Britain Europe Summit

Orbán en Russie: l’Europe va-t-elle sanctionner la Hongrie ? 

Depuis le 1er juillet 2024, la Hongrie assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. Une présidence qui a commencé par un tollé avec une visite de Viktor Orbán à Vladimir Poutine, sans concertation avec les autres leaders européens. Pour l’heure, l’UE n’a déclenché que des sanctions symboliques mais les choses pourraient dégénérer en fin d'année
Audrey Vuetaz

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

« Les rumeurs sur ta visite à Moscou ne peuvent pas être vraies, Viktor, n’est-ce pas ? » Donald Tusk le Premier ministre polonais n’en revient pas et il le fait savoir sur X. Depuis quelques heures, il se dit en coulisses que Viktor Orbán le Premier ministre hongrois est en chemin pour aller rencontrer Vladimir Poutine dans le cadre d’une « mission pour la paix ». C’est la première fois qu’un leader européen se rend à Moscou depuis l’invasion massive de l’Ukraine en 2022. Après Tusk, les réactions ne se font pas attendre. Ursula Von der Leyen la présidente de la Commission, Charles Michel le président du Conseil, Josep Borell le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères prennent la plume pour dénoncer ce voyage et préciser qu’il ne se fait pas au nom de l’Union européenne. Le malaise est d’autant plus grand, que, ce 5 juillet 2024, cela ne fait que cinq jours que la Hongrie a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Beaucoup s’inquiètent que ce coup d’éclat de Viktor Orbán soit interprété comme une action au nom de l’Union. 

« Ça a été perçu comme une provocation inacceptable, explique Daniel Hegedüs, chercheur associé au think tank German Marshall Fund, spécialiste de l’Europe centrale, d’autant que le ministère des affaires étrangères hongrois a caché ce voyage pour éviter qu’il ne soit empêché. Orbán s’est rendu à Kiev et le lendemain, sans rien dire à personne il a foncé en Russie. » 

« Ce coup d’éclat a été très mal perçu, abonde Yves Bertoncini consultant et enseignant en affaires européennes au Corps des mines et à l’ESCP Business School, Orbán a totalement outrepassé ses fonctions, il le savait très bien, il n’avait aucun mandat pour aller là-bas. » Un coup d’éclat qui ne s’arrête pas là, dans la foulée, le Premier ministre Hongrois se rend en Azerbaïdjan, en Chine aux cotés de Xi Jinping, puis aux Etats-Unis à la rencontre de Donald Trump. Les leaders européens fulminent. 

Un boycott inédit de la Hongrie 

« Orbán est un troll, il se moque du monde… Nous voulons lui adresser un carton jaune et lui dire que nous ne sommes pas dupes de ses foutaises », explique en off à l’AFP l’un des représentants permanents auprès de l’UE.  Résultat, la Commission européenne demande à ses commissaires de boycotter toutes les réunions informelles organisées en Hongrie. Une décision quasi inédite dans l’histoire de l’Union européenne. 

« Il y a eu un précédent avec l’Autriche en 1999, dans un tout autre contexte, rappelle Yves Bertoncini, quand le PPE (la droite classique) voulait rentrer en coalition avec l’extrême-droite. Il y a eu un boycott au niveau de l’UE qui a décidé de ne plus rencontrer le gouvernement autrichien. Ça a duré quelques semaines et puis ça s’est passé. » 

Du côté du Parlement, des sanctions symboliques sont aussi annoncées; d’ordinaire les ministres hongrois viennent présenter leur feuille de route devant les commissions parlementaires, mais celles-ci refusent de les voir jusqu’à la mi-septembre. 

Un boycott inédit, mais très symbolique, aucune sanction d’ampleur n’est pour l’instant avancée, même si certaines voix s’élèvent pour retirer sa présidence à la Hongrie et l’attribuer tout de suite à la Pologne qui doit prendre son tour le premier janvier prochain. 

