Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Evacuation du nord de la bande de Gaza : « Une situation catastrophique hors échelle », alerte le porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge
Par François Vignal
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C’est un ordre qui présage probablement de l’attaque imminente au sol de l’armée israélienne. Tsahal a ordonné l’évacuation, sous 24 heures, de la population du nord de la bande de Gaza, pour le sud du territoire, comme l’a rapporté l’Organisation des Nations unies (ONU) ce vendredi. Dans un communiqué, l’armée israélienne appelle en effet à « l’évacuation de tous les civils de la ville de Gaza de leurs maisons pour leur propre sécurité et leur protection et à se déplacer vers la zone au sud du Wadi Gaza », un petit cours d’eau. L’armée précise que la population ne sera « autorisée à retourner dans la ville de Gaza que lorsqu’une autre annonce le permettant sera faite ». Concrètement, ce sont 1,1 million d’habitants qui sont concernés, soit la moitié de la population totale.
Cette demande intervient alors que Tsahal a bombardé cette nuit 750 « cibles militaires » dans la bande de Gaza. Des frappes qui ont fait une centaine de morts Palestiniens, selon l’agence de presse palestinienne Wafa.
Mahamoud Abbas compare la situation à l’exil de 1948
Les réactions n’ont pas tardé pour dénoncer la demande israélienne. Sans surprise, Mahamoud Abbas, le président de l’autorité palestinienne, « s’oppose totalement au déplacement » de Palestiniens de la bande de Gaza, qu’il compare à l’exil de 1948. « Cela équivaudrait à une deuxième Nakba [Catastrophe, en arabe] », dit-il dans un communiqué, en référence aux quelques 760.000 Palestiniens qui ont fui ou qui ont été expulsés pendant la guerre de 1948, qui a coïncidé avec la création de l’Etat d’Israël. De son côté, le Hamas rejette l’ultimatum. « Nous sommes inébranlables sur nos terres, dans nos maisons et dans nos villes. Il n’y aura pas de déplacement », soutient le Hamas. Ce vendredi, des milliers de Palestiniens ont cependant commencé à fuir vers le sud de la bande de Gaza.
Pour le patron de la Ligue Arabe, Ahmed Aboul Gheit, l’ordre donné par Israël est « un transfert forcé » et constitue « un crime qui dépasse l’entendement ». « Ce qu’Israël commet n’est pas une opération militaire planifiée ou étudiée pour déraciner les groupes responsables des attaques contre lui mais un acte de vengeance atroce (…) pour punir les civils impuissants à Gaza », estime-t-il dans une lettre adressée à Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU.
L’ONU demande à Israël d’annuler son ordre d’évacuation
Plusieurs organisations internationales s’opposent aussi à l’ordre des Israéliens, à commencer par l’ONU, qui a demandé son annulation. Une évacuation de cette ampleur serait « impossible sans provoquer des conséquences humanitaires dévastatrices », selon Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU. Il s’agit pour les Nations unies d’« empêcher de transformer ce qui est déjà une tragédie en une situation calamiteuse ».
La Croix Rouge craint aussi la catastrophe assurée. « C’est le désarroi, en ce sens où il est illusoire de pouvoir imaginer qu’un déplacement aussi massif de population dans un territoire aussi petit, en aussi peu de temps, puisse se passer bien. C’est forcément une situation catastrophique, qui l’est déjà, mais qui risque de s’aggraver en passant en mode hors échelle », affirme à publicsenat.fr Frédéric Joli, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Il ajoute : « La pénurie s’accumule, tous les stocks ont été épuisés dans la bande de Gaza, notamment pour les hôpitaux. Il y a un problème d’eau, d’accès aux soins, à la nourriture. On est déjà dans une situation très compliquée ».
« Souci d’épargner à tout prix les civils innocents de Gaza, qui sont détenus en otage par le Hamas comme bouclier humain »
Du côté Israélien, on estime que cet ordre d’évacuation est parfaitement justifié, tant sur le plan des opérations militaires qu’humanitaire. « Il s’explique tout simplement par le fait que Tsahal envisage une invasion terrestre de la bande de Gaza, et avant cela, on veut s’assurer que le terrain est nettoyé le plus possible de dangers menaçant nos troupes. Mais avant ce point tactique, il y a un souci d’épargner à tout prix les civils innocents de Gaza, qui sont détenus en otage par le Hamas comme bouclier humain et comme outil de propagande », explique à publicsenat.fr Raphaël Jerusalmy, ancien officier supérieur des renseignements militaires israéliens. Il ajoute que « la police locale du Hamas, qu’on peut comparer à la police des mœurs de l’Iran, empêche physiquement et par la force certains gazaouis d’évacuer, car ils habitent dans les zones qui servent de bouclier à des intérêts militaires du Hamas », soutient Raphaël Jerusalmy, qui assure que « si des civils sont sur place, Tsahal ne tirera pas. Cela a été avéré, par le passé ».
