Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.
Droit à l’avortement en Pologne : après un revers pour Donald Tusk, la partie n’est pas terminée
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Hier soir, en Pologne, plusieurs rassemblements ont eu lieu dans les villes du pays, pour protester contre le rejet d’un texte dépénalisant l’avortement par l’Assemblée nationale polonaise le 12 juillet dernier. Un revers pour la coalition de Donald Tusk, arrivée au pouvoir en décembre 2023, pour mettre un terme à la politique portée par le parti de droite nationaliste et conservateur, le PiS. Les manifestantes et les manifestants, déçus par la coalition qui avait promis de légaliser l’avortement, sont sortis dans la rue pour maintenir la pression sur leurs dirigeants.
« Il fallait faire cesser l’enfer en Pologne »
En Pologne, l’accès à l’avortement est très réduit. Il n’est autorisé qu’en cas de viol, d’inceste, ou de menace sur la vie de la mère. Sous le régime communiste, il était libre. C’est en 1993, avec la fin du communisme et l’arrivée des chrétiens-démocrates au pouvoir, qu’il est restreint par ce qui est appelé le « compromis de 1993 ». « Il restreint l’avortement par rapport à la période communiste, au cours de laquelle il était en accès libre, mais il l’autorise en cas de malformation du fœtus ou en cas de danger pour la santé de la femme, qu’elle soit physique ou psychologique, ce qui laissait une possibilité plus large d’interprétation, même si cela est plus restreint que dans d’autres pays comme la France », explique Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix. Une deuxième restriction est venue frapper le droit à l’avortement en 2020, sous le gouvernement issu du PiS : la malformation du fœtus a été retirée de la liste des cas donnant accès à l’IVG. Cela a provoqué un sursaut dans la population polonaise, la « grève des femmes », symbolisée par les parapluies noirs. « Il y a eu une très forte mobilisation en octobre 2020 qui a réuni plus de 100 000 personnes. Il y avait énormément de jeunes, y compris des lycéens, mais aussi de jeunes hommes. C’était un mouvement assez populaire et suