Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Israël : quels sont les enjeux de la réforme judiciaire controversée du gouvernement de Netanyahou ?
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Le 4 janvier 2023, le ministre israélien de la justice présentait son projet de réforme judiciaire, visant à renforcer le pouvoir des élus et de l’exécutif, en restreignant celui des magistrats, régulièrement pris pour cibles par le Premier ministre israélien et sa coalition gouvernementale de droite et d’extrême-droite. Nul ne s’attendait à ce que le parcours de la réforme rencontre une telle mobilisation populaire. Les mesures envisagées devaient d’abord constituer un seul et même projet de loi, elles seront finalement reprises progressivement dans plusieurs textes. Aujourd’hui se jouait le sort de la « clause de raisonnabilité », qui permet aux juges d’annuler des décisions du gouvernement, jugées « déraisonnables » : les députés israéliens ont donc tranché, en approuvant par 64 voix (sur les 120 sièges que compte le Parlement israélien) l’abolition de cette clause.
Quel effet l’adoption de cette loi aura-t-elle sur l’équilibre des pouvoirs en Israël ? Que nous dit-elle de la situation politique du pays ? Pour faire la lumière sur les enjeux de ce vote, publicsenat.fr a recueilli les analyses de Denis Charbit, professeur de sciences politiques à la Faculté des Sciences humaines de l’Open Université d’Israël et auteur de Israël et ses paradoxes (éditions Le Cavalier Bleu), et de Daniel Shek, ancien ambassadeur d’Israël en France.
La disparition d’un garde-fou
Denis Charbit estime que le projet de réforme de la justice porté par le gouvernement israélien est « un tournant qui modifie considérablement l’équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement, d’une part, et l’institution judiciaire, d’autre part. » En effet, la clause de raisonnabilité était une prérogative centrale confiée à l’autorité judiciaire pour contrebalancer le pouvoir de l’exécutif et garantir la nature démocratique du régime.
Elle a, par exemple, été invoquée en janvier dernier par la Cour suprême israélienne pour invalider la nomination d’Arié Deri comme ministre de l’Intérieur et de la Santé, celui-ci ayant été reconnu coupable de fraude fiscale. Plus que le nombre de fois où elle a été utilisée, c’est surtout le caractère dissuasif qu’elle exerce sur les autorités publiques qui importait, selon Denis Charbit : « C’était surtout une fonction de régulation. Cela a permis à des dizaines, des centaines de projets inconsistants ou contrevenants à l’intérêt général de ne pas aboutir, car il y avait cette possibilité pour la justice de dire ‘stop’. Désormais, il est vraisemblable que nous aurons demain des décisions qui ne seraient pas passées antérieurement, car on craignait l’intervention de la justice. »
Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France de 2006 à 2010, dénonce, lui aussi, l’attaque portée à l’encontre de la démocratie israélienne : « C’est une ouverture qui va faciliter la poursuite par le pouvoir d’une tentative de changement de régime, visant à l’éradication, sauf dans les mots, de la démocratie israélienne. » Il ajoute que retirer des pouvoirs à l’institution judiciaire, en particulier aux juges de la Cour suprême israélienne, est « beaucoup moins anodin en Israël qu’ailleurs » car « la Cour suprême est le seul véritable contre-pouvoir aux institutions », en raison de la nature de son régime politique (république parlementaire monocamérale) et de l’absence de constitution. Là où certains seraient tentés de considérer l’adoption de cette loi comme une simple stratégie pour Netanyahou de réduire les pressions qu’il subit au sein de sa coalition, Daniel Shek se montre plus alarmant : « Cette bataille sur la justice est une volonté du gouvernement de s’emparer du dernier contre-pouvoir et de faire en sorte que la justice soit entièrement dépendante du gouvernement. »
Une mobilisation populaire exceptionnelle
« La société civile se mobilise d’une manière inédite et avec une persévérance complète, » affirme Daniel Shek. Trois jours seulement après l’annonce de la réforme par le ministre israélien de la justice, plus de 20 000 manifestants se sont réunis à Tel-Aviv, dénonçant une réforme qu’ils considèrent comme un basculement sans précédent dans l’autoritarisme. La mobilisation s’est vite propagée au dehors de la capitale, gagnant Haïfa, Jérusalem et nombre de villes côtières.
Si le nombre de manifestants a varié au cours des sept mois qui se sont écoulés, la contestation a été continue et a atteint des records de participation. Outre la durée, son caractère « unique » tient au motif même des manifestations, selon Denis Charbit : « Ce n’est pas une mobilisation ayant trait à des enjeux sécuritaires ou sectoriels, c’est vraiment sur les fondamentaux. »
Le professeur de sciences politiques souligne également la diversité des modes de contestation employés par les manifestants. « Il y a une vraie créativité en termes de manières de manifester. » déclare-t-il, avant d’évoquer la marche de quatre jours, ralliant Tel-Aviv à Jérusalem, organisée la semaine dernière. Samedi, ce sont près de 220 000 personnes qui sont entrées dans la ville Sainte pour protester contre cette réforme.
Concernant le profil des manifestants, Denis Charbit explique que la mobilisation est principalement portée par les élites israéliennes, même si l’on trouve des personnes issues des classes moyennes. En revanche, « ceux qui sont dans les implantations, ceux qui sont très religieux ou de droite soutiennent la réforme ».
Une opposition qui trouve un écho à la Maison Blanche
Le projet de réforme de la justice israélienne et la vive opposition qu’il suscite aura même réussi à faire sortir du silence l’allié américain. En effet, dans la nuit de dimanche à lundi, le président des Etats-Unis Joe Biden a donné une interview dans laquelle il émet des réserves quant à l’entêtement du gouvernement israélien à conduire sa réforme.
A cet égard, selon Denis Charbit, « c’est assez surprenant car c’est la première fois qu’un président américain se prononce sur les affaires intérieures d’Israël. Là, cela porte sur un mécanisme institutionnel. En théorie, personne n’a à se prononcer sur le régime intérieur d’un pays. » Il évoque « un moyen de pression » de la part des Etats-Unis, mais doute de son efficacité à influencer le devenir de la réforme.
« Vraisemblablement, on ne va pas s’arrêter là » (Denis Charbit)
« Ce qui s’est joué à la Knesset aujourd’hui, je dirais que c’est un premier acte dans une bataille qui n’est pas terminée sur l’avenir de la démocratie israélienne. » prédit l’ancien ambassadeur d’Israël, Daniel Shek.
En effet, d’autres mesures, annoncées en janvier dans le projet de réforme de l’institution judiciaire, pourraient faire l’objet de futures lois examinées par le Parlement. La modification du mode de désignation des juges semble être la prochaine sur la liste. Selon Denis Charbit, en s’attaquant au mode de nomination des juges, le gouvernement entend peser sur qui peut devenir juge : « Le but est de neutraliser la Cour suprême, on veut pouvoir nommer des gens plus favorables au gouvernement. » Nul doute que ce prochain chapitre sera marqué d’autant de protestations que le précédent.
Lucie Garnier
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