« Ça n’arrivera pas, juge Yves Bertoncini, déjà parce que la Pologne n’est pas prête. Ensuite il y a autre chose à prendre en compte, on a parlé des réunions informelles boycottées par la Commission, mais il y en a d’autres officielles qui ont actuellement lieu à Bruxelles et tant que les ministres hongrois les assurent correctement, tant qu’ils restent professionnels et neutres, il n’y a aucune raison de retirer sa présidence au pays, même si le Premier ministre a fait un coup d’éclat. » 

« Il y a des divisions à ce sujet au sein des Etats membres, complète Daniel Hegedüs, rien que pour le boycott 10 pays sur 26 étaient contre. L’Autriche et les Pays-Bas ont du mal à sanctionner Orbán alors qu’ils vont devoir faire des coalitions avec la droite radicale dans leur pays. Et puis vous avez le Luxembourg ou la Grèce qui ne veulent tout simplement pas créer de précédent en sanctionnant la Hongrie. » 

Orbán fait du Orbán 

Les Etats membres ne s’attendaient pas à un tel coup d’éclat d’éclat de Viktor Orbán dès les premiers jours même si beaucoup redoutaient la présidence hongroise. « Viktor Orbán, fait ce qu’il a toujours fait, il utilise cette opportunité pour faire exister la Hongrie sur le plan international, il montre qu’il est capable de rencontrer ces différents chefs d’Etats et il s’émancipe de l’Europe en matière de politique étrangère, en se plaçant dans le triangle Russie, Chine, Etats-Unis », explique Daniel Hegedüs.  

« Il pousse aussi l’agenda de la Russie sur le dossier ukrainien, ajoute Yves Bertoncini, avec cette petite musique qu’il faut faire la paix selon les conditions de la Russie s’il le faut. Il a tenté, même si cela n’a pas du tout fait bouger les positions européennes. » 

Après une telle entrée en matière, beaucoup se demandent à quoi ressemblera la suite de cette présidence. Certains se rassurent en se disant qu’elle ne sera presque pas législative. En effet la nouvelle Commission ne doit entrer en fonction qu’au 1er novembre, la Hongrie n’aura que deux petits mois pour pousser ses dossiers « il n’y a donc pas grand chose à attendre ni à redouter ». 

« Les prochaines semaines devraient être plus calmes, car Orbán n’a pas mesuré l’impact que son voyage a eu auprès des leaders européens, avance Daniel Hegedüs. Il va donc calmer le jeu pour s’éviter des sanctions plus importantes. Mais il faut s’attendre au pire pour la fin de l’année, surtout en matière de politique étrangère. » 

Une fin d’année électoralement chargée avec des élections aux Etats-Unis, mais aussi en Géorgie ou en Moldavie deux pays candidats pour rentrer dans l’Union européenne. « Il va forcement y avoir des sorties diplomatiques non concertées de la part de Viktor Orbán, s’inquiète Daniel Hegedüs, imaginez le mal que cela peut faire sur le terrain. En annonçant qu’il parle au nom de l’Union européenne, et même si c’est faux, il peut faire du mal à la démocratie et à l’intégration de ces deux pays. » 

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

Un réfugié syrien en France célèbre la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
6min

International

Syrie : Plusieurs pays européens suspendent les demandes d’asile des réfugiés, la France « suit attentivement la situation »

Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Djihadistes : « Beaucoup d’entre eux préféreront rester en Syrie que rentrer en France »

Le régime de Bachar al-Assad est tombé en Syrie après l’offensive victorieuse, ce week-end, des rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le groupe compte dans ses rangs de nombreux djihadistes, dont quelques Français. Faut-il craindre un retour de certains d’entre eux ? Pour le spécialiste Thomas Pierret, cela n’est pas évident. En revanche, selon lui, une résurgence de Daech dans le pays est à craindre.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Syrie : de la Turquie à l’Iran, les équilibres bouleversés au Moyen-Orient après la chute du régime Assad

Après 24 ans de pouvoir, Bachar al-Assad a fui la Syrie, chassé par une offensive éclair du groupe islamiste Hayat Tahir Al-Sham. Une large partie du pays est désormais aux mains d’une coalition de rebelles, aux soutiens et intérêts divergents. De la Turquie à l’Iran, en passant par Israël, tour d’horizon des enjeux de la chute du régime Assad, qui bouleverse les équilibres régionaux.

Le

Syrie : Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur
6min

International

Syrie : « Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur »

La fuite du président syrien Bachar al-Assad, chassé par les rebelles islamistes en dépit du soutien de la Russie, rebat les cartes au Moyen-Orient. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, cette situation illustre l’affaiblissement d’une Russie incapable de maintenir ses ambitions internationales, car vampirisée par la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine.

Le