Protest in Lyon against Iran regime, January 8th 2023

Femme, vie, liberté : « L’Iran a inauguré le premier mouvement féministe pérenne du monde musulman »

Il y deux ans jour pour jour, Mahsa Amini décédait à la suite de ses blessures causées par les policiers iraniens. Elle avait été arrêtée trois jours auparavant par la police des mœurs pour « port du voile inapproprié ». Sa mort a déclenché de nombreuses manifestations, puis un réel mouvement de révolte au slogan féministe « Femme, vie, liberté ». Aujourd’hui, quel est l’héritage du mouvement ?
Rédaction Public Sénat

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A la suite de la mort de Mahsa Amini, le mouvement de révolte à travers l’Iran éclate. Au début, le soulèvement était féminin.  « Les femmes ont montré leur courage, et le mouvement concernait les mœurs de la femme », explique Amélie Chelly, sociologue et chercheuse associée au CADIS.
Le mouvement passe par de la désobéissance : les femmes retirent et brûlent leur voile, symbole de la République islamique, dont l’obligation du port est inscrite dans la Constitution. C’est un moyen pour elles de s’insurger contre le contrôle des corps exercé par l’état dans l’espace public.

De nombreux mouvements s’organisent et les réseaux sociaux sont utilisés pour l’organisation des manifestations.

Etat des lieux du mouvement, deux ans plus tard : un échec politique, mais un acquis culturel.

Le mouvement « femme, vie, liberté » s’est vu sévèrement réprimé. Le gouvernement iranien et plus particulièrement les gardiens de la révolution ont conduit des milliers d’arrestations et condamnations, et n’ont pas hésité à employer la violence lors des manifestations : « les yeux ainsi que les parties génitales des femmes étaient visés, de nombreuses personnes ont été tuées et de nombreuses femmes éborgnées » . raconte Delphine Minoui, correspondante du Figaro à Istanbul, spécialiste de l’Iran et autrice du livre « Badjens » (Edition Du Seuil).

La répression a ainsi eu raison des protestataires, et les grandes manifestations ont fini par se tasser et s’essouffler, sans surprises. Aucune réforme pour le droit des femmes n’a été entreprise après les révoltes par le gouvernement. Mais pour, Amélie Chelly, si un « échec politique est constatable, il y a un acquis indéniable, un acquis culturel. ». « L’Iran a inauguré le premier mouvement féministe pérenne du monde musulman et à ce titre, on peut parler de réussite ».

Delphine Minoui la rejoint : « C’est une véritable révolution des mentalités, c’est flagrant, c’est inédit, et c’est l’Iran qui s’est éveillé et qui refuse de s’éteindre à nouveau ».

Un grand acquis du mouvement et une nouveauté est également le soutien qu’a été apporté par les hommes iraniens, ce qui illustre un réel changement de mentalité. « On est passé d’une société complètement patriarcale à un soutien massif donné aux femmes lors de leurs combats pour les libertés », précise Amélie Chelly. « Maintenant, on a des hommes qui applaudissent des femmes qui ne portent pas le foulard, alors qu’avant ils les auraient dénoncées » ajoute la correspondante du Figaro.

 

Héritage du mouvement : « Il n’y a plus la possibilité de venir éteindre la flamme de ce mouvement nouveau ».

Aujourd’hui, malgré l’essoufflement inéluctable des protestations, le mouvement a laissé un réel héritage à la société iranienne.

« Plus de la moitié des femmes ne portent plus le voile à Téhéran, et assument le risque. Elles s’asseyent aux terrasses des cafés sans foulard maintenant », raconte Delphine Minoui.

En fait, la nouvelle génération rejette totalement le régime, et veut le renverser. Cette volonté est illustrée par le très faible taux de participation aux dernières élections présidentielles de juillet mais aussi par la désobéissance civile au quotidien qui « existe plus que jamais, par milles et unes formes, et notamment par le renoncement au voile obligatoire », précise la spécialiste de l’Iran.

