Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Exercice militaire russe en mer Noire : « C’est de la démonstration, on montre les gros bras », explique Igor Delanoë
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Le 17 juillet, la Russie annonçait sa volonté de ne pas renouveler l’accord permettant l’exportation maritime des céréales ukrainiennes, avec l’instauration d’un corridor maritime dans la mer Noire. Ces dernières nuits, les Russes ont bombardé la ville portuaire d’Odessa. Ce matin, la Russie a communiqué sur des exercices militaires en mer Noire, avec des tirs de missiles. De plus, ils ont déclaré que tous les navires se dirigeant vers l’Ukraine seront désormais perçus comme de « potentiels bateaux militaires ». Dans la foulée, l’Ukraine a déclaré appliquer la même analyse sur les bateaux naviguant vers la Russie. On constate une multiplication des discours agressifs dans la région. Entretien avec Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.
La Russie a annoncé des exercices militaires en mer Noire ces derniers jours. Comment les interprétez-vous ?
En général, des exercices navals, les Russes en mènent sur une base assez régulière. Ce qui est assez intéressant, c’est le contexte. D’une part, mercredi prenait fin l’accord céréalier. Puis une série de déclarations, allant dans la logique de suspension de l’accord, qui veulent accroître la surveillance des navires qui se rendent en Ukraine. Ces navires pourraient donc être pris pour cibles. D’autre part, l’Ukraine adopte la même rhétorique.
Faut-il s’en inquiéter ?
Dans ce contexte d’accroissement des tensions du contexte naval en mer Noire, évidemment que ce n’est pas surprenant que la marine russe se livre à des démonstrations pour supporter le discours politique.
Ces exercices risquent-ils d’impacter la navigation, civile ou militaire, en mer Noire ?
La navigation militaire est interne à la mer Noire. Elle est contrainte du fait des tensions qui se déroulent en Ukraine, à terre. Les navires des pays qui y ont accès [Russie, Ukraine, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Géorgie] peuvent quand même circuler, sachant toutefois que le Nord-Ouest [bordé par l’Ukraine et la Russie] est déconseillé. L’accès à la mer Noire est restreint par la Turquie, qui ferme le détroit du Bosphore. Seuls les navires militaires turcs peuvent y naviguer. La mer Noire est mise sous cloche pour la navigation militaire. Les navires militaires russes situés en Méditerranée ne peuvent traverser le Bosphore.
La navigation civile n’est pas impactée, mais le contexte de la mer Noire entraîne une navigation dangereuse. Un risque accru par la fin de l’accord céréalier, qui prévoyait la sanctuarisation de trois ports Ukrainiens : Odessa, Tchornomorsk et Ioujny. Avec la fin de l’accord, les assureurs vont augmenter le prix de l’assurance des navires commerciaux.
La Russie a déclaré que tous les navires allant en Ukraine seront désormais considérés comme de « potentiels bateaux militaires ». Les navires commerciaux en mer Noire peuvent-ils être ciblés ?
Il y a bien une capacité russe à mettre les menaces à exécutions. En témoignent les attaques sur Odessa [depuis quatre nuits, la ville ukrainienne d’Odessa est bombardée]. Mais ont-ils intérêts à le faire ? Je suis plus circonspect. Les Russes ont beaucoup à perdre. L’interface de la mer Noire pour la Russie, avec les ports comme Novorossisk, représente des points stratégiques pour l’exportation de céréales, de pétroles, … Si demain un incident majeur se produit, les assurances feront exploser leurs prix, ce qui freinerait les opérateurs. Les Russes ont donc plus à perdre, du point de vue commercial, car plus grand-chose ne sortirait. Actuellement, il n’y a déjà plus de navires au large de l’Ukraine.
Est-ce une conséquence du non-renouvellement de l’accord céréalier entre l’Ukraine et la Russie ?
Avant la suspension de l’accord céréalier, plus grand-chose déjà ne sortait, en raison des délais de chargement. Sur le mois de juillet, seuls deux bateaux ont quitté les ports ukrainiens. Cela représente un manque-à-gagner pour les armateurs.
Pour relancer le commerce maritime ukrainien, il est évoqué une protection par la marine ukrainienne. En a-t-elle la capacité ?
Il n’y a pas de marine ukrainienne. Elle a été décapitée lors de l’annexion de la Crimée, et les quelques unités qui restaient ont été sabordées. Donc aujourd’hui, on ne peut pas parler de marine ukrainienne. Il va s’agir de vedettes rapides. En revanche, il y a des systèmes de défense côtiers suffisamment performants pour éloigner les navires russes.
L’Ukraine demande un soutien militaire de l’ONU, à travers des « patrouilles militaires » navales. Cette demande va-t-elle trouver un écho ?
Je ne pense pas. Elle n’a aucune chance d’aboutir. Pas grand monde ne veut intervenir. De plus, aux Nations unies, la Russie bloquera toutes les résolutions. C’est de la posture, pour montrer qu’ils essayent de trouver des solutions.
Mais donc, quels sont les intérêts russes, à mener des exercices militaires et cibler les navires marchands, et les Ukrainiens à faire ces déclarations ?
La mer Noire est déjà dans un vase clôt. Les détroits turcs sont déjà fermés. C’est pour crédibiliser une posture qui fait suite à la suspension de l’accord céréalier. Je rappelle que dans les arguments mis en avant, du côté des Russes, ils expliquent que les accords maritimes ont été utilisés par les Ukrainiens pour organiser des frappes par drones, sous contrôle maritime, et acheminer des armes. La revendication ukrainienne après avoir attaqué le pont de Crimée est un élément déclencheur au non-renouvellement de l’accord céréalier. Avec la réserve que j’exprimais tout à l’heure, s’attaquer à des bâtiments commerciaux serait un signal dévastateur, qui viendrait rajouter de la pression sur les opérateurs et les assureurs. C’est de la démonstration : on montre les gros bras.
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