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Mort du président iranien : « Raïssi était détesté par des milliers de gens qui ont perdu leurs enfants dans les prisons du régime »

L'Iran a décrété un deuil de cinq jours à la suite de la mort du président Ebrahim Raïssi dans le crash de l'hélicoptère qui l'amenait dimanche vers Tabriz. Les funérailles, qui ont débuté ce lundi, vont se poursuivent tout au long de la semaine, alors que le vice-président Mohammad Mokhber va assurer l’interim jusqu’à l’élection présidentielle du 28 juin. Pour Azadeh Kian, professeure de sociologie à l’université Paris-Cité, il ne faut pas s’attendre à de grands bouleversements politiques à l’issue du scrutin.
Steve Jourdin

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 Des dizaines de milliers d’Iraniens en deuil se sont rassemblés mardi pour le début des cérémonies de funérailles du président Raïssi à Tabriz. Était-il apprécié de la population ?

Hormis les proches du régime et ceux qui continuent à le soutenir pour des raisons financières ou idéologiques, c’est-à-dire une minorité d’Iraniens, la réponse est non. Ebrahim Raïssi était connu de la population comme le « bourreau de Téhéran », il a toujours appartenu à l’aile la plus dure du régime. En 1988, il faisait partie du « comité de la mort », qui est responsable de l’exécution de plus de 4000 prisonniers politiques. Il a ensuite continué sa carrière en tant que procureur et a été nommé par l’ayatollah Khamenei à la tête du pouvoir judiciaire, avant de devenir président en 2021. Il est décrié et détesté par des milliers de gens qui ont perdu leurs enfants ou leurs parents dans les prisons du régime.

 

Depuis 2021 et son arrivée au pouvoir, quel a été son bilan ?

Il a fait beaucoup de promesses électorales. Il a promis de construire un million de logements sociaux, de faire baisser le taux d’inflation et de réduire le taux de chômage. Trois ans plus tard, c’est l’inverse qui s’est produit : l’inflation est galopante, le taux de chômage a augmenté, les logements sociaux n’ont pas été construits et la monnaie iranienne a perdu énormément de valeur.

Raïssi était un incompétent, sur tous les plans. Il était d’ailleurs décrié au sein même du camp ultra-conservateur, qui n’hésitait pas à s’en prendre à lui dans la presse et à la télévision. Il était non seulement incompétent, mais aussi illettré : il était incapable de lire un texte en persan ! Ses connaissances religieuses étaient très contestées par les ayatollahs qui avaient fait des études en la matière.

Enfin, sur le plan des droits de l’homme, son bilan est effroyable. Depuis septembre 2022 et la mort de Mahsa Amini à la suite d’un voile mal ajusté, 600 personnes ont été tuées parmi les manifestants. Parmi elles, beaucoup de jeunes femmes. Certaines ont perdu un œil, d’autres sont devenues des objets sexuels pour les Gardiens de la révolution. Selon Amnesty International, 47 femmes manifestantes ont été violées en prison, et entre 20 000 et 100 000 personnes ont été arrêtées depuis septembre 2022. Cette politique répressive a certes été décidée par le Guide suprême, mais c’est Ebrahim Raïssi qui l’a mise en œuvre.

 

Le 28 juin, une élection présidentielle aura lieu. Dans quelle mesure cette élection en est vraiment une ?

Quelle élection n’a jamais été libre en Iran ? Le Conseil de surveillance, qui habilite les candidats autorisés à se présenter, ne va pas donner son feu vert aux personnalités « modérées ». Il faut s’attendre à un scrutin qui va se jouer à l’intérieur même du camp ultra-conservateur. Le vice-président, Mohammad Mokhber, nommé président par intérim, est un ultra-conservateur corrompu. Il est susceptible d’être le candidat du régime, car il a été très proche de Raïssi, et a accumulé une certaine expérience. D’autres personnalités vont sans doute émerger.

 

Ce qui est en jeu est aussi la succession d’Ali Khamenei, 85 ans. Certains considéraient que Raïssi était le successeur du Guide suprême. Sa mort va-t-elle plonger le régime dans la confusion ?

Il ne s’agit pas d’un tournant dans l’histoire de la République islamique. J’estime que Raïssi n’aurait jamais été désigné pour prendre la suite du Guide, du fait précisément de son incompétence. Les autres ayatollahs ne l’auraient jamais accepté. Le fils du Guide, Mojtaba, a un temps été pressenti pour prendre la succession, mais son père a annoncé ne pas souhaiter un tel scénario.

Faute de candidat « naturel », on peut envisager une situation où le statut de Guide prendra la forme d’un conseil collégial composé de deux ou trois personnes, ce qui était d’ailleurs prévu dans la première version de la Constitution du régime. Ce sera à l’Assemblée des experts de décider, cet organe composé de 87 membres élus tous les 8 ans. Elle est composée de religieux qu’on ne connait pas et qui sont susceptibles d’être élus, soit comme Guide soit comme membre de ce conseil collégial.

Est-ce qu’un nouveau président dispose de marges de manœuvre pour infléchir la politique intérieure et étrangère du régime ?

Peu importe le président qui sera élu, les affaires vont continuer comme avant. Un proche du Guide va être « élu » avec un taux de participation extrêmement faible, car les électeurs boudent les urnes depuis longtemps. Ali Khamenei décide de la politique, main dans la main avec les Gardiens de la révolution. Aucune décision importante n’est prise sans leur aval, peu importe le domaine concerné.

En matière d’affaires étrangères, il ne faut pas s’attendre à de grands changements car le ministre des Affaires étrangères n’est que le porte-parole des Gardiens. Vis-à-vis des Etats-Unis, les négociations autour du nucléaire et de la levée des sanctions vont se poursuivre avec pour objectif de desserrer l’étau qui pèse sur l’économie du pays. On a vu que les pays occidentaux ont envoyé des messages de condoléances après la mort de Raïssi. Cela s’explique par le fait que tout le monde aujourd’hui souhaite l’apaisement et le maintien du statu quo.

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