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Iran : « Au sein de la jeunesse, il y a un rejet très fort de l’islam politique, voire de l’islam tout court »

Que se passe-t-il aujourd’hui en Iran ? La semaine dernière, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a dénoncé un durcissement récent du contrôle des femmes sans voile. Dans le même temps, Paris juge « inacceptable » la condamnation à mort du rappeur Toomaj Salehi, emprisonné pour son soutien au mouvement Femme, Vie, Liberté. Pour Public Sénat, Farid Vahid, spécialiste de l’Iran et co-directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès, analyse le durcissement de la République islamique.
Steve Jourdin

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L’attaque de drones du 13 avril sur Israël a fait passer au second plan ce qu’il se passe à l’intérieur de la République islamique. Que se passe-t-il aujourd’hui en Iran ?

 

On assiste à une vague très agressive de répression. Cela se passe dans toutes les villes du pays et dans tous les quartiers, même les plus bourgeois et occidentalisés. Le régime joue un jeu très opaque, avec beaucoup de miliciens en civil qui sont envoyés pour harceler et rappeler à l’ordre les femmes qui ne portent pas le voile. L’envoi de miliciens permet de ne pas endosser directement la responsabilité d’un éventuel incident, les leçons de l’affaire Mahsa Amini ont été tirées par le régime.

Il faut noter que cette nouvelle vague de répression avait été annoncée par le Guide suprême, dans le même discours que sa promesse de représailles contre Israël après l’attaque du consulat en Syrie. Il a mis les deux choses en parallèle, réaction militaire et voile, comme si les deux participaient d’une même logique.

 

Comment se manifeste cette répression à l’encontre des femmes ?

 

Aujourd’hui, avec le retour du printemps, on voit beaucoup de femmes qui n’arborent plus rien sur la tête. Mahsa Amini a donné un souffle de courage immense ! Les femmes ont passé l’étape du tabou. Elles assument avoir les cheveux à l’air libre. Or, pour le régime, le voile est un enjeu fondamental, car il est fondé sur le contrôle du corps des femmes. Le code vestimentaire obligatoire pour les femmes a évolué depuis les années 1980, mais il est toujours interdit de montrer des jambes, des bras et des cheveux.

Par le passé, les Iraniennes ont beaucoup joué avec ces règles, et le corps est devenu un espace de combat politique. Aujourd’hui, dans beaucoup de grandes villes, le refus de port du voile est devenu hors de contrôle. Le régime est dépassé. Cela ne concerne pas seulement Téhéran, qui est une ville extrêmement cosmopolite, mais aussi Ispahan et l’Ouest du pays qui est moins peuplé. C’est un mouvement général, sur lequel le régime n’a plus prise et contre lequel il tente de reprendre la main.

 

 

Où en est aujourd’hui le mouvement « Femme, vie, liberté », est-ce que la répression a eu raison de lui ?

 

Il faut sortir du schéma traditionnel mouvement-mobilisation. En Iran, il n’y a pas de CGT ou de syndicats libres comme en France. Il faut plutôt s’intéresser à l’évolution des mentalités et des mœurs. Tout va très vite, nous assistons actuellement à un grand mouvement de sécularisation de la société iranienne. L’idée de laïcité est très populaire au sein de la jeunesse, il y a un rejet très fort de l’islam politique, voire de l’islam tout court.

Il n’y a certes pas de manifestations dans les rues, mais les gens continuent de discuter, d’échanger, de réfléchir. Aujourd’hui, il suffit d’une étincelle pour que la mobilisation reparte de plus belle, car le mouvement n’est pas mort. Depuis quatre décennies, le régime tient sur une propagande islamiste insufflée dès le plus jeune âge, et force est de constater que malgré cela la jeunesse s’occidentalise de façon quasi irrémédiable. Aucune dictature au monde ne connaît un tel décalage avec sa société !

 

 

Le rappeur Tommaj Salehi, figure du mouvement Femme, Vie, Liberté, vient d’être condamné à mort par le régime. Qui est-il et que lui reproche-t-on ?

 

Tommaj était déjà bien connu des Iraniens avant le mouvement, il s’agit du rappeur le plus engagé contre la République islamique. C’est lui qui a brisé le plus de tabous, en disant les choses très clairement après la mort de Mahsa Amini. Il a tout de suite pris position en descendant dans la rue. Il a été arrêté, torturé puis relâché, avant de reprendre le combat puis d’être à nouveau arrêté.

Aujourd’hui, en le condamnant à mort, le régime veut casser un symbole et montrer où sont les lignes rouges. Il s’agit de faire peur, pour un régime qui s’est construit sur la terreur et l’arbitraire. L’idée est d’effrayer tous ceux qui seraient tenter de suivre son combat. Et d’empêcher les jeunes ou autres célébrités de prendre position contre le régime.

 

Que peut faire la France ? Certains demandent l’exclusion de l’Iran des JO de Paris…

 

Il faut savoir que le voile est obligatoire pour les sportives iraniennes, même en natation. A Paris, les femmes seront donc obligées de se voiler et, si elles refusent, ne pourront pas revenir en Iran. Le Comité olympique doit prendre cela en compte avant de prendre une quelconque décision. De manière générale, les sanctions occidentales doivent être beaucoup plus fortes et beaucoup plus ciblées contre les dignitaires du régime. Certains continuent à faire des allers-retours en Occident sans être inquiétés. Il faut agir, ne pas se contenter de mots et de communication. Dans le même temps, la France ne doit pas abandonner la société civile iranienne, notamment en matière de coopération scientifique, qui est en train de sérieusement décrocher.

 

 

Sur les réseaux sociaux, le guide suprême Ali Khamenei a salué les mobilisations pro-Gaza qui ont lieu actuellement en France et dans le monde. Quel message tente-t-il de faire passer aux Iraniens ?

 

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a dans l’ensemble beaucoup d’indifférence chez les Iraniens au sujet du conflit israélo-palestinien. La population déplore les morts des deux côtés, elle est sensible au sort des civils palestiniens, mais il y a aussi beaucoup de haine contre le Hamas car c’est un allié de la République islamique et que les Iraniens sont bien placés pour connaître les cruautés de l’islam politique.

Les étudiants français doivent faire attention aux images qu’ils renvoient au monde. Il ne faut pas tomber dans la naïveté, il y a une guerre de désinformation et de récupération orchestrée par l’Iran au Moyen-Orient. Pour la République islamique, ces images sur les campus sont  du pain béni ! Les dignitaires du régime vont en profiter pour les manipuler et continuer leurs tentatives de déstabilisation à l’étranger, avec peut-être une volonté de créer des tensions à l’approche des JO de Paris.

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