Russia Ukraine War

Guerre en Ukraine : « Le véritable bilan de la contre-offensive se fera cet hiver »

Ce mercredi, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a annoncé que les Etats-Unis allaient fournir à l’Ukraine des munitions anti-chars contenant de l’uranium appauvri. Sur le terrain, la contre-offensive de Kiev se poursuit, malgré la determination du Kremlin et de nouvelles frappes meurtrières dans la région d’Odessa. Pour Christine Dugoin-Clément, chercheuse à la Chaire Risques de l'IAE Paris-Sorbonne, le premier bilan de la contre-offensive ukrainienne ne pourra pas se faire avant l’hiver. Entretien.
Steve Jourdin

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La livraison de munitions anti-chars contenant de l’uranium constitue-t-elle un nouveau cap dans l’aide américaine ?

 Pas spécialement. Nous sommes surtout dans le domaine du symbolique. Il s’agit de réaffirmer un soutien clair et franc, dans un contexte où la Russie mise sur l’usure des Occidentaux et sur le retour de Donald Trump à la Maison Blanche après l’élection présidentielle de novembre 2024. D’un point de vue technique, l’uranium appauvri permet de décupler la capacité de perforation sur le terrain. C’est très utile contre les blindés, et l’Ukraine pourra compter dessus dans sa contre-offensive.

La contre-offensive ukrainienne a débuté au mois de juin. La semaine dernière, Kiev a annoncé avoir percé la première ligne de défense russe dans le sud de l’Ukraine. Sommes-nous à un tournant du conflit ?

 La percée de Robotyne constitue une brèche, qui doit encore être élargie pour gagner en efficience. Cela prouve en tout cas qu’il est possible d’avancer sur les lignes de défense russes. Il sera intéressant de voir si les Ukrainiens parviennent à stabiliser cette percée, et à la pousser plus loin afin de gagner des espaces de manoeuvre. Jusqu’à présent, ils étaient confrontés à des zones de minage très denses, ce qui limitait les possibilités de mobilité. Cette densité est peut-être moins forte à présent, et les choses sont susceptibles de s’accélérer.

Psychologiquement, cette percée est importante, car il s’installait peut-être une forme d’usure chez les Occidentaux qui espéraient une reprise rapide des territoires. Or, une telle reprise était assez peu probable, car les Russes ont eu, avant le lancement de la contre-offensive, un certain temps pour fortifier leurs positions. Lorsque vous devez reprendre un tel territoire, vous êtes dans une position moins favorable que lorsque vous la défendez. Il fallait donc s’attendre à une reconquête longue et délicate.

Les militaires ukrainiens espèrent être proches d’une percée plus générale, qui leur permettrait d’accéder à la Crimée, annexée par Moscou en 2014. Est-ce que cela semble envisageable ?

 C’est l’objectif final de l’armée ukrainienne. Mais à court terme, il semble très compliqué de l’imaginer rejoindre la côte. Les Ukrainiens cherchent actuellement à gagner des espaces de manoeuvre, dans le but de préparer quelque chose au printemps prochain.

Le véritable bilan de la contre-offensive se fera au moment de l’hiver, car il y aura inévitablement un ralentissement du conflit en raison de la météo. Il faut attendre que les choses se ‘calment’ un peu et que les positions se précisent. Ce que l’on peut dire aujourd’hui, c’est que les Ukrainiens n’ont pas gagné de terrain de manière massive, mais n’en ont pas non plus perdu beaucoup malgré la puissance de l’armée russe.

Dimanche dernier, Volodymyr Zelensky a annoncé le remplacement de son ministre de la Défense, Oleksii Reznikov, par l’ancien député tatar Roustem Oumerov. Quelle analyse faites-vous de ce remaniement ?

 Il faut y voir un symbole. Oumerov est un tatar de Crimée, une minorité musulmane opprimée par la Russie. Sa famille a été déportée par Moscou, il a donc un lourd passif avec la Russie. Il est par ailleurs engagé dans différentes actions pour le respect des droits humains et à une image d’homme incorruptible. Volodymyr Zelensky souhaite ainsi donner des gages aux Occidentaux en matière de lutte contre la corruption. Il sait qu’il va encore avoir besoin du soutien financier de l’Europe et des Etats-Unis, et veut donc montrer patte blanche.

Les Etats-Unis ont annoncé qu’ils formeraient des pilotes ukrainiens à partir de septembre au maniement de l’avion de combat F-16. La Norvège, les Pays-Bas et le Danemark ont promis de livrer plusieurs appareils de ce type à Kiev. Est-ce que cela va modifier les rapports de force sur le terrain ?

 Les F-16 ne renverseront pas le cours de la guerre. Les avions qui vont être livrés ne sont pas neufs, ils ont un certain âge. Ils ne sont compatibles qu’avec un certain système d’armement et vont potentiellement se retrouver face à des avions russes de nouvelle génération qui sont de capacité supérieure. C’est donc une aide importante, mais pas forcement décisive.

Par ailleurs, ces avions ont besoin d’être armés. Il va donc aussi falloir livrer des missiles à Kiev. Un avion est une plateforme qui a besoin de beaucoup de choses pour fonctionner : des hommes au sol, des pièces de rechange, des logiciels de gestion de la maintenance. Si vous n’avez pas tout cela, ces engins deviennent des cibles au sol. Les F-16 ont été construits dans les années 1980, en pleine Guerre froide, dans une logique d’opposition est-ouest. Ils ne sont pas pensés pour le conflit actuel. Néanmoins, symboliquement, cette livraison représente un pas de plus de l’Ukraine vers l’intégration à l’Otan.

Ce jeudi, la Russie a annoncé que des drones ukrainiens avaient été abattus en territoire russe, dont un au sud-est de Moscou. Quel est l’objectif de ces incursions ?

 Montrer que l’on peut frapper loin, dans la profondeur. Certes, les effets sur le déroulé du conflit restent très modérés. Mais l’idée est de démontrer que même si l’on stagne sur les lignes de front en territoire ukrainien, d’autres choses se passent ailleurs, au coeur même de la Russie. En définitive, cette guerre est un mélange de conflit extrêmement moderne avec l’utilisation d’armes très sophistiquées, et un conflit à haute intensité sur le modèle du siècle dernier.

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