« La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons chassés du pouvoir […] c’est la fin de cette mauvaise période, c’est la fin du règne du PiS », déclarait Donald Tusk, leader de la Coalition Civique, ce 15 octobre après l’annonce des résultats électoraux. En se fondant sur les résultats partiels, le dépouillement ayant duré jusqu’à deux heures du matin par endroit, les projections attribuent 200 sièges sur 460 au parti Droit et Justice, l’opposition démocratique s’adjuge la majorité absolue des sièges (248 sur 460) et écarte, en principe, le parti conservateur.
« Jusqu’au bout, les sondages donnaient Droit et Justice devant »
C’est un signal majeur envoyé aux démocraties européennes et la preuve qu’un gouvernement illibéral peut-être battu dans les urnes. Coalisés, les libéraux, le centre (Troisième voie) et la gauche obtiennent une majorité de sièges au sein de la Diète polonaise. « Jusqu’au bout, les sondages donnaient Droit et Justice devant », rappelle Frédéric Zalewski, maître de conférences en science politique à l’université de Nanterre et spécialiste de la Pologne. Contrairement à la Hongrie où une coalition similaire a échoué à faire tomber Viktor Orban, en Pologne, l’union a fonctionné. Ou presque.
Donald Tusk souhaitait former une liste unique, regroupant son parti libéral Plateforme civique et d’autres partis de l’opposition, notamment centristes. Jusqu’à l’été les discussions ont été très longues entre les différents camps et partis pour savoir combien de listes allaient être présentées contre le pis au pouvoir et quelle était la meilleure stratégie », explique Frédéric Zalewski qui insiste sur la « très bonne coordination de la part de la coalition. » La question de la coalition a hanté une grande partie de la campagne. En effet, le mode de scrutin à la proportionnelle impose qu’une coalition récolte au moins 8 % des voix pour pouvoir remporter des sièges. Or, beaucoup craignaient que la coalition Troisième voie n’atteigne pas ce seuil. « Il y a eu une certaine complémentarité entre la troisième voie et la coalition de Donald Tusk. Alors même que Tusk pouvait faire l’objet d’un rejet d’une partie de l’électorat à cause de son passage entre 2007 et 2014 à la tête du gouvernement, la troisième voie a pu récupérer ces suffrages », détaille Frédéric Zalewski.
Une mobilisation et une participation exceptionnelle
Ces résultats confirment la capacité de la société civile polonaise à « se mobiliser plus qu’ailleurs comme on a pu le voir dans les années 1980 avec Solidarnosc mais aussi récemment après l’élection présidentielle de 2020 ou ce 1er octobre », souligne Frédéric Zalewski. Une mobilisation ressentie dans les urnes puisque les élections du 15 octobre ont enregistré la plus forte participation depuis 1989 (73 %). Surtout, la mobilisation a largement augmenté parmi la tranche des 18-25 ans qui rejette le plus largement le programme du PiS. « Historiquement, le PiS fait ses meilleurs scores dans la catégorie des plus de 60 ans », explique Frédéric Zalewski qui précise néanmoins que « la fracture entre la frange libérale et le camp conservateur est toujours d’actualité ». Une division perceptible d’un point de vue géographique où l’ouest, plus aisé et proche de la frontière allemande rejette plus massivement le PiS.
« Il faut bien garder en tête que le PiS est arrivé au pouvoir en développant une politique sociale »
Parmi les promesses de l’opposition, la volonté de revenir sur les restrictions mises en place par le PiS concernant le droit à l’avortement que Donald Tusk avait qualifié de « crapulerie politique ». Néanmoins, le programme « Famille 500 + », principale raison de la popularité du PiS, ne devrait pas être remis en cause. Ce programme permet à chaque famille de recevoir, chaque mois, 500 zlotys par enfant à partir du deuxième enfant. « Il faut bien garder en tête que le PiS est arrivé au pouvoir en développant une politique sociale que la population réclamait. C’est sur ces bases que le PiS a prospéré. En 2005, Tusk a subi un échec électoral parce qu’il voulait instaurer une « flat-tax » et qu’il n’avait pas pris la mesure de la fracture sociale du début des années 2000 », tempère Frédéric Zalewski.
Une « chance inespérée » pour l’Union européenne
Autre sujet particulièrement sensible durant le gouvernement de Mateusz Morawiecki, l’actuel président du Conseil, la position du gouvernement polonais sur la question européenne devrait radicalement changer. En 2020, Varsovie avait remis en question la primauté du droit européen sur le droit national, notamment pour se soustraire au respect de l’Etat de droit et lancer une réforme judiciaire controversée. L’Union européenne avait adopté, en 2020, un mécanisme de conditionnalité de versement des fonds européens permettant de ne pas verser les fonds en cas de non-respect de l’Etat de droit. « Il va y avoir un temps de mise en place pour le gouvernement mais le dossier prioritaire de la coalition est de se remettre en conformité avec le droit européen », pointe Gaëlle Marti, professeure de droit public à l’Université Lyon 3 et directrice du Centre d’Études Européennes. Le retour de la Pologne en conformité avec le droit européen doit surtout permettre de développer les 35 milliards d’euros du fonds de relance, toujours bloqués par la Commission européenne.
Surtout, le retour d’une Pologne ambitieuse au sein de l’Union européenne pourrait avoir des conséquences majeures et représente une « chance inespérée ». « L’arrivée, vraisemblable, de Tusk qui connaît bien les dossiers européens va permettre d’accélérer sur un certain nombre de thématiques, notamment sur la révision des traités qui était une ligne rouge pour le gouvernement du PiS », détaille Gaëlle Marti. Cinquième puissance démographique de l’Union européenne avec près de 40 millions d’habitants, premier bénéficiaire net des fonds structurels européens, « la Pologne a un potentiel énorme, si elle prend sa place », tranche Gaëlle Marti.