Comment vivent les Français exilés aux Etats-Unis et au Canada depuis l’élection de Donald Trump ? C’est pour « mettre des chiffres sur les impressions concrètes », que l’ancien ministre Roland Lescure, député Renaissance de la 1ère circonscription des Français établis hors de France, celle de l’Amérique du Nord, a envoyé un questionnaire aux 200.000 Français inscrits sur les listes consulaires. 9.000 ont répondu.
Il en ressort que 64,3 % des personnes disent être inquiets de la situation. 18,6 % des Français vivant aux États-Unis remettent même en cause leur expatriation, depuis l’élection de Donald Trump. Ce chiffre monte à un sur quatre, pour les chercheurs, alors qu’un Français, membre du CNRS, a été refoulé parce qu’il aurait exprimé « une opinion personnelle sur la politique menée par l’administration Trump », selon le gouvernement français.
Toujours selon les résultats de ce questionnaire, 26,1 % disent que l’état actuel des relations entre la France et les États-Unis pourrait avoir un impact sur leur activité professionnelle. 11,4 % craignent de perdre leur emploi à court terme. « Les Français d’Amérique du Nord pâtissent déjà de l’élection de Donald Trump », a ainsi affirmé ce matin, sur France Inter, Roland Lescure.
« Depuis l’élection de Donald Trump, il y a une ambiance générale aux Etats-Unis qui crée une incertitude »
Selon les sénateurs représentants les Français établis hors de France – circonscription qui ne correspond pas à un territoire particulier, à la différence des députés – que nous avons interrogés, ce sentiment est réel. Mais certains soulignent qu’il ne faut cependant pas l’exagérer.
« Depuis l’élection de Donald Trump, il y a une ambiance générale aux Etats-Unis qui crée une incertitude, une inquiétude très forte parmi nos nombreux compatriotes. Il y a un certain nombre, effectivement, qui envisagent un retour en France », confirme le sénateur PS des Français établis hors de France, Yan Chantrel. « Bien sûr, tout le monde est inquiet et se pose des questions. Beaucoup de Français sont chercheurs ou travaillent même pour les administrations », confirme sa collègue socialiste des Français établis hors de France, Hélène Conway Mouret, « les décisions sont prises avec une telle rapidité, une imprévisibilité. Il y a une fébrilité constante de vivre sous la menace de perdre son travail ou de ne pas continuer à vivre dans le pays ». On estime à environ 300.000 le nombre de Français qui y sont établis.
« En ce moment, on se méfie de tout. Ce n’est pas anodin ce qu’il se passe. Moi j’ai peur »
Une Française qui vit aux Etats-Unis, que nous avons pu contacter, raconte son état d’esprit du moment. « J’essaye de trouver un petit endroit tranquille, car je suis sur mon lieu de travail », commence-t-elle. On lui parle de Trump, elle ne reprend pas le patronyme. « Il y a des noms que je ne prononce pas… », avoue-t-elle, prudente. Il ne s’agit pourtant pas de Voldemort dans Harry Potter, mais bien des Etats-Unis d’Amérique, en 2025.
« En ce moment, on se méfie de tout. Ce n’est pas anodin ce qu’il se passe. Moi j’ai peur. Peur qu’on me pose des questions », lâche-t-elle, sous couvert d’anonymat. « On vit dans un doute sur ce qu’il peut se passer. En fait, c’est une peur de l’inconnu, sur la procédure de retour sur le territoire notamment. On vit dans une incertitude sur les conditions de retour au pays, quand on voyage. Avant, les procédures étaient claires. Là, on ne sait pas ce qu’il peut se passer ».
« Pour les chercheurs, il y a des mots-clefs qu’il ne faut plus utiliser : diversité, inclusion, trans, changement climatique », souligne le sénateur PS Yan Chantrel
Yan Chantrel souligne que « les cas les plus touchés sont nos compatriotes dans le domaine académique, universitaire, des chercheurs. Là, il y a une vraie inquiétude. Il y a des attaques contre la liberté d’expression et académique ». Au point que les premiers concernés sont sur leurs gardes. « Pour les chercheurs, il y a des mots-clefs qu’il ne faut plus utiliser : diversité, inclusion, trans, changement climatique, hésitation vaccinale, sont des mots à ne plus utiliser dans les mails, pour éviter d’être victime de coupe budgétaire. Il y a une forme d’autocensure qui se met en place. Il y a un vrai problème. Les chercheurs ne veulent plus transmettre leurs informations sur les réseaux sociaux, ne font plus de communiqués de presse », alerte le sénateur PS. Autre exemple donné par Yan Chantrel : « Il y a aussi le fait de ne pas quitter le territoire pour les étudiants qui ont des visas. Des universités américaines conseillent aux étudiants de ne pas quitter le territoire, car il n’y a pas de garantie de rentrer à nouveau ».
Au final, « il y a une insécurité juridique pour ceux qui sont présents sur le territoire. Il y a une crainte de perte de visa, qui serait soumise à une forme d’arbitrage réel », pense Yann Chantrel, qui évoque un autre signal faible : « Même ici, l’ambassade américaine a mis fin à des stages d’étudiants français qui étaient programmés ».