Elle ajoute : « On constate que le fossé n’a jamais été aussi profond entre une population de plus en plus majoritaire qui se dresse contre un pouvoir de plus en plus minoritaire. Même si la répression a eu raison des protestations, on sent que c’est une situation à fleur de peau et que comme aucune demande n’a été honorée, il suffira d’une nouvelle étincelle pour qu’il y ait une nouvelle poussée de fièvre ».

La nouvelle génération « n’a plus peur » et c’est aussi ce que déclare Bahared Hedayat, militante iranienne détenue dans le quartier des femmes de la prison d’Evine à Téhéran dans une interview au Figaro conduite par Delphine Minoui : « La génération d’aujourd’hui ne reconnaît aucune forme d’autorité. Si quelque chose ne lui plaît pas, elle le rejette en bloc ».

La sociologue Amélie Chelly fait le même constat : « Quand vous posez la question aux Iraniens, il y a quelque chose qui revient très régulièrement, c’est que maintenant il y a un verrou qui a sauté, il y a un mouvement qui ne s’arrêtera plus ».

Arrivée au pouvoir du réformateur Massoud Pezeshkian : quel présage pour le droit des femmes en Iran ?

Après la mort du président Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, Massoud Pezeshkian a été élu en juillet 2024. Au cours de sa campagne, ce dernier a émis des critiques quant aux méthodes de répression des manifestations contre le port du voile, et déclarait également vouloir sortir l’Iran de l’isolement et l’ouvrir au monde, notamment à l’occident. Pas plus tard qu’aujourd’hui, devant les médias iraniens, le nouveau président a déclaré qu’il veillera à ce que la police des mœurs ne « dérange pas » les femmes, selon l’AFP.

Mais l’arrivée au pouvoir de Pezeshkian ne va pas forcément engendrer de réel changement pour le droit des femmes. « Il a beaucoup misé, pendant sa campagne, sur le fait qu’il ne réprimerait pas les femmes qui transgresseraient les règles, mais il est toujours favorable au maintien des règles », explique Amélie Chelly.

Il faut savoir que le président est loin d’être le seul à gouverner et à dicter les règles. Il a en réalité peu de marge de manœuvre, car c’est le guide suprême, Ali Khamenei, qui décide des stratégies globales du régime islamiques, et prend les décisions sur les questions militaires, de politique étrangère ou régionale.

Le parlement qui détient également un certain pouvoir est à majorité ultraconservatrice. Ainsi, même si le président avait une volonté de mettre en place des réformes progressives, « il se retrouvera coincé par des mécanismes institutionnels », explique la sociologue Amélie Chelly.

Dans tous les cas, même s’il a un discours davantage ouvert, pour la journaliste Delphine Minoui, « la nouvelle génération remet tout le régime en question. Avant, on acceptait réformes, le compromis dans le système, mais maintenant la nouvelle génération veut faire tomber le foulard comme le régime, et ça, c’est non négociable ».

 

 

Juliette Durand

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Le choix de l’Italien, ministre des Affaires européennes au sein du gouvernement de Giorgia Meloni, est en effet vivement contesté par les eurodéputés de gauche, opposés à la nomination d’une personnalité d’extrême droite à la Commission. « La France sort affaiblie de cette séquence » Enfin, côté français, le bilan de ces nominations semble contrasté. Après la démission fracassante du commissaire européen Thierry Breton, victime de ses relations exécrables avec Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron a finalement proposé la candidature de Stéphane Séjourné. Le ministre démissionnaire des Affaires étrangères obtient une place de choix dans ce nouveau collège : un poste de vice-président, chose que Thierry Breton n’avait pas obtenue, ainsi qu’un portefeuille dédié à la « prospérité » et à la « stratégie industrielle ». « Grâce à sa position de vice-président, Stéphane Séjourné aura une position importante et transversale au sein de la Commission, que n’avait pas Thierry Breton. 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