L’invasion russe en Ukraine, « l’un des plus grands ratages stratégiques du XXIème siècle »

Invités de notre matinale, les historiens militaires Michel Goya et Jean Lopez sont revenus sur la première année du conflit ukrainien, qui avait débuté par une invasion russe en mars 2022. D’après les historiens, l’échec initial des Russes a lancé une guerre de longue haleine, qui est dans une phase d’enlisement et qui ne semble pas prête de se conclure.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Dans leur livre L’Ours et le renard [Ed. Perrin], les historiens militaires Michel Goya et Jean Lopez font « l’histoire immédiate » de la guerre en Ukraine. Dans les premiers enseignements à tirer de ce conflit encore en cours et par définition indécis, les deux historiens estiment que l’approche de l’invasion développée par les Russes en mars 2022 a été capitale dans l’enlisement du conflit.

« Un désastre pour l’armée russe »

« Les Russes ont dessiné une opération sur la foi de renseignements de terrain, d’une culture militaire particulière et d’une vision politique. Tout cela leur a fait penser que leur adversaire ne leur opposerait pas de résistance, parce que celle-ci serait concentrée dans un noyau dur à la tête de l’Etat et qu’en prenant Kiev, l’opération d’invasion se transformerait en occupation », détaille Jean Lopez, journaliste et historien, fondateur de la revue Guerres et histoire.

D’après lui, cette erreur d’interprétation initiale a été à l’origine « d’un échec total extrêmement grave » pour l’armée russe, qui « prendra sa place dans les manuels d’histoire militaire comme l’un des plus grands ratages stratégiques, du XXIème siècle au moins. » Michel Goya, historien militaire, abonde : « Les Russes ont en quelque sorte fait tapis pour obtenir un succès décisif d’emblée, mais dans la bataille décisive de Kiev, ils ont complètement échoué. Cet échec a déterminé la suite des événements et a été un désastre pour l’armée russe. »

« Ce genre de conflit, ça se compte en semaines ou ça se compte en année »

Le colonel de marine y voit un schéma classique des « guerres industrielles » contemporaines : « Dans ce type de guerre, soit un vainqueur s’impose en quelques semaines, soit on bascule dans une guerre très longue. On compare souvent ce conflit à la Première Guerre mondiale. Cela ressemble beaucoup à la guerre de Corée, ou à la guerre entre l’Irak et l’Iran, avec une invasion irakienne qui se transforme en guerre de tranchée pendant huit ans. Ce genre de conflit, ça se compte en semaines ou ça se compte en années. Malheureusement, là ça va se compter en années. »

Jean Lopez dresse lui aussi un parallèle avec la guerre de Corée (1950-1953), notamment « sur la façon dont la guerre ne s’est pas terminée » : « On a eu un gel des positions et on est revenu au statut ex-ante, après plusieurs millions de morts pour rien. Aujourd’hui, on est toujours dans cette ni-guerre, ni-paix entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Un scénario semblable d’hostilité franche et affirmée sur des positions bloquées, ce n’est pas impensable. »

Partager cet article

Dans la même thématique

L’invasion russe en Ukraine, « l’un des plus grands ratages stratégiques du XXIème siècle »
3min

International

Coupes budgétaires dans l’aide au développement : « Le risque c’est que nous allions moins dans les pays les plus vulnérables »

Invité de la matinale de Public Sénat, le directeur général de l’Agence française de développement (AFD) est revenu sur la crise que traverse le secteur avec le retrait des Etats-Unis et les coupes budgétaires récentes. Dans ce contexte, l’AFD devra se recentrer sur des financements privés et risque de moins pouvoir agir dans les pays les plus vulnérables.

Le

Royal Salute France State visit Windsor
7min

International

Visite d’Emmanuel Macron au Royaume-Uni : le contexte géopolitique prime sur les tensions passées

Cela faisait plus de 17 ans qu’un président français n’avait pas foulé le sol britannique à l’occasion d’un voyage d’Etat. Ce mardi, Emmanuel Macron est arrivé au Royaume-Uni pour une durée de trois jours. Au programme : sécurité, énergie, mais également intelligence artificielle. Dans un contexte géopolitique incertain, ce voyage souligne avant tout le rapprochement entre le Royaume et l’Union européenne (UE) après de fortes tensions liées au Brexit.

Le

Grand Prix du Roman de l’Academie Francaise
4min

International

Boualem Sansal : « Il faut user de tous les moyens pour faire pression sur les autorités algériennes »

Les espoirs de libération ont été balayés. La grâce présidentielle du président Abdelmadjid Tebboune, prononcée le 5 juillet, n’a pas inclus l’écrivain Boualem Sansal, incarcéré depuis plus de sept mois par le régime algérien pour des propos relatifs aux frontières historiques de l’Algérie. Après une nouvelle condamnation en appel à cinq ans de prison ferme, les chances de libération sont minces. Pour Arnaud Benedetti, co-fondateur du comité de soutien de Boualem Sansal, seul le « rapport de force » entre les deux pays peut permettre d’infléchir la position algérienne. Il appelle la France à se saisir de tous les outils dont elle dispose. Entretien.

Le