Dans ces conditions, certains pensent au retour. « Il nous est rapporté, via des conseillers des Français installés aux Etats-Unis, qu’il y a un nombre beaucoup plus important de personnes qui nous questionnent pour savoir comment faire un retour en France, les démarches. Soit parce que ce sera subi, soit de manière volontaire », constate Yan Chantrel. « Il y a un vent très mauvais », lance le socialiste, qui ajoute : « Il y a un climat de peur, qui est très fort, qui nous est relayé ».
« L’inquiétude est là, elle est certaine, mais je ne vais pas dire que les Français vont revenir en masse en France » souligne Sophie Briante Guillemont
Sophie Briante Guillemont, également sénatrice représentant les Français établis hors de France, tempère quelque peu l’impression des socialistes. « L’inquiétude est là, elle est certaine, mais je ne vais pas dire que les Français vont revenir en masse en France », soutient la sénatrice du groupe RDSE.
Elle remarque déjà que « l’enquête réalisée n’est pas un sondage. Roland Lescure a envoyé un questionnaire sur la liste électorale consulaire. C’est très différent d’un sondage ». Sophie Briante Guillemont souligne qu’« on a un problème pour savoir le nombre de Français vivant à l’étranger. Car on n’est pas obligé de s’inscrire sur le registre. On estime que la moitié des Français vivant à l’étranger n’y sont pas inscrits. Et si vous êtes inscrit sur le registre, vous n’êtes pas inscrit sur la liste électorale automatiquement. Il y a déperdition ». Ceux qui ont répondu sont par ailleurs « peut-être politisés », biaisant la représentativité. Reste que « ça n’empêche pas qu’il y ait des inquiétudes et que les Français le ressentent », reconnaît-elle.
« Volonté de discrétion »
Pour se faire sa propre idée, Sophie Briante Guillemont part justement ce jeudi aux Etats-Unis, pour rencontrer la communauté française de Chicago, de Houston et d’Atlanta. Pour l’heure, « les retours que j’ai, c’est que les Français vivant aux Etats-Unis sont plutôt attentistes. Ils attendent de voir comment ça va évoluer. Il y a aussi une volonté de discrétion, de ne pas s’immiscer dans la vie politique américaine », explique l’élue.
Pour la sénatrice des Français établis hors de France, tout dépend du domaine d’activité. « Ceux qui sont chercheurs ou dans des secteurs liés à la politique américaine actuelle, il y a des chances de retour plus important que pour quelqu’un qui n’est pas impacté aujourd’hui. Surtout pour les Français des Etats-Unis qui sont dans les affaires. Ils sont en train de voir quelles sont les conséquences de la politique de Donald Trump sur les droits de douane. C’est en fonction de ça, que leur jugement se déterminera », explique Sophie Briante Guillemont, mais elle ajoute :
Reste que le climat a bel et bien changé. Sophie Briante Guillemont relève un exemple, concret, qui en dit long. « Dans ses conseils aux voyageurs, le ministère des Affaires étrangères a changé ses consignes, quand on rentre sur le territoire des Etats-Unis, sur un point très précis : maintenant, on doit dire avec quel sexe vous êtes né. Et s’il est différent du sexe déclaré, visiblement, vous aurez un problème à la frontière », avance la sénatrice du groupe RDSE.
« Les Français ne sont pas impactés. Je n’ai pas de retours négatifs », soutient le sénateur LR Christophe-André Frassa
Christophe-André Frassa, sénateur LR des Français établis hors de France, ne partage pour sa part pas du tout les inquiétudes de ses collègues. « Non, les Français ne sont pas impactés. Je n’ai pas de retours négatifs. J’ai moi-même une personne de ma famille qui étudie à l’université de Virginie, qui est en procédure de renouvellement de son visa étudiant. Je ne pense pas que les problèmes descendent à ce niveau-là », pense le sénateur de droite.
Pour le sénateur LR, « les Français qui vivent en Pologne sont beaucoup plus inquiets par la situation actuelle que ceux vivant sur la côte ouest des Etats-Unis. Il n’y a rien, à ma connaissance, qui montre qu’il y ait quelque chose qui menace directement des Français, parce qu’ils résident aux Etats-Unis », soutient Christophe Andre Frassa. « S’ils travaillent pour une entreprise française, oui, il peut y avoir un impact », reconnaît-il, mais il peste contre « ce genre de consultation (faite par Roland Lescure, ndlr), qui n’a aucun intérêt, à (son) sens. Dire qu’on est inquiet de la situation internationale… Mais on l’est tous », lance le sénateur LR. Selon lui, « ce genre d’étude est uniquement faite pour inquiéter les gens et pas pour les rassurer. Ce n’est pas très malin. Il y a le sentiment et la réalité ». Reste que le sentiment d’insécurité, vécu par une partie des Français vivant aux Etats-Unis, part bien d’une réalité : Donald Trump et la politique de son administration.