Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Emeutes au Royaume-Uni : « La campagne du Brexit a banalisé la xénophobie et les discours de haine »
Par Henri Clavier
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« Nous avons vu des communautés musulmanes prises pour cible […] des attaques contre la police et des actes de violence accompagnés d’une rhétorique raciste. Donc, non, je n’hésiterai pas à appeler les choses par leur nom : ce sont des brutalités d’extrême droite », a affirmé le premier Ministre Britannique, Keir Starmer, en réaction aux émeutes qui se tiennent au Royaume-Uni. Depuis le 29 juillet et une attaque au couteau dans un centre de loisir de Southport, dans le nord du pays, ayant tué trois fillettes et fait une dizaine de blessés, de nombreuses manifestations se tiennent partout dans le royaume ciblant particulièrement les musulmans. Rapidement, l’extrême droite britannique a relayé de fausses informations affirmant que le tueur était musulman. Si la police a depuis révélé l’identité du tueur – un homme de 17 ans originaire du Pays de Galles et issu d’une famille rwandaise – la situation ne s’est pas calmée.
Avec près de 400 arrestations depuis le début des violences, il s’agit des émeutes les plus violentes au Royaume-Uni depuis 2011. Faisant du retour au calme sa priorité « absolue », le Premier ministre Britannique a annoncé, ce mardi, la mobilisation de 6 000 policiers supplémentaires. Alors que le week-end a été marqué par le ciblage de lieux de culte musulmans et les agressions contre les personnes perçues comme étrangères, une trentaine de manifestations sont prévues ce mercredi 7 août.
Au Royaume-Uni, la banalisation de la xénophobie
« Il semble que c’est le modèle multiculturel du Royaume-Uni qui est remis en cause On a cru que c’était un modèle accepté par tous, dans les années 2010 on a commencé à se rendre compte que le multiculturalisme ne faisait pas du tout consensus », analyse Laetitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université d’Angers. Motivées par des sentiments xénophobes et anti-musulmans, les émeutes illustrent le rejet de l’immigration au sein d’une partie de la population britannique. Cette explosion de la xénophobie intervient particulièrement dans les zones désindustrialisées du nord du pays où la population avait massivement voté en faveur du Brexit. « La campagne du Brexit a banalisé la xénophobie et les discours de haine avec une campagne extrêmement virulente. Les immigrés et les musulmans sont perçus, par certains, comme une menace pour la civilisation britannique », avance Laetitia Langlois qui précise que la xénophobie touche également les populations polonaises par exemple.
Par ailleurs, la progression des inégalités socio-économiques alimente un sentiment de déclassement au sein de la population qui attise la xénophobie. « Pour beaucoup ce sont des hommes blancs, pas forcément jeunes, qui n’ont pas fait d’études universitaires, qui occupent des emplois peu qualifiés, des gens qui ont peu de moyens et touchent des aides sociales », rapporte Laetitia Langlois.
« Il y a une forme de haine des musulmans qui existe depuis les attentats de 2005 à Londres en particulier, concentrée contre la communauté sud-asiatique et alimentée par des faits divers, comme la révélation d’un scandale d’abus sexuels dans le Yorkshire en 2013 », rapporte Molly O’Brien-Castro, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université de Tours. Entre 1997 et 2013, près de 1 400 mineurs ont subi, à Rotherham, des abus sexuels par des groupes d’hommes dont certains étaient d’origine pakistanaise. Ces faits divers sont régulièrement utilisés pour légitimer un discours anti-musulman, notamment sur les réseaux sociaux.
« La défiance envers les médias alimente les émeutes »
En effet, depuis plusieurs années, la défiance envers les institutions et les médias ne cessent de progresser au Royaume-Uni. En novembre 2023, un sondage a révélé que seulement 31 % de la population faisait confiance aux informations relayées par les médias britanniques. A titre de comparaison, le niveau de confiance s’élève à 51 % au Canada, 40 % en France et 39 % aux Etats-Unis. Mécaniquement la défiance envers les médias classiques favorise l’émergence de médias « alternatifs » et d’influenceurs. L’influenceur masculiniste, Andrew Tate, a d’ailleurs participé à la propagation de fausses rumeurs sur l’assaillant et sa religion. Le milliardaire et propriétaire du réseau social X – anciennement Twitter – Elon Musk multiplie les tweets n’hésitant pas à parler de « guerre civile », tout en affichant sa sympathie pour les manifestants. « La défiance envers les médias alimente les émeutes, et le personnel politique de droite radicale et d’extrême droite contribue à cette défiance. Nigel Farage [leader du parti de droite radicale populiste « Réformer le Royaume-Uni »] a publié une vidéo sur les réseaux sociaux affirmant que les médias cachaient la vérité », pointe Laetitia Langlois.
Des émeutes symbolisant la droitisation du spectre politique
En creux, et malgré la victoire du parti travailliste de Keir Starmer lors des élections législatives du 4 juillet dernier, l’extrême-droite n’a cessé de progresser au Royaume-Uni depuis le Brexit. Avec 14 % des voix, le parti de Nigel Farage a réalisé un score historique. La « Ligue de défense Anglaise », mouvement d’extrême-droite ouvertement anti-musulman, participe largement à l’organisation des manifestations à travers le pays.
Pour Laetitia Langlois, la campagne du Brexit a banalisé la xénophobie et les discours de haine. « Nigel Farage cible violemment les musulmans, et considère que l’Islam n’est pas compatible avec les valeurs de l’occident », continue l’universitaire. Inévitablement, la progression des discours xénophobes a favorisé une reprise de ces thématiques par le parti conservateur, profondément transformé depuis le Brexit.
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