Raphaël Jerusalmy explique que le processus ne se limite pas, pour l’armée israélienne, à l’ordre de départ intimé à la population palestinienne. « Cette évacuation est précédée de messages à la population, de tracts jetés par la voie des airs, par avion. On jette des millions de tracts. Et dans le cas où le Hamas empêche les gens d’évacuer, on les appelle directement au téléphone pour prévenir les gens. Et en dernier ressort, c’est ce qu’on appelle la méthode du « toc toc », c’est-à-dire qu’on fait exploser tout d’abord des bombes en l’air pour prévenir les habitants, avant de frapper une cible », détaille cet ancien responsable des renseignements israéliens.
Pour lui, la solution serait ensuite « de faire pression sur l’Egypte pour que le pays ouvre ses portes et que le désert du Sinaï soit un camp de réfugiés pendant la période des combats ». « En attendant, les Israéliens ont préparé eux même leur aide humanitaire. Quand les civils seront au sud de Gaza, nous parachuteront des vivres », affirme cet ancien officier du renseignement.
« La bande de Gaza, c’est une zone petite. C’est la moitié d’un département français. Si je vous dis de passer des Alpes-Maritimes au Var, ça se fait très bien en 24 heures »
Il soutient qu’évacuer plus d’un million de personnes en 24 heures est réaliste. « La bande de Gaza, c’est une zone petite. C’est la moitié d’un département français. Si je vous dis de passer des Alpes-Maritimes au Var, ça se fait très bien en 24 heures, même à pied », avance Raphaël Jerusalmy. Il ajoute au passage que « les frappes n’auront pas lieu d’ici 24 heures, je peux vous l’assurer. Selon ce que nous observons au sol, si on voit qu’il y a des convois de réfugiés qui se dirigent au sud, on va attendre pour frapper, le temps qu’ils soient en sécurité ». L’armée israélienne a en effet ensuite reconnu que l’évacuation « prendrait du temps », « nous comprenons que cela ne prendra pas 24 heures », a déclaré le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari.
Reste qu’il est fortement possible, quand l’opération au sol commencera, que des civils palestiniens soient de nouveau victimes et deviennent les dommages collatéraux des frappes israéliennes. « Oui, mais nous aurons notre conscience pour nous, de faire le possible, le nécessaire pour les prévenir. Ensuite, c’est leur décision », affirme Raphaël Jerusalmy.
Dans ce contexte sensible, l’ex-agent pointe du doigt le rôle tenu par l’ONU ou les ONG qui dénoncent l’ordre d’évacuer. « En faisant ceci, ils se rendent complice du Hamas, et coupables de la mort de chaque Gazaoui qui s’en suivra. Conseiller à quelqu’un de ne pas évacuer une zone de danger, c’est être complice de sa mort », lâche Raphaël Jerusalmy, qui ajoute : « Notre priorité, c’est la survie. Si on ne fait pas ce qu’on fait, les scènes de samedi dernier se reproduiront. On n’a pas d’autre choix que de se défendre ».
« L’action humanitaire doit être garantie, donc doit pouvoir rentrer » dans la bande de Gaza, selon le droit international, rappelle la Croix Rouge
Pour leur part, les ONG, confrontées aux difficultés de terrain, demandent avant tout de pouvoir faire leur travail. « Jusqu’à présent, les humanitaires font ce qu’ils peuvent, dans l’espace qu’on leur donne, alors que l’humanitaire devrait être garanti dans toute situation de conflit armé », soutient Frédéric Joli. « Notre préoccupation, c’est que des accès soit autorisés pour faire entrer une assistance humanitaire », ajoute le porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge.
Il rappelle que le blocus de la bande de Gaza est contraire au droit international, qui stipule « que l’action humanitaire doit être garantie, donc puisse rentrer, que des gens qui ont besoin de secours puissent aller à l’hôpital, avoir de l’eau et de la nourriture ». Ce droit est défini par « la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre », précise Frédéric Joli. Datant de 1949, le porte-parole du CICR souligne que « tous les Etats l’ont signée, soit un total de 196 Etats, dont Israël ».
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