Extrême-droite : l'Allemagne face à ses démons
Sens public
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Ce dimanche, deux élections ont eu lieu dans les länder de Thuringe et de Saxe en Allemagne. Conformément aux prévisions, le parti d’extrême-droite AfD a effectué une percée en arrivant en tête dans le premier et en deuxième dans le second, à plus de 30 % des voix. La coalition sociale-démocrate-Verts-libéraux au pouvoir a, elle, essuyé une défaite. Le parti de l’ancienne députée Die Linke Sahra Wagenknecht créé en janvier dernier, a suscité la surprise en totalisant plus de 10 % des voix dans les deux régions. Décryptage des enjeux de ces scrutins avec Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’IFRI.
En Thuringe, pour la première fois en Allemagne, un parti d’extrême-droite, qui n’est pas en accord avec les valeurs de cette république fédérale, est arrivé en tête d’une élection. Ces résultats montrent une difficulté des partis démocratiques à endiguer cette montée en puissance de l’AfD, en partie à l’est du pays.
Les chiffres de l’AfD d’hier, autour de 30 % des voix, étaient à peu près les mêmes aux élections européennes dans la région. A l’ouest cependant, l’AfD fait des scores moins importants, même s’ils restent hauts. Il y a une spécificité à l’Est, où elle ne descend pas en-dessous des 20 %.
La spécificité de l’est de l’Allemagne tient en partie au fait qu’elle s’est sentie exclue de la réunification. Cela s’est d’abord traduit par l’essor d’un parti néo-communiste, qui a ensuite évolué en parti démocratique. Les plus radicaux ont retrouvé dans l’AfD l’expression de leur frustration. J’insiste sur le sentiment de frustration, car dans l’est de l’Allemagne, le rattrapage économique avec l’ouest s’est fait.
La deuxième chose qui peut expliquer la spécificité de l’Allemagne de l’Est, c’est qu’elle est devenue un laboratoire de l’extrême-droite. La culture politique y était moins développée qu’en Allemagne de l’Ouest, où il y avait des syndicats et des partis politiques implantés. A l’est, on a une culture politique moins développée et donc un électorat plus volatil.
Par ailleurs, l’est de l’Allemagne a connu moins d’immigration que l’ouest. Existe donc l’idée qu’on a été préservé et qu’il faut continuer à l’être. Dans un sentiment européen et mondial de crispation sur l’identité et d’un Occident en déclin du fait de l’immigration, il y a une sorte d’expérimentation dans cette région.
Tous ces facteurs mis ensemble permettent de comprendre ces scores élevés de l’AfD en Thuringe et en Saxe.
Dans les faits, ces deux länder représentent 4,5 millions d’électeurs inscrits, ce qui est très peu. Mais ce sont néanmoins deux länder sur seize. La Saxe est un Etat qui réussit bien, on parle d’ailleurs de la « silicon saxonie ». Cela crée un paradoxe au niveau fédéral, avec des régions qui se marginalisent d’autant plus. L’Allemagne n’est pas comme les Etats-Unis, où les Etats ont un rôle beaucoup plus important, mais les länder disposent de pouvoirs conséquents, comme la politique sociale et éducative.
Ces élections ont des conséquences sur la coalition en place au niveau fédéral : les Verts sont sortis du parlement régional de Thuringe, les libéraux sortent des deux parlements. Deux des trois partis de la coalition au pouvoir au niveau fédéral essuient une large défaite. A l’est, les Verts sont vus comme la bête noire. Là-bas, ils représentent le parti de la guerre par son soutien à l’Ukraine, qui veut déstructurer l’économie. Les sociaux-démocrates s’en sortent bien, mais restent à un niveau bas. Cela pose la question des coalitions possibles après les législatives qui auront lieu à la fin du mois de septembre 2025, dans un an pile.
Les enquêtes d’opinion ne montrent pas d’effet significatif de cette attaque sur les intentions de vote. Tout au plus les électeurs ont-ils été confortés dans leur conviction, lorsqu’ils souhaitaient voter pour l’AfD.
Il y a eu une grosse frustration chez les électeurs de Die Linke, le parti de gauche radicale, qui chercheraient des réponses à leurs préoccupations sociales et ne les trouvaient pas. Le parti de Sahra Wagenknecht voulait endiguer l’AfD avec un discours très ferme sur l’immigration, mais il a attiré en majorité des électeurs de Die Linke. Ses deux têtes de liste en Thuringe et en Saxe sont issues de Die Linke, elles ont donc récupéré les structures de Die Linke.
Il ne faut pas se leurrer sur l’électorat de Die Linke : il a toujours été conservateur sur les questions sociétales en Allemagne de l’Est. Il n’y a jamais eu là-bas de véritable immigration, telle qu’on a pu la connaître à l’ouest. Quand Die Linke s’est montré très inclusif sur ces questions, il a perdu des voix. Chez ces électeurs, on retrouve un discours qui a pu être tenu par certains socialistes par le passé selon lequel les questions migratoires entameraient les droits sociaux des Allemands.
L’autre point important qu’a cristallisé le vote pour le parti de Sahra Wagenknecht, c’est la guerre en Ukraine. En effet, elle s’est affichée comme le parti de la paix, à l’opposé des autres. A l’est de l’Allemagne, il y existe un électorat plus sensible à la Russie, qui a grandi dans un environnement proche.
C’est réaliste, si l’on prend en considération le parti de Sahra Wagenknecht pour créer les coalitions. Mais ce serait une alliance baroque. En Thuringe, l’alliance possible regroupe la CDU (les chrétiens-démocrates), le parti de Sahra Wagenknecht, le SPD et la gauche radicale, ce qui mettrait la CDU en position de faiblesse. Ce qu’a dit Scholz, c’est pour pousser son parti à participer à des coalitions avec d’autres partis. Le leader de la CDU, de son côté, a dit que son parti ne participerait pas à des coalitions avec l’AfD. Ces comportements peuvent faire monter les intentions de vote pour l’AfD, qui se nourrissent de cela dans un discours victimaire et complotiste.
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