Des témoignages forts, dont les mots ne suffisent pas à décrire la situation humanitaire « dramatique ». Invités à s’exprimer sur ce qu’ils ont vécu et vu à Gaza, le médecin humanitaire français Raphaël Pitti et des soignants de Palmed tirent la sonnette d’alarme face à « l’inaction » de la communauté internationale et le « deux poids, deux mesures » au regard du conflit en Ukraine.
Entre constat « effroyable », volonté d’un « cessez-le-feu immédiat » et « sanctions fortes » contre l’Etat hébreu, médecins, et ONG ont convergé dans la même direction.
« C’est la première fois en 30 ans de carrière que je me retrouve confronté à une telle situation »
Une situation d’une « exceptionnelle gravité », « une population totalement désœuvrée », « des snipers qui tirent sur tout ce qui bouge », des « problèmes infectieux majeurs ». Devant une audience suspendue à son récit, le médecin-anesthésiste-réanimateur, Raphaël Pitti, qui est intervenu à Rafah, au sud de la bande de Gaza près de la frontière égyptienne en compagnie d’une délégation humanitaire, a décrit l’inimaginable.
Evaluant le besoin à « 25 000 lits » contre seulement « 1 000 » actuellement du fait d’« hôpitaux atteints » et de « bombardements très ciblés sur les structures médicales », le médecin, comme les autres intervenants, ont réclamé un « cessez-le-feu immédiat », et « pas simplement une trêve humanitaire ».
Pire encore, la « famine » n’épargne quasiment personne : « 1 enfant de moins 2 ans sur 6 est en situation de malnutrition aiguë et 2.2 millions de personnes sont en risque de famine » selon l’ONG Action contre la faim, qui parle même de « jamais vu ». « Les marchés et les boulangeries sont frappées », ces dernières ayant été divisées par 6 (de 97 à 15).
Famine d’un côté, et insalubrité totale de l’autre : « 80% des ménages n’ont pas accès à l’eau salubre », « 90% des enfants sont atteints d’une maladie infectieuse », et la population n’a « accès qu’à seulement 15% de l’aide alimentaire » dépeint l’ONG, qui estime « n’avoir jamais vu un tel niveau d’horreur ». « Concernant les accouchements, les femmes doivent sortir de 3 à 6 heures plus tard », décrit un gynécologue, avec un « froid insupportable le soir », « des enfants qui meurent en hypothermie » et des césariennes qui ne durent « que 15-20 mn, car nous ne pouvons pas transfuser ».
« Nous avons été une goutte dans l’océan de leur bain de sang »
Iman Marifi, infirmière, dresse un constat encore plus terrible pour la population gazaouie, parlant successivement de « bain de sang », « carnage », « boucherie », « détresse humanitaire », « génocide » ou encore « rencontre du troisième type », qui estime que le convoi humanitaire n’a constitué qu’ « une goutte dans l’océan de leur bain de sang ». « Je ne sais plus quoi faire » se désole l’infirmière, qui lance à l’auditoire : « Nous sommes tous nés pour être enterrés par nos enfants et non pas l’inverse ».
L’ « horreur innommable », c’est également le constat de Pascal André, pédiatre. Horreur renforcée par la difficulté des ONG de pénétrer dans la bande de Gaza : « Il a fallu attendre 3 mois et demi » déplore Raphaël Pitti. « Un cauchemar filmé au quotidien (…) même à Alep, ce n’était pas ça », renchérit un gynécologue.
Le docteur Khaled Benboutrif décrit de son côté « un environnement très hostile, les cris des blessés et des familles » ainsi qu’un « nombre effroyable de personnes sur un espace très restreint ». Preuve de la situation sanitaire et hospitalière désastreuse, le médecin urgentiste relève que « 12 hôpitaux sur 13 ont été détruits » à l’exception de l’hôpital européen. « On travaillait par terre », « il n’y avait pas un mètre carré de libre » se souvient-il encore, relevant que « 50% des victimes sont des enfants ». A ce titre, il livre le récit terrible de mères enceintes tuées sous les bombardements et dont les médecins ont réussi à extraire vivants les enfants, racontant que par la suite, « l’armée israélienne les a arrachés » avant qu’ils soient retrouvés le lendemain, « tous les 4 morts dans un terrain vague ». Une anecdote terrible, qui fait écho aux paroles prononcées quelques instants plus tôt par Iman Marifi : « Je me bride à ne pas raconter toutes les histoires que j’ai en tête ».
