Kamala Harris campaign rally in Savannah, Georgia, USA – 29 Aug 2024

Interview sur CNN : « Kamala Harris mène une campagne centriste »

Après quarante jours de campagne, Kamala Harris a accordé ce jeudi sa première grande interview à CNN. La candidate démocrate à la Maison Blanche a défendu ses idées sur l'énergie, l'immigration et Israël, et a jugé que l'Amérique était "prête à tourner la page" Trump. Elisa Chelle, professeure de science politique à l’Université Paris Nanterre et rédactrice en chef de la revue Politique américaine, analyse la « stratégie centriste » d’une candidate qui tente de limiter les risques avant le débat face à l’ancien président prévu le 10 septembre.
Steve Jourdin

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Pourquoi Kamala Harris a attendu autant de temps avant de se livrer à l’exercice de l’interview télévisée ? 

Elle a effectivement été particulièrement prudente cet été. Elle s’est concentrée sur la préparation et la tenue de la convention démocrate, dont le but est de mobiliser les électeurs et de lever des fonds. Harris n’avait pendant cette période aucun intérêt à prendre des positions trop clivantes. Sa stratégie est simple : aller à la conquête de l’électeur médian, hésitant, voire même séduire les républicains modérés. Elle fait une campagne centriste. En même temps, elle marche sur une ligne de crête car elle a un bilan à défendre en tant que vice-présidente et doit se positionner en tant que challenger. Sa tactique est d’en dire le moins possible, ne pas prendre de risques afin de se présenter comme l’alternative à Trump. 

Sur le fond, nous n’avons pas appris grand-chose de l’interview, hormis le fait qu’elle “n’interdirait pas” la fracturation hydraulique et qu’elle poursuivrait la politique américaine actuelle au Proche-Orient… 

Dans ce genre de format d’interview télévisée, Kamala Harris est moins à l’aise que dans les grands meetings de la convention démocrate où tout est scripté à l’avance. Nous avons eu le droit à des réponses vagues, voire à des non-réponses. Les médias américains avaient fait beaucoup de bruit autour de cette première grande interview. Elle a duré moins d’une demi-heure, ce qui n’est pas très long. Et cela a parfois été ennuyeux. Mais être lisse était aussi un objectif pour elle, car cela permet de ne pas donner d’angle d’attaque à Donald Trump et aux républicains. 

Elle a aussi livré sa version du retrait de Joe Biden, en racontant comment elle avait appris, autour d’un petit-déjeuner familial, que le président lui passait le relais, à l’occasion d’un coup de téléphone surprise…

Elle a tout fait pour noyer le poisson, en multipliant les détails futiles (“Ma famille était avec moi, y compris mes nièces, et nous venions de manger des pancakes », ndlr.). Harris ne révèle rien de ce que lui a dit Biden. Et c’est compréhensible car elle ne veut pas que le retrait du président américain passe pour une stratégie réfléchie du parti démocrate. Or, ce que l’on comprend depuis plusieurs semaines, c’est que ce scénario avait en fait été préparé de longue date ! La question n’était pas de savoir si Biden allait se retirer, mais plutôt quand. 

Les démocrates ont cherché le moment le plus opportun, qui s’est présenté après la nomination de J. D. Vance sur le ticket de Donald Trump. En annonçant dans la foulée de cette nomination l’abandon de Joe Biden, cela ne laissait certes que trois mois aux démocrates pour faire campagne mais cela prenait aussi complètement à revers les républicains qui avaient construit toute leur campagne autour de la figure de Joe Biden. Très rapidement les ténors démocrates se sont ralliés à Kamala Harris, les procédures de nomination à la convention ont été adaptées et des films ont même été produits en un temps record sur la vie de Kamala Harris. Résultat : on ne parle plus aujourd’hui dans le débat public de la tentative d’assassinat de Donald Trump mais presque exclusivement de la candidature Harris. 

Kamala Harris ne met jamais en avant sa couleur de peau ou son genre. Est-ce que cela fait partie d’une stratégie politique, à l’image de celle mise en place par Barack Obama à l’époque ?

C’est effectivement une stratégie post-raciale. Comme Barack Obama, Kamala Harris n’est pas une gauchiste. Pour qu’elle remporte l’élection, l’électorat de Bernie Sanders est important mais n’est pas suffisant. Elle a besoin d’élargir sa base. Avec des déclarations trop à gauche, Harris risque de faire fuir l’électorat modéré. En se disant favorable au gaz de schiste par exemple, elle vise l’électorat de la Pennsylvanie, un État dont l’économie repose en grande partie sur le « fracking », la fracturation hydraulique. Modérer ses positions sur l’environnement, tout en assurant ne pas avoir changé d’opinion et en promettant de lutter contre le réchauffement climatique, permet de parler à ces millions d’Américains qui vivent dans des États dont l’économie repose sur l’extraction de pétrole. 

Le colistier de Kamala Harris, Tim Walz, participait aussi à l’interview accordée à CNN. Qu’est-ce qu’il apporte politiquement aujourd’hui à la candidate démocrate ? 

Chaque vice-président aurait eu des caractéristiques politiquement intéressantes. Tim Walz ’n’apporte pas’ avec lui un swing state, car il est gouverneur du Minnesota, un Etat démocrate. Il a exactement le même âge (60 ans, ndlr.) que Kamala Harris, mais son apparence lui permet de faire écho à l’électorat blanc, plutôt âgé, qui était favorable à Biden mais n’était pas particulièrement enthousiaste à l’idée de voter Kamala Harris. Walz a l’avantage de ne pas être un technocrate, il n’est pas avocat et n’a pas fait les grandes écoles américaines. De plus, il vient d’un État rural (Nebraska), parle un langage simple et a une certaine bonhomie. Autre avantage : il jouit d’une vraie implantation dans le milieu syndical, ce qui n’est pas négligeable alors que Trump tente d’attirer vers lui le vote de certains syndicats. 

Le 10 septembre aura lieu le débat entre Kamala Harris et Donald Trump, que faut-il en attendre ? 

Les deux camps se sont écharpés ces derniers jours autour de la question de savoir s’il fallait ou pas laisser les micros ouverts pendant les échanges. A l’occasion du débat Trump-Biden du mois de juin, le camp républicain, qui y était au départ opposé, s’est rendu compte que fermer les micros profitait en fait à Donald Trump, car cela lui permettait d’apparaître plus posé, plus respectable. Aujourd’hui, Kamala Harris souhaite que les micros restent ouverts, car elle estime qu’il faut laisser Trump faire du Trump, lui laisser dire des choses vulgaires et outrancières qui ont pour effet d’effrayer les électeurs modérés. Elle considère que plus Trump fait du Trump, et plus elle apparaît comme la représentante du camp de la raison. De son côté, Donald Trump espère pousser Kamala Harris à la faute. Il souhaite l’amener sur le terrain de l’invective et la faire sortir de ses gonds. Cela va être intéressant d’observer comment la démocrate va désamorcer ses attaques.

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