Iran Expands Military Drills to Protect Nuclear Facilities, Undisclosed – 12 Jan 2025

La dissuasion nucléaire, comment ça marche?

En déclarant vouloir étendre le parapluie nucléaire à ses partenaires européens, le président français a relancé la question de la souveraineté de la dissuasion nucléaire. Depuis la découverte de l’arme atomique au cours de la Seconde Guerre mondiale, la doctrine de la dissuasion nucléaire est promue comme une arme de paix. Explications.
Marius Texier

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Après l’affrontement verbal entre le président américain Donald Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale, Emmanuel Macron s’est dit prêt à discuter dans le cadre d’un « dialogue stratégique » à l’extension de son parapluie nucléaire à ses partenaires européens. « On ne peut pas dire qu’on veut des Européens plus autonomes et considérer qu’on va laisser nos voisins dépendre totalement de la capacité américaine sur le plan de la dissuasion », a-t-il déclaré.

La doctrine de la vulnérabilité mutuelle

En 1945, à la suite des bombardements sur Hiroshima et Nagasaki, qui ont fait près de 150 000 victimes, le monde découvre la capacité destructrice de cette nouvelle invention. Mais c’est aussi son potentiel dissuasif qui est mis en avant. Dès lors, on réfléchit à deux fois avant de se lancer dans un conflit direct avec une puissance dotée de l’arme nucléaire. On rentre désormais dans la doctrine de la vulnérabilité mutuelle, c’est-à-dire une relation entre pays qui se fonde sur la peur. Ce concept, mis en lumière à la fin des années 1940, notamment par le chercheur Bernard Brodie, développe la théorie de la « destruction mutuelle assurée » également appelée « l’équilibre de la terreur ». L’objectif est de montrer à son adversaire que le coût des attaques excède les bénéfices. Il ne s’agit plus ici de gagner la guerre, mais plutôt de l’éviter.

« Il n’y a pas eu de conflits ouverts entre les grandes puissances nucléaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale »

Ainsi, on observe que la dissuasion nucléaire offre une certaine stabilité depuis l’apparition de la première arme atomique, du moins dans les relations directes entre les pays bénéficiant de l’arme. « Il n’y a pas eu de conflits ouverts de haute intensité entre grandes puissances nucléaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, car aucun pays n’est prêt à risquer sa destruction dans une riposte nucléaire à la suite d’une première attaque, conventionnelle ou non », explique Héloïse Fayet, chercheuse à l’IFRI et spécialiste sur les questions de dissuasion nucléaire, dans un entretien accordé à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN).

Pour Dominique Mongin, expert associé au Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS) à l’ENS-ULM et auteur de l’ouvrage, « Histoire de la dissuasion nucléaire depuis la Seconde Guerre mondiale » : « L’arme nucléaire est un élément de stabilité dans les relations internationales et en particulier au moment de la Guerre froide. Elle permet d’éviter toute dérive notamment dans l’emploi d’armes conventionnelles ».

Mais pour être véritablement dissuasif, la dissuasion nucléaire se doit d’être crédible. Héloïse Fayet pointe la « complexité » de se montrer crédible étant donné que les armes nucléaires ne peuvent être utilisées que dans des « conditions réelles » contrairement à des armes conventionnelles. La dissuasion s’effectue alors à l’aide de signalements stratégiques tels que des simulations d’emploi de l’arme ou encore des tests de tirs de nouveaux missiles. L’ensemble de ces méthodes participe à maintenir l’effet dissuasif de l’arme nucléaire.

La course à l’armement comme stratégie de dissuasion nucléaire

Certes, depuis 1945, il n’y a pas eu de conflits ouverts entre les puissances nucléaires. Les perspectives dramatiques d’un tel conflit ont réussi à calmer les tensions lorsque les relations s’envenimaient. Même au moment de la crise des missiles de Cuba en 1962, après que l’URSS ait fait installer des armes nucléaires sur l’île, à quelques kilomètres du territoire américain, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev et le président américain John Fitzgerald Kennedy se sont appelés pour éviter la catastrophe.

Mais cette doctrine de dissuasion nucléaire s’est accompagnée d’une stratégie de course à l’armement. Véritable logique d’influence, l’accumulation d’armes nucléaires, en particulier par les Etats-Unis et la Russie au cours de la guerre froide a provoqué de vives inquiétudes quant à la possibilité de voir émerger un conflit entre les deux puissances.

Au maximum, le stock d’armes nucléaires s’est élevé à près de 70 000 têtes nucléaires entre les Etats-Unis, l’Union soviétique, la Chine, la France et le Royaume-Uni. Malgré les traités de non-prolifération des armes nucléaires, d’autres pays vont également développer l’arme atomique. L’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël viennent s’ajouter à la liste. 9 Etats disposent aujourd’hui de l’arme avec un stock mondial avoisinant les 14 000 têtes nucléaires.

« La France a souhaité montrer l’exemple en faveur du désarmement nucléaire, observe Dominique Mongin. Certains Etats non dotés de l’arme, prônent pour un traité d’interdiction des armes nucléaires. Mais dans un monde sans armes nucléaires, est-ce que la sécurité collective peut-être garantie ? Quid d’un monde complètement dénucléarisé, est-ce que cela œuvrerait en direction d’un monde plus stable dans les relations internationales ? La stabilité est permise par la dissuasion nucléaire ».

La dissuasion nucléaire française

Dès 1954, un programme de recherche sur le nucléaire militaire est lancé en France. Dans cette idée de souveraineté et d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, le général de Gaulle pousse pour le développement d’un nucléaire militaire en France. En 1960, le premier essai est effectué. Concomitamment au développement du nucléaire militaire français, on commence à élaborer la doctrine française de dissuasion nucléaire. Cette dernière vise à assurer la souveraineté du pays en lui garantissant la possibilité de se défendre sans dépendre de l’aide d’une puissance étrangère.

Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri, parle d’une dissuasion du « faible au fort » à savoir que la France peut dissuader un Etat plus fort, doté d’un arsenal nucléaire plus important, de l’attaquer.

« Le concept français est lié à celui de « stricte suffisance » : la France possède de quoi infliger des dégâts équivalents à la « valeur France », afin de rendre le coût d’une attaque contre les intérêts vitaux français supérieurs aux bénéfices qu’un adversaire pourrait trouver dans cette attaque », analyse-t-elle.

L’usage de l’arme nucléaire peut être envisagé à partir du moment où l’on considère que les intérêts vitaux de la nation sont touchés ou peuvent l’être. Ce concept induit une interprétation plus ou moins floue. Généralement, on englobe dans les intérêts vitaux le territoire du pays, sa population et sa souveraineté.

« Le périmètre des intérêts vitaux ne peut pas être précisé, car si on le définit, un État peut chercher à le contourner. C’est le président qui interprète ce qui est d’intérêt vital ou non », précise Dominique Mongin.

Avec sa volonté de vouloir « discuter » autour de la mise en place d’un parapluie nucléaire européen et plus largement d’une défense européenne, le président Emmanuel Macron relance le débat autour de la souveraineté de la défense nucléaire. Cette même souveraineté qui a guidé la stratégie de dissuasion nucléaire.

Sur X, le ministre des armées Sébastien Lecornu a précisé : « Notre dissuasion nucléaire est française, et elle le restera : de la conception et la production de nos armes, jusqu’à leur mise en œuvre sur décision du Président de la République […] Elle protège les intérêts vitaux de la France, que le chef de l’Etat est seul à définir ».

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