Évacuation des Français au Niger : « la France prend très au sérieux la menace militaire »
Face à la dégradation de la situation sécuritaire au Niger, la France a lancé, ce mardi 1er août, une opération d’évacuation de ses ressortissants. Un premier avion a décollé ce mardi à la mi-journée a indiqué une source à l’AFP. Près de 600 ressortissants français se trouveraient actuellement au Niger. L’Italie et l’Allemagne ont également annoncé la possibilité pour leurs ressortissants de quitter le pays.
Pour le sénateur LR Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, la décision d’évacuation est une mesure de sécurité élémentaire au regard des manifestations qui se sont succédées : « Cela risque, finalement, de porter atteinte aux Français sur place. La meilleure manière de les protéger, c’est d’organiser cette évacuation ».
Le Quai d’Orsay a justifié cette décision d’évacuation par « la fermeture de l’espace aérien » et au regard des violences qui ont eu lieu à l’encontre de l’ambassade de France au Niger.
« On ne peut pas exclure une intervention militaire sur le territoire Nigérien. Cela expliquerait notamment la décision d’extradition des ressortissants français. Au Burkina et au Mali, malgré les coups d’États successifs, les Français ne sont pas rentrés. Cette décision de rapatriement est certainement un indice d’anticipation d’une dégradation de la situation à Niamey et d’une probable intervention de l’armée extérieure », analyse Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri.
Antoine Glaser, journaliste spécialisé de l’Afrique de l’Ouest et fondateur de la Lettre du Continent, le rejoint : « Selon moi, la France prend très au sérieux la menace militaire. Ce qui explique le changement de stratégie concernant le rapatriement des Français sur place. Elle sait que s’il y a une intervention militaire du Nigeria au Niger, les ressortissants français risquent de servir d’otages. C’est pour ne pas gêner une possible opération militaire extérieure que Paris a décidé de rapatrier les Français sur place ».
Un sentiment anti-français ?
Les violences à l’encontre de l’ambassade de France à Niamey ont également motivé la décision d’évacuation des Français sur place. La France, ex-puissance coloniale et alliée du président déchu Mohamed Bazoum, a été ciblée à plusieurs reprises par la junte militaire à l’origine du putsch. Elle a notamment été accusée de vouloir intervenir militairement, ce que la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna a démenti depuis.
Y a-t-il pour autant un sentiment anti-français au Niger ? Sujet complexe pour le sénateur Christian Cambon : « Ce sentiment d’hostilité est animé par d’autre pays. Je ne crois qu’il y a un ressentiment général contre la France. Ce qu’on observe, c’est un peu la réplique de ce qu’il s’est passé au Mali et au Burkina [concernant une propagande Russe anti-français] ».
Pour l’historien et professeur à l’université Panthéon Sorbonne Pierre Boilley, spécialiste de l’Afrique subsaharienne, les démonstrations anti-françaises qui ont pu survenir lors de manifestations restent marginales : « le sentiment anti-français violent constitue une minorité au Niger. Néanmoins, il y a un ras-le-bol de la présence française et de l’attitude des diplomates et militaires sur place. Et ça je pense que c’est ancré dans la tête de beaucoup de gens. Il y a un agacement profond de cette attitude française néocoloniale ».
« Il est difficile d’évaluer la proportion de la population qui adopte ces discours car il existe peu d’instruments de sondage » explique Alain Antil, co-auteur d’une étude de l’Ifri sur les discours anti-français en Afrique Francophone. Cependant, pour le chercheur il existe bien un sentiment anti français préexistant : « ce ressentiment existe depuis longtemps, notamment auprès des élites intellectuelles du pays. Mais il s’est propagé au sein des couches populaires, notamment les couches urbaines. »
Selon lui, il y a plusieurs raisons à l’expansion de ce discours anti-français : « dans les pays où les dirigeants font face à des échecs de développement économique et sécuritaire, il y a la volonté de trouver un bouc émissaire. C’est d’autant plus facile que le sentiment anti-français préexiste dans ces régions. Il y a également une autre dimension : depuis plusieurs années, la Russie a mis en œuvre des stratégies de communication anti-française au Burkina et au Mali. La Russie passe notamment par le biais de relais locaux, le financement de militants et d’influenceurs pour diffuser ces discours à grande échelle. On peut observer des similitudes au Niger ».
« On peut dire qu’il y a une forme de solidarité des putschistes de la région »
Le 31 juillet au soir, Ouagadougou et Bamako ont fait savoir que toute intervention militaire visant à restituer Mohamed Bazoum serait considérée « comme une déclaration de guerre » à leur encontre entraînant de facto un « retrait du Burkina Faso et du Mali de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), ainsi que l’adoption de mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger ».
Dans un communiqué distinct, la Guinée, dont le gouvernent est également issu d’un coup d’État a exprimé « son désaccord concernant les sanctions préconisées par la Cédéao, y compris une intervention militaire ». Elle a également précisé qu’elle « n’appliquera pas ces sanctions » qu’elle considère « illégitimes et inhumaines ».
« On peut dire qu’il y a une forme de solidarité des putschistes de la région. C’est la première fois que l’on observe une solidarité aussi forte » constate Antoine Glaser. « Jusqu’à présent, les putschs se produisaient dans des conditions différentes que ça soit au Mali, ou au Burkina Faso ». Pour le journaliste spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, cette solidarité donne une sorte de sens à la résistance de ces pays. « La solidarité des militaires, c’est nouveau et c’est assez violent. Ça illustre une véritable défiance vis-à-vis des présidents des côtes et des Communauté des états d’Afrique de l’Ouest ».
Ce ralliement entre pays dont le pouvoir est issu de coup d’États est relativement logique pour l’historien et professeur Pierre Boilley : « au Burkina Faso et au Mali, les juntes sont vraiment bien installées. Il est dès lors logique que ces deux pays défendent le Niger qui a pris une direction allant dans le même sens qu’eux. Les juntes malienne et burkinabé peuvent aussi avoir peur qu’une opération contre-putsch au Niger ne se répète à leur égard ».
« On est dans l’inédit depuis quelques mois au niveau de la Cédéao qui tente de mettre en place une force anti-putsch : cela a forcément fait réagir les pays dirigés pas des juntes » explique Alain Antil, « ils ne prennent pas ces déclarations à la légère. C’est ce qui explique la réaction très forte du Burkina et du Mali mais également de la Guinée. Il y a une véritable volonté de la Cédéao d’éviter une contagion de putschs à d’autres pays. C’est ce qui justifie cette sanction très dure prise par l’Afrique de l’Ouest et les présidents démocrates issus de la société civile : la crainte d’une multiplication des coups d’États dans la région ».
Le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde, en dépit de ses ressources en uranium. Affaibli par les attaques des groupes terroristes présents au Sahel, il s’agit du troisième pays de la région à subir un coup d’État depuis 2020, après le Mali et le Burkina Faso. « Les Nigériens n’ont qu’une envie, c’est de revenir à un état de paix et de calme pour pouvoir simplement vivre. Je ne vois pas comment le putsch qui s’opère actuellement peut améliorer la situation des populations. Je suis très inquiet, je n’ai jamais vu une situation aussi chaotique, surtout pour la population » conclut l’historien Pierre Boilley.