« Nous avons évidemment besoin de dépenser davantage, d’investir davantage dans notre défense, mais ce que nous soutenons, c’est que ces dépenses ne soient pas de l’achat de matériel sur étagères qui, à nouveau, serait du matériel non européen », affirmait Emmanuel Macron à l’issue du sommet européen du 6 mars au cours duquel les dirigeants des 27 ont approuvé un plan pour « Réarmer l’Europe » à hauteur de 800 milliards d’euros. Une réponse au retour de Donald Trump au pouvoir et à la menace croissante de la Russie.
« Nous allons de l’avant de façon décisive vers une Europe de la défense forte et plus souveraine » a également déclaré António Costa, président du Conseil européen. Le plan doit permettre de mobiliser 150 milliards d’euros en prêts à court terme et de déroger aux règles du pacte de croissance et de stabilité afin de mobiliser 650 milliards d’euros supplémentaires. En plus de faciliter les capacités d’investissements européens, le plan vise également l’approfondissement de la coopération et des besoins en matière de défense. Des éléments qui doivent permettre de revitaliser l’industrie de défense européenne alors que les pays de l’Union européenne passent majoritairement commande auprès des Etats-Unis. Sur la période 2022-2023, 78 % du matériel militaire acheté par des pays de l’Union européenne l’a été auprès d’États extérieurs à l’Union, dont 63 % directement auprès des Etats-Unis. Une dépendance qui révèle certaines lacunes dans la capacité de production européenne.
Des secteurs encore lacunaires malgré la guerre en Ukraine
Concrètement, malgré l’augmentation des dépenses en matière de défense des pays de l’Union européenne, les commandes auprès d’entreprises en dehors de l’UE ont continué de croître. « La dépendance à l’égard des industries américaines a augmenté au cours de ces cinq dernières années, l’économie de guerre n’a consisté qu’à augmenter les commandes aux Etats-Unis », pointe Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. En matière de munitions, les industries européennes ont notamment subi l’absence de stocks profitant ainsi aux entreprises américaines.
« Les premières lacunes identifiées dans la communication faite après le sommet de Bruxelles évoquent l’artillerie à longue portée où les Européens ne disposent pas d’équipement. Il y a également des lacunes en matière de défense antiaérienne où les Européens malgré des projets en cours de développement restent dépendants d’un système israélo-américain », pointe également le général Dominique Trinquand, spécialiste des relations internationales et auteur « D’un monde à l’autre » aux éditions Robert Laffont. En matière d’aviation, malgré l’existence de producteurs européens, les avions de chasse américains restent plébiscités par les pays européens. « Il y a une importante dépendance européenne en matière d’avions de chasse où beaucoup de pays européens ont fait le choix du F35 américain (Italie, Allemagne et Royaume-Uni). Cette dépendance aux F35 explique en partie le poids des industries américaines dans la commande européenne », précise le général Dominique Trinquand.
Faire converger les besoins européens pour renforcer les capacités de production
« C’est un véritable sursaut d’investissements européens qui est aujourd’hui décidé », assurait Emmanuel Macron le 6 mars après avoir identifié les lacunes de l’industrie de défense européenne. « L’idée est à la fois d’accélérer une remontée en puissance de l’outil militaire des pays européens déjà entamée, tout comme une fortification de la base industrielle et technologique de défense européenne », explique Johanna Möhring, chercheuse associée au Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS-ENS), Paris. Si la Commission européenne et certains Etats européens plaident pour un renforcement et une diversification de la capacité de production de l’industrie européenne, l’UE accuse encore du retard du fait d’une chaîne d’approvisionnement trop spécifique.
« En l’espèce l’argent européen peut financer des industriels étrangers. Même si l’assouplissement des règles d’endettement et la facilitation des prêts peuvent stimuler les dépenses liées à la dépense, cela reste insuffisant pour renforcer les industries européennes en l’absence d’une clause préférentielle pour acheter en Europe », estime Cyrille Bret. En effet, l’industrie européenne de défense se caractérise par une multitude de systèmes complexes et parfois similaires. Par conséquent, la convergence des besoins et des commandes des Européens apparaît comme un moyen de faciliter l’émergence d’une industrie européenne forte. Sur ce point, le général Dominique Trinquand évoque les projets de KNDS, résultat d’une fusion entre les entreprises française et allemande Nexter et KMW. « Actuellement, l’Europe est capable de produire, il faut qu’elle s’organise pour mutualiser les besoins. Des projets sont en cours de développement, notamment entre la France et l’Allemagne sur le projet du char MGCS ou sur le canon CAESAR », explique le général. « La France pourrait former autour d’elle un cluster de compétences dans le domaine de l’armée de l’air », estime pour sa part Johanna Möhring.
« Les fonds européens peuvent aider les entreprises à travailler ensemble sur des projets innovants et contribuer à rapprocher leurs besoins »
Dans son plan pour « Réarmer l’Europe », le Conseil européen souhaite également mobiliser les fonds européens de développement pour soutenir l’innovation européenne. Une initiative déjà à l’œuvre depuis la création du fonds européen de la défense en 2021. Une manne financière de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027 destinée à financer des projets communs en matière de défense. « Les fonds européens peuvent aider les entreprises à travailler ensemble sur des projets innovants et contribuer à rapprocher leurs besoins », assure le général Dominique Trinquand. En mobilisant ce volet de financement, la Commission européenne cherche à faire converger les besoins et commandes des Etats membres. « La Commission tente d’encourager des coopérations et partenariats en termes d’innovation, de développement de nouveaux systèmes d’armements et d’achats en liant des financements avec le fait que les États doivent postuler en consortium », rappelle Johanna Möhring. Cependant, cette partie du plan reste particulièrement nébuleuse et les sommes pouvant être mobilisées n’ont pas encore été détaillées.