Election 2024 Democrats

Présidentielle américaine : Kamala Harris, 105 jours pour convaincre et rassembler autour de sa candidature

Propulsée en première ligne par le camp démocrate pour l’élection présidentielle, Kamala Harris devra, en trois mois, lancer une campagne permettant de faire obstacle au retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Un véritable jeu d’équilibriste pour la vice-présidente qui doit encore développer sa marque de fabrique.
Henri Clavier

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

« Je vois bien le genre de gars qu’est Donald Trump », clame Kamala Harris, avant de qualifier son nouvel adversaire de « prédateur » et « d’escroc », rappelant qu’elle avait « poursuivi des coupables en tous genres » en tant que procureure. Une façon pour la vice-présidente d’insister sur les démêlés judiciaires du candidat républicain et de lancer sa campagne en s’inscrivant dans la continuité de Joe Biden qui avait fait de l’opposition à Donald Trump la clé de sa candidature. À l’occasion de son premier discours de campagne dans le Delaware, Joe Biden a pris la parole, par téléphone, pour renouveler son soutien à la nouvelle candidate démocrate. « C’est la meilleure » a déclaré, le président des Etats-Unis, deux jours après avoir jeté l’éponge.

A une centaine de jours de l’élection présidentielle, la route est encore longue et tortueuse pour la Kamala Harris, propulsée au premier plan par le désistement de Joe Biden. Si elle n’a pas encore officiellement obtenu l’investiture du parti démocrate – qui sera accordée à l’occasion de la convention démocrate, mi-août – c’est bien Kamala Harris qui devrait affronter Donald Trump le 5 novembre. En effet, selon un sondage de l’Associated Press, 2579 délégués, sur les 1976 nécessaires, donneront leur vote à Kamala Harris. Sauf retournement de situation, Kamala Harris ira au bout. L’enjeu désormais sera de réussir à mettre en place une campagne efficace en seulement trois mois.

« Le challenge de Kamala Harris sera de monter une campagne en 105 jours, tout en restant dans la continuité de Joe Biden »

Malgré un chemin parsemé d’obstacles, Kamala Harris peut déjà se réjouir d’une levée de fonds historique. En 24 heures, la candidate démocrate a récolté 81 millions auprès des petits donateurs, un montant historique. Véritable nerf de la politique américaine, la capacité de Kamala Harris à lever des fonds lui permettra d’envisager sereinement la suite, elle qui n’avait pas pu participer à la primaire démocrate en 2020, faute de moyens. Les « gros donateurs » suivent également et portent la barre au-dessus des 100 millions. La candidate démocrate a d’ailleurs obtenu le soutien de Georges Clooney, très influent auprès des donateurs démocrates, qui avait exprimé ses doutes sur la candidature de Joe Biden.

« Le challenge de Kamala Harris sera de monter une campagne en 105 jours, tout en restant dans la continuité de Joe Biden. Et, par ailleurs, elle ne doit pas être que dans la continuité de la campagne de Biden », estime Maxime Chervaux, spécialiste de la politique et de la géographie électorale américaine, enseignant agrégé à l’Institut français de géopolitique.

L’un des principaux enjeux pour Kamala Harris sera donc d’apparaître comme la successeure légitime de Joe Biden tout en développant sa propre image afin d’être perçue comme une personnalité présidentiable. « Kamala Harris a un rôle délicat à tenir, elle doit montrer sa loyauté à Joe Biden, ne pas renier le bilan de Joe Biden mais en même temps développer une vision propre », affirme Elisa Chelle, professeure de science politique à l’université Paris-Nanterre et directrice de la revue « Politique américaine ». L’entrée en campagne de Kamala Harris doit lui permettre de faire la démonstration de la pertinence de sa candidature alors que les démocrates n’ont pas unanimement apporté leur soutien à la vice-présidente actuelle. « L’enjeu pour elle est de rassembler autour de sa candidature et s’assurer le soutien des poids lourds du camp démocrate. Pour l’instant elle ne fait pas encore l’unanimité dans son camp, le couple Clinton l’a immédiatement soutenu, c’est plus nuancé en ce qui concerne le couple Obama », rapporte Elisa Chelle.

Le choix du colistier et de l’équipe de campagne, des enjeux vitaux

Au-delà de son positionnement par rapport à Joe Biden, la candidate démocrate dispose d’un temps extrêmement restreint pour former une équipe de campagne. « Dans sa campagne pour la primaire démocrate en 2020, Kamala Harris avait eu des problèmes de staff. L’un de ses points faibles c’est qu’elle n’a pas de fidèles de longue date pour mener sa campagne, une équipe dévouée, autour d’elle depuis longtemps », pointe Maxime Chervaux. Dans cette optique, la Californienne pourrait reprendre une partie de l’infrastructure de campagne de Joe Biden. La vice-présidente a également approché David Plouffe, ancien directeur de campagne de Barack Obama en 2008, pour rejoindre son équipe. Un autre enjeu majeur sera, pour la candidate démocrate, de réussir à donner une image d’elle plus accessible, loin de l’image prudente et distante qu’elle peut renvoyer.

