discours, au sujet de la lutte contre le terrorisme menée par l’armée française au Sahel, notamment via les opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022). « L’ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c’est une maladie non transmissible à l’homme. Je le dis pour tous les gouvernants africains qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter, aucun d’entre eux ne serait aujourd’hui avec un pays souverain si l’armée française ne s’était pas déployée dans cette région. »
Emmanuel Macron a également laissé entendre dans son discours que le départ des soldats français basés dans plusieurs pays du continent avait été négocié avec certains dirigeants. « Nous avons proposé aux chefs d’État africains de réorganiser notre présence. […] Je peux vous dire que dans quelques-uns de ces pays, on ne voulait pas enlever l’armée française ou même la réorganiser, mais on l’a assumé ensemble. C’est ça, le partenariat », a-t-il ainsi précisé.
Après cette sortie, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a réagi lundi sur le réseau social X pour contester une déclaration selon lui « totalement erronée ». « Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain », a assuré le responsable. Le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, a pour sa part jugé ce mardi qu’Emmanuel Macron « se trompe d’époque » en adoptant une telle position.
Ce nouvel épisode marque-t-il une nouvelle étape dans la dégradation des relations entre la France et plusieurs États africains ? Décryptage avec Nicolas Normand, ancien ambassadeur français au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), et auteur du « Grand Livre de l’Afrique » (ed. Eyrolles).
Lors de la Conférence des ambassadeurs, Emmanuel Macron a déclaré que « la France n’est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise. […] On a choisi de bouger en Afrique […] parce qu’il fallait bouger. » Partagez-vous ce constat ?
Le problème de cette intervention est qu’elle était extrêmement maladroite, en tout cas vis-à-vis des populations des États africains concernés. Si l’on évoquait le problème de l’ingratitude, il fallait à ce moment-là mettre en parallèle l’aide que les pays africains nous avaient apporté avec les tirailleurs sénégalais, comme l’avait fait François Hollande lorsqu’il était venu au Mali en 2013.
On ne peut pas juste apparaître comme le sauveur, cela apparaît comme extrêmement arrogant vis-à-vis des pays africains, surtout en tant qu’ancienne grande puissance coloniale. Quant au fait que le président Macron ait dit que sans intervention militaire française, certains pays africains ne seraient plus des États souverains, c’est seulement une hypothèse qui peut se discuter. On ne peut pas être affirmatif sur ce sujet ; le dire de cette manière est un peu excessif.
Sur le retrait des troupes françaises, Emmanuel Macron a aussi déclaré que celui-ci avait été négocié et qu’on avait laissé la primauté de l’énoncer aux États concernés. Ça n’est à ma connaissance vrai que dans un seul cas : celui de la Côte d’Ivoire. Pour ce qui est du Tchad et du Sénégal, il y a eu des discussions avec Jean-Marie Bockel (l’envoyé personnel du président de la République pour l’Afrique, ndlr). Il était prévu de réduire les effectifs français militaires, mais on a clairement été pris de vitesse. Sans parler du Sahel central (Mali, Niger, Burkina Faso), où là, on s’était fait expulser sans préavis.
Le président français a également affirmé que les dirigeants africains avaient « oublié de dire merci » à la France pour sa lutte contre le terrorisme au Sahel et dans la région. Des propos ensuite dénoncés par le Sénégal et le Tchad. Cette passe d’armes symbolise-t-elle une nouvelle étape dans la dégradation de la relation de la France avec les différents États africains ?
Il faut voir ça au cas par cas. Dans le Tchad, la réaction surprend un peu, car le président Déby et son père doivent à la France quasiment leur existence en tant que chef d’État. On les a sauvés des rebelles plusieurs fois, tandis que le président actuel a été intronisé en quelque sorte par Emmanuel Macron. C’est simplement par opportunisme que l’actuel dirigeant veut surfer sur l’opinion publique, qui est quand même assez anti-française. Il est aussi possible que le président Déby réagisse de cette manière en représailles en réaction à l’enquête préliminaire ouverte par la justice en France contre lui pour des soupçons de biens mal acquis.
Au Sénégal en revanche, on connaît bien le soutien populiste d’Ousmane Sonko et du président Faye. Cela étant, c’est vrai que les propos d’Emmanuel Macron ne s’appliquaient pas à ce pays, car il n’y a pas eu de contact avec M. Bockel, qui n’avait pas pu se rendre au Sénégal. Il n’y a donc pas eu de discussion ou de négociation sur la réduction de l’empreinte militaire française au sein de ses frontières. Ousmane Sonko l’a mal pris et il jette donc un peu de l’huile sur le feu…
Dans son message de contestation, Ousmane Sonko a rappelé l’importance de la mobilisation des soldats africains lors de la Seconde Guerre mondiale. Faut-il encore travailler sur cet aspect mémoriel, lié à la colonisation française en Afrique, pour amorcer de nouvelles relations ?
C’est important, car il y a une quasi-absence de ce travail sur les questions liées à la colonisation. Le cas du massacre de Thiaroye (plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais tués par les forces coloniales françaises en 1944, ndlr) est emblématique. Il a fallu attendre la fin de l’année 2024 pour que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot reconnaisse qu’il s’agissait bien d’un massacre. Mieux vaut tard que jamais, mais c’est dommage d’avoir attendu aussi longtemps pour reconnaître une grave faute de l’armée française.
