Avant son procès, en 2023, les avocats de Vladimir Kara-Mourza lui avaient assuré qu’il ne risquait pas plus de 24 ans de prison, car il était père de trois enfants mineurs. « Mais ils m’ont condamné à 25 ans, c’était démonstratif », raconte-t-il devant les sénateurs, lors de son audition ce 10 avril.
Réticent à témoigner de son expérience personnelle, l’opposant politique russe a tout de même évoqué les conditions de son arrestation et de sa détention à plusieurs reprises lors de l’audition, à commencer par son procès. « En Russie sous Poutine, il n’y a pas de justice, c’est un théâtre. Evidemment, au moment où j’ai été arrêté je savais déjà que j’étais condamné », explique-t-il.
« Ça ressemblait à l’époque de Staline »
Arrêté en avril 2022, après avoir explicitement condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie un mois plus tôt, Vladimir Kara-Mourza a été jugé un an plus tard pour « haute trahison ». « J’ai été incriminé pour cinq discours publics, qualifiés de délits criminels. Des discours contre la guerre en Ukraine, contre la répression et les assassinats politiques en Russie, sur l’illégitimité de Vladimir Poutine au pouvoir », indique-t-il.
Le procès de l’opposant russe s’est tenu à huis clos. « Le juge a fait tout ce qu’il pouvait pour s’assurer que chaque seconde de mon procès soit un enfer personnel pour moi. Il ne m’a pas laissé parler, il n’a pas permis à mes avocats d’ajouter une seule page de documents à la défense », raconte-t-il. Sa condamnation à 25 ans de prison est historique : depuis la chute de l’URSS, c’est la première fois qu’une personne est condamnée pour « haute trahison ».
« Quand j’ai été arrêté, je pensais que mon procès serait proche de celui des dissidents soviétiques des années 1960-1970, mais ça ressemblait plutôt à l’époque de Staline. Le procureur et le juge utilisaient vraiment le lexique stalinien. À la fin de son discours, le procureur m’a pointé du doigt en disant « Devant vous, il y a un ennemi qui doit être puni » », se remémore Vladimir Kara-Mourza.
« J’étais sûr que j’allais mourir »
Sa condamnation à une peine historiquement lourde semble même avoir interpellé les services de police, qui l’ont reconduit en cellule à l’issue du procès, ironise-t-il : « Le chef de l’équipe de policiers m’a regardé, en me disant : « Tu viens de recevoir 25 ans de prison pour cinq discours publics ? ». J’ai dit oui. Il m’a répondu : « J’espère qu’ils étaient bons ces discours ». »
Au micro de Public Sénat, Vladimir Kara-Mourza est également revenu sur ses conditions de détention, dans la colonie pénitentiaire de Omsk, en Sibérie. « Dans le cadre du droit international, l’isolement pendant plus de 15 jours est officiellement reconnu comme une torture. Avant, je ne comprenais pas pourquoi. Mais maintenant que j’ai été à l’isolement pendant un an, je comprends très bien », raconte-t-il, « sans contact humain, difficile de garder toute sa tête. »
Comme seule occupation, Vladimir Kara-Mourza était autorisé à écrire 1 h 30 par jour, ce qui lui a permis de collaborer avec le Washington Post. En mai 2024, quelques mois avant sa libération, il a d’ailleurs reçu le prix Pulitzer du commentaire politique « pour ses articles passionnés écrits au péril de sa vie depuis sa cellule de prison ». Lors de sa détention, le prisonnier politique a aussi pu conserver deux livres, dont un ouvrage d’apprentissage de l’espagnol. « Je pensais que je ne pourrais jamais l’utiliser, j’étais sûr que j’allais mourir dans les prisons sibériennes. Mais, il y a quelques semaines, j’étais à Madrid pour rencontrer des députés du parlement espagnol, j’ai pu pratiquer un peu », confie-t-il.
Vladimir Kara-Mourza a finalement été libéré en août dernier, dans le cadre d’un échange de prisonniers entre 16 dissidents occidentaux, dont le journaliste américain du Wall Street Journal Evan Gershkovich, et 8 ressortissants russes, dont un agent du renseignement condamné pour meurtre. Il aura passé 11 mois à l’isolement.