Enfin, Kamala Harris doit encore trouver un colistier capable de l’épauler efficacement. « Le colistier de Kamala Harris devra répondre à des attentes précises permettant de séduire l’électorat américain, notamment dans les swing states et la rust belt où se jouent les élections », rappelle Elisa Chelle. Les swing states, comme la Pennsylvanie, la Georgie, ou le Michigan déterminent généralement l’issue de l’élection, mais se jouent régulièrement à quelques dizaines de milliers de voix. « C’est un équilibre à trouver entre l’origine géographique de la personne, son poids politique, il faut que cela soit une figure qui regroupe mais sans qu’il ou elle puisse faire de l’ombre au candidat », continue Elisa Chelle.

Pour élargir sa base, Kamala Harris devrait opter pour un colistier masculin, blanc et au positionnement modéré. Selon les médias américains, Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie, Marc Kelly, sénateur de l’Arizona ou Andy Beshear, gouverneur du Kentucky, pourraient compléter la candidature de Kamala Harris.

Se positionner sur les priorités politiques des Américains

En 105 jours, la vice-présidente sortante devra insister sur les sujets clés de la campagne et développer un message fort sur les sujets clés de la campagne. « L’économie reste, de très loin, la principale priorité des Américains. A ce niveau, l’inflation est le sujet phare, même si les salaires, à l’exception des plus bas, ont plutôt bien suivi l’inflation ces derniers mois. En 2020, Kamala Harris proposait une exonération fiscale pour les locataires, la plupart des politiques sociales passent par des exonérations fiscales aux Etats-Unis », avance Maxime Chervaux. Avec une inflation de 3 % par rapport au mois de juin 2023, les Etats-Unis sont moins touchés par l’inflation que l’Europe, mais pourraient avoir du mal à contenir l’inflation sans plonger l’économie dans une récession.

Excessivement confiant depuis la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet, Donald Trump considère que Kamala Harris sera « plus facile à battre » que Joe Biden. Pourtant, Kamala Harris dispose des armes pour mettre Donald Trump en difficulté. Le milliardaire new-yorkais est particulièrement critiqué pour son bilan concernant les droits des femmes, ces nominations à la Cour suprême ont permis de remettre en cause l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit de recours à l’ivg au niveau fédéral. « Lors des dernières élections de mi-mandat, les femmes, mêmes républicaines, s’étaient assez largement positionnées en faveur d’une protection du droit à l’interruption volontaire de grossesse, notamment dans les États où des référendums sur la question étaient organisés », détaille Elisa Chelle. Un sujet sur lequel Kamala Harris s’est particulièrement investie depuis 2022. « Sur l’avortement, Kamala Harris a un message fort, qui peut marcher et peut toucher une partie des jeunes démocrates qui jusque-là pourraient être tentés de s’abstenir », abonde Maxime Chervaux.

« Pour les démocrates, il faut réussir à mobiliser autant qu’en 2020 »

La mobilisation, historique en 2020, sera également un facteur déterminant pour l’issue du scrutin. Avec 66,8 % de participation, l’électorat jeune, majoritairement démocrate, s’était mobilisé pour empêcher un second mandat de Donald Trump. Jusqu’à dimanche, Joe Biden et Donald Trump martelaient qu’il s’agissait de l’élection la plus importante de ces dernières décennies. « Pour les démocrates, il faut réussir à mobiliser autant qu’en 2020. L’effondrement de la participation des jeunes s’est ressenti en 2022 pour les démocrates. Il y a la question des indépendants aussi qu’il faudra convaincre qui vont hésiter à voter, notamment à cause des propositions sur les exonérations fiscales. En revanche, ceux qui ne votent jamais et sont éloignés de la politique sont plutôt susceptibles de choisir Donald Trump », détaille Maxime Chervaux.

Dans la même thématique

Un réfugié syrien en France célèbre la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
6min

International

Syrie : Plusieurs pays européens suspendent les demandes d’asile des réfugiés, la France « suit attentivement la situation »

Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Djihadistes : « Beaucoup d’entre eux préféreront rester en Syrie que rentrer en France »

Le régime de Bachar al-Assad est tombé en Syrie après l’offensive victorieuse, ce week-end, des rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le groupe compte dans ses rangs de nombreux djihadistes, dont quelques Français. Faut-il craindre un retour de certains d’entre eux ? Pour le spécialiste Thomas Pierret, cela n’est pas évident. En revanche, selon lui, une résurgence de Daech dans le pays est à craindre.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Syrie : de la Turquie à l’Iran, les équilibres bouleversés au Moyen-Orient après la chute du régime Assad

Après 24 ans de pouvoir, Bachar al-Assad a fui la Syrie, chassé par une offensive éclair du groupe islamiste Hayat Tahir Al-Sham. Une large partie du pays est désormais aux mains d’une coalition de rebelles, aux soutiens et intérêts divergents. De la Turquie à l’Iran, en passant par Israël, tour d’horizon des enjeux de la chute du régime Assad, qui bouleverse les équilibres régionaux.

Le

Syrie : Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur
6min

International

Syrie : « Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur »

La fuite du président syrien Bachar al-Assad, chassé par les rebelles islamistes en dépit du soutien de la Russie, rebat les cartes au Moyen-Orient. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, cette situation illustre l’affaiblissement d’une Russie incapable de maintenir ses ambitions internationales, car vampirisée par la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine.

Le