Le président Macron a cependant fait un certain effort sur les questions mémorielles. Il a permis le rapatriement, bien que marginal, de certains objets d’art vers les pays africains. Il a fait un effort de réconciliation avec l’Algérie, sans grand succès, mais aussi avec le Rwanda, pour lequel cela a mieux fonctionné.
Avec le retrait des troupes militaires françaises du Sahel, Paris est-il en capacité de réinventer sa diplomatie en Afrique ? Le président de la République a notamment appelé à « regarder » l’Afrique « comme un continent d’opportunités »…
Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont chacun dénoncé ce qu’on appelle la Françafrique. Mais ils n’ont pas bien compris que la perception de ce concept n’était pas le même en Afrique que du point de vue des dirigeants français. Pour ces derniers, ce terme renvoyait à la mise en place de financements et de réseaux occultes. Mais pour les Africains, cela signifiait une sorte de néocolonialisme, une tutelle impérialiste qui ne veut pas mourir.
Pour eux, cela se traduisait par exemple par la présence de bases militaires françaises, par le franc CFA, par des leçons de conduite ou de morale qu’on ne manquait pas de faire régulièrement, une aide au développement jugée intrusive… Les pays africains avaient l’impression qu’il y avait une espèce de politique africaine tutélaire, inefficace et contraignante, qu’ils accusaient, à tort ou à raison, d’être la responsable de leurs problèmes de développement. Il faut ajouter à cela les opérations militaires françaises Serval et Barkhane, qui n’ont pas eu les résultats escomptés, puisque la situation sécuritaire s’est aggravée dans la région.
Il aurait fallu faire un diagnostic. Or, les trois derniers présidents français ne l’ont pas fait. Ils n’ont pas compris qu’il y avait des problèmes structurels dans l’Afrique francophone, qui sont liés à la faiblesse des États, avec des armées peu compétentes, des services publics qui fonctionnent mal, un territoire mal contrôlé, un système d’éducation désastreux… Il fallait traiter ces problèmes de fond, qui sont à l’origine du djihadisme et de l’insécurité. Ceci est aussi lié à la démographie : il y a une jeunesse montante très nombreuse qui n’a pas de débouchés, qui se radicalise et se rebelle contre leurs autorités puis contre leur principal partenaire, la France.
Emmanuel Macron s’est rendu au Maroc au début de l’automne. Il y a signé des accords d’investissements d’un montant de 10 milliards d’euros avec le pays. Un partenariat « d’une ambition inédite », s’est-il félicité lundi. Renouveler ce genre d’opération avec d’autres pays est-il une bonne stratégie ?
Je ne pense pas. Emmanuel Macron a d’abord tenté un effort louable de vouloir se rapprocher de l’Algérie. Celle-ci n’y a pas répondu favorablement. Donc, il est passé à l’extrême opposé, qui consiste à reconnaître la marocanité du Sahara occidental, donc de faire des concessions majeures au Maroc et d’adopter la position contraire à celle habituellement prise par le Quai d’Orsay, avec un équilibre entre Rabat et Alger. C’est bien d’avoir une bonne relation avec le Maroc, mais si c’est au prix d’une brouille très importante avec l’Algérie, c’est quand même fâcheux.
Il y a un désir constant, qui ne date pas de Macron, de développer nos relations avec l’Afrique anglophone. C’est louable, puisque actuellement, nous avons seulement 1 % de notre commerce extérieur avec cette région. […] Mais le problème de cette stratégie, c’est que cela ne doit pas se faire au détriment de la compréhension de ce qu’il se passe avec l’Afrique francophone. Or ça s’est passé comme ça ! Au Quai d’Orsay, on a souvent nommé des directeurs de la politique menée en Afrique spécialistes de la partie anglophone du continent. Résultat : on a laissé pourrir la partie francophone.
On ne peut pas négliger ce qu’il se passe au Sahel comme on l’a fait. Lorsqu’il y a eu la crise du Mali en 2012, j’étais ambassadeur au Sénégal. Je me suis bien rendu compte qu’à ce moment-là personne ne comprenait à Paris ce qu’il se produisait au Mali. Il y avait un manque de connaissances et de compétences du fait qu’on avait négligé de s’intéresser à l’Afrique francophone pendant des années.
Chine, Russie, Iran… De grandes puissances étendent peu à peu leur influence en Afrique. La France peut-elle – et doit-elle – proposer une alternative à ces ingérences sur le continent ?
Oui, mais pour prendre l’exemple de la Russie, on ne peut pas l’empêcher de faire ce qu’elle a envie de faire. D’abord, car on n’est pas sur le même terrain : Moscou fait de la propagande basée sur des mensonges, des inventions. Ils prétendent que des soldats Français extrairaient l’or du Sahel et l’enverraient dans leur pays. Ou que les militaires de l’opération Barkhane aidaient en réalité les djihadistes au lieu de les combattre… La France ne peut pas s’engager sur un terrain de mensonges et d’inventions comme celui-ci.
Or, le lecteur ou l’auditeur africain ne peut pas savoir qui a raison entre la vérité et le mensonge. Donc, il a tendance à croire ce qui rejoint le plus ses intuitions – c’est-à-dire, souvent, que l’ancienne puissance coloniale continue de piller, d’exploiter, de dominer… Le fondement de la propagande russe est basé sur cette idée de la France. Mais celle-ci est assez ancrée dans l’imaginaire populaire en Afrique, donc les Russes l’exploitent sur ce terrain propice. […] L’idée que la stabilité du Sahel est favorable à la France et à l’Europe ne leur semble pas évidente.
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