Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Guerre en Ukraine : « Malgré 500 jours de combats, on arrive à une situation où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu » estime le Général Christophe Gomart
Par Henri Clavier
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Après presque 500 jours d’affrontements ? Quelle est la situation actuelle sur le front ?
Le front est peu stable, mais il n’y a pas beaucoup d’évolutions. La Russie comme l’Ukraine essaient de trouver l’endroit le plus faible du front afin de pouvoir le percer pour investir massivement ce point. Les Russes essaient plutôt de se concentrer sur le nord-est tandis que les Ukrainiens sont davantage sur le sud. Actuellement, on est plutôt dans un équilibre des forces. Pour les deux camps il y a une difficulté relative à la transparence de cette guerre, on a beaucoup de renseignements en OSINT [c’est-à-dire en open source], il n’y a jamais eu autant de drones dans une guerre. Les mouvements de troupes sont extrêmement difficiles à cacher et donc la brèche sera difficile à ouvrir.
Le conflit est-il en train de se figer durablement autour de la ligne de front actuelle ?
Les deux forces sont cependant de nature différente, les Russes peuvent compter sur une masse de troupe importante avec à peu près 300 000 hommes voire un peu plus. Côté Ukrainien, c’est plutôt aux alentours de 150 000 en termes d’effectifs, avec néanmoins une supériorité technologique grâce aux équipements fournis par les Occidentaux. Mais l’une des difficultés lorsque l’on attaque, donc dans le cadre de la contre-offensive ukrainienne, c’est qu’il faut une supériorité numérique. En règle générale il faut un rapport de force de trois contre un lorsque l’on cherche à reprendre un territoire d’une part du fait de l’instinct de survie des défenseurs qui parfois ne peuvent pas se retirer et d’autre part par la maîtrise du terrain, en l’occurrence les Russes ont miné massivement la zone de front, donc la reconquête sera forcément difficile. Comme disait le général américain Milley, il est difficile d’imaginer des évolutions avant six à dix semaines.
D’un côté comme de l’autre, est-ce que cet équilibre peut se maintenir ? Est-il possible de maintenir le flux de troupes ou de matériels ?
C’est une difficulté pour chacun des deux camps. Les Russes doivent conserver cet avantage de masse, ce qui explique en partie la volonté d’intégrer Wagner à l’armée russe. Du point de vue matériel, on a beaucoup parlé de la différence que pourrait entraîner la livraison des F16 américains, personnellement je ne suis pas convaincu que l’aviation puisse faire durablement évoluer la situation. La doctrine militaire de l’OTAN consiste à utiliser l’aviation et les bombardements pour créer une ouverture, mais ce n’est pas du tout la doctrine russe qui repose sur un recours massif à l’artillerie, leur aviation est d’ailleurs peu engagée. C’est une stratégie qui demande beaucoup de matériels, notamment des obus, et on remarque que les Russes ont réduit le nombre de tirs donc c’est un signe que les stocks sont peut-être réduits. Néanmoins la Russie dispose de sa propre industrie d’armement et peut s’appuyer sur un stock de munitions très important et continue à être indirectement soutenue par la Chine. Côté Ukrainien c’est plus important, les Occidentaux ont plus de difficultés à maintenir un approvisionnement important, notamment de munitions.
Finalement est ce que la situation sur le front n’est pas dans une impasse stratégique ?
Ça y ressemble, on est dans une situation où aucun des deux belligérants ne peut remplir l’intégralité de ses objectifs stratégiques et remporter la guerre. Depuis le début de la guerre, la Russie a largement réajusté sa stratégie. A l’origine Poutine pensait pouvoir obtenir une victoire rapide en provoquant le départ de Zelensky et faire de l’Ukraine un état vassal comme la Biélorussie servant aussi de bouclier contre l’OTAN. Au final c’est un échec, donc l’armée russe se concentre sur le Donbass.
Doit-on s’attendre à ce que le conflit change de nature ?
Si la situation en reste là, on peut imaginer que le conflit baisse progressivement en intensité. Malgré 500 jours de combats, on arrive à une situation où il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Aujourd’hui, l’Ukraine ne peut pas reprendre le contrôle de l’intégralité de son territoire et Poutine ne peut pas faire chuter le pouvoir ukrainien. Ce qui est plausible, c’est que le conflit baisse en intensité et que l’on se retrouve dans une situation plus grise, proche de du Donbass après 2014. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il s’agit d’un conflit à haute intensité comme nous n’avions plus l’habitude d’en voir avec des pertes humaines extrêmement importantes, on estime qu’il y a plus de 100 000 morts de chaque côté.
La voie diplomatico-politique peut-elle être une issue ?
Ça pourrait être une solution, mais encore une fois cela va dépendre des principaux soutiens de chacun, à savoir la Chine et les Etats-Unis qui entretiennent eux-mêmes des relations très compliquées donc difficile de les voir infléchir facilement leur position. Concrètement, même si c’est très peu probable, si l’OTAN s’engageait dans le conflit, alors il pourrait y avoir un changement majeur de circonstances. C’est aussi pour cette raison que la contre-offensive a été lancée, pour donner des gages à l’OTAN. Volodymyr Zelensky prépare le sommet de Vilnius qui est décisif pour lui. Le président ukrainien espère être invité à rejoindre l’OTAN à l’issue de ce sommet qui se déroule les 11 et 12 juillet. En vérité, il y a assez peu de chance que cela se fasse aussi rapidement.
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