« J’espère que tous les hommes et femmes politiques occidentaux qui souhaitent serrer la main de Poutine se souviendront que cette main est couverte de sang. » C’est l’avertissement de l’opposant politique Vladimir Kara-Mourza, auditionné au Sénat ce 10 avril, alors que des délégations russe et américaine se rencontrent à Istanbul, pour relancer le travail diplomatique entre les deux pays.
Arrêté en 2022 pour avoir dénoncé l’invasion en Ukraine, condamné à 25 ans de prison pour « haute trahison », plusieurs fois empoisonné, Vladimir Kara-Mourza a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers en août dernier. Depuis sa libération, la situation géopolitique a changé. Peu après son élection, Donald Trump a déclenché des négociations pour un cessez-le-feu en Ukraine, sans y associer Kiev.
« Souvent, les gouvernements occidentaux aident Vladimir Poutine à maintenir sa censure »
Par ses décisions radicales, le président américain contribue aussi à museler l’opposition russe, explique Vladimir Kara-Mourza devant les sénateurs. « Donald Trump a détruit le système des médias internationaux indépendants, en fermant Radio Liberté et Voice of America. Les chefs de la propagande de Poutine en sont ravis », explique-t-il. Mi-mars, l’ensemble des employés de la radio et de la chaîne de télévision ont en effet reçu un mail leur indiquant qu’ils étaient placés en congés forcés, provoquant l’arrêt immédiat des émissions, diffusées dans 47 langues au-delà des frontières américaines.
Une mesure tragique, affirme Vladimir Kara-Mourza. Historien de formation, il rappelle qu’en URSS, avant la chute du régime, « près de 15 % de la population écoutait une radio occidentale régulièrement ». « Il y a un lien direct entre ça et ce qu’il s’est passé en 1991, parce que ce sont les jeunes gens qui écoutaient ces radios dans les années 1970 qui sont allés devant les barricades à Moscou en août 1991. L’une des raisons principales de la chute du régime totalitaire communiste, c’est qu’il avait été délégitimé aux yeux d’une grande partie de la population », explique-t-il.
Ce qui était possible dans les années 1990 ne l’est visiblement plus aujourd’hui, dénonce Vladimir Kara-Mourza : « On essaye de diffuser notre message par internet, mais le problème c’est que très souvent les compagnies et les gouvernements occidentaux aident Vladimir Poutine à maintenir sa censure, au lieu d’aider les citoyens russes. » L’opposant politique pointe, par exemple, le cas du géant de la tech Apple. En juillet dernier, sous la pression de Moscou, l’entreprise américaine a supprimé de son App Store en Russie une vingtaine d’applications de VPN, ces réseaux privés virtuels qui permettaient aux Russes de se connecter à internet en contournant les blocages des médias et des réseaux sociaux orchestrés par le Kremlin. « Ce n’est pas les services de renseignements russes qui ont fait ça, c’est la compagnie américaine. Pour moi, c’est inadmissible », fustige Vladimir Kara-Mourza.
Des « trous » dans les sanctions européennes à l’égard de la Russie
Même pour les pays qui refusent de collaborer avec le régime russe, l’opposant politique juge qu’il y a « beaucoup de trous » dans les systèmes de sanctions adoptés à l’égard du Kremlin. « Les sanctions les plus efficaces sont les sanctions ciblées, les sanctions personnelles », explique-t-il, dénonçant les sanctions économiques larges subies par toute la population russe. « Si tout le monde est coupable, personne n’est coupable. C’est une logique qui permet aux personnes vraiment coupables de crimes d’échapper à la responsabilité. La propagande poutinienne aime aussi beaucoup ça, parce que ça permet de présenter l’occident comme russophobe », explique Vladimir Kara-Mourza.
De son côté, l’opposant russe milite pour une adoption internationale de la « loi Magnitski ». En vigueur depuis 2012 aux Etats-Unis, celle-ci prévoit d’appliquer des sanctions financières et des interdictions de visas contre une liste de personnalités russes, soupçonnées d’être impliquées dans le décès de l’avocat anti-corruption Sergueï Magnitski. « Je suis fier qu’aujourd’hui, au moins 35 pays et juridictions du monde aient adopté ce genre de programme de sanctions ciblées », salue Vladimir Kara-Mourza. En décembre 2021, l’Union européenne s’est dotée de sa propre « loi Magnitski », permettant de sanctionner une liste de personnalités russes impliquées dans de graves violations des droits humains. Depuis le début de la guerre en Ukraine, près de 2 500 personnalités sont visées par des sanctions individuelles, comprenant une interdiction de territoire européen et un gel de leurs avoirs.
Mais, même dans l’Union européenne, ces sanctions individuelles ne semblent pas entièrement respectées, déplore Vladimir Kara-Mourza. « Il y a quelques mois, le fils du numéro 2 d’une compagnie industrielle militaire, qui fournit les armements de la guerre en Ukraine, a emmené sa petite amie à Milan pour le week-end. Comment est-ce possible, après trois ans de guerre à grande échelle en Europe ? », interroge-t-il. Aujourd’hui, l’Union européenne envisage d’aller plus loin dans ses sanctions, en saisissant les avoirs russes gelés. Une manne colossale de plus de 200 milliards d’euros, qui pourrait permettre de financer la reconstruction de l’Ukraine.