« Israël se comporte comme un Etat paria »
Pour tous les intervenants, le grand responsable de cette situation, est l’Etat hébreu. Pierre Motin, responsable plaidoyer à la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, souligne le « rôle d’arbitre » milite pour deux axes de recommandations. D’abord, sur le plan humanitaire, il demande comme l’ensemble des intervenants, « un cessez-le-feu durable et immédiat », « un engagement des nations pour continuer le financement de l’UNRA » (Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction) ainsi qu’un « accès sans limite de l’aide humanitaire à l’intérieur de la bande de Gaza ».
« Israël ne veut rien entendre des obligations qui lui sont faites », estime pour sa part Raphaël Pitti, pour qui « il n’y a que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ». Lui plaide pour un « ultimatum humanitaire » à l’encontre de l’Etat hébreu. « Israël se comporte comme un Etat paria » continue le médecin, qui juge qu’en cas de non-respect du droit humanitaire international, « nous devons isoler Israël de la communauté internationale ». Les médecins dénoncent notamment l’absence de tout couloir humanitaire, « la première fois depuis 25 ans ».
Dans la même lignée, le docteur Khaled Benboutrif, décrit ce qu’il estime comme constitutifs de crimes contre l’humanité : « Une société civile ciblée par les exactions d’une armée régulière », le « déplacement systématique de la population gazaouie », « une situation de famine causée par un siège qui a duré », « des conditions sanitaires désastreuses et scandaleuses », « le manque d’évacuation des eaux usées » et « l’exécution d’un génocide en cours ». « La conscience humaine doit retrouver ses valeurs » tance-t-il, qualifiant pour sa part Israël, de « pays apartheid ».
En outre, pour le convoi humanitaire, l’armée israélienne vise délibérément les médecins : « Le personnel soignant est une cible de guerre », faisant état de « 300 médecins gazaouis tués ». Pire encore, lorsque le personnel médical est pris en otage, il bénéficie d’un « traitement de (dé)faveur » selon un médecin qui s’est rendu sur place.
« Lâcheté » et « désintérêt » des dirigeants européens
Enfin, l’ensemble des intervenants s’en prend à « l’inaction » de la communauté internationale devant une telle situation et le « deux poids, deux mesures » au regard de l’invasion russe en Ukraine, des mots du député européen écologiste, Mounir Satouri. « On alerte mais il ne se passe rien ! » s’alarme de son côté Pascal André.
Inaction du côté des Etats, mais aussi de certaines ONG selon un gynécologue : « Aucune ONG féministe ne lève le doigt pour les femmes palestiniennes », qu’il décrit comme « déshumanisées », « brisées » et, « qui ont tout perdu ». « Briser la femme, c’est briser la famille et la colonne vertébrale de la société » juge-t-il, s’en prenant enfin à l’Egypte, qui selon lui, « profite » de la situation : « On peut sortir de Gaza mais au prix 5000$ par adulte et 2500$ par enfant ».
Pour Akli Mellouli, sénateur écologiste du Val-de-Marne, il est néanmoins important de « ne pas baisser les bras ». Pour autant, selon Iman Marifi, « il est déjà trop tard », un constat partagé par Raphaël Pitti, qui rappelle que le Ramadan, mois sacré des musulmans, commence dès la fin de semaine, estimant dans ce contexte : « Aucun pays musulman ne pourra accepter cette situation ».
Quels que soient les termes employés pour décrire la situation à Gaza, il convient de toujours garder à l’esprit que les premières victimes d’un conflit sont toujours… les civils, qu’ils soient Israéliens ou Palestiniens. Rappelons à ce titre que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas ont fait 1200 morts côté israélien dont près de 800 civils. Du côté de Gaza, près de 30 000 victimes seraient à déplorer, « sans doute plus » selon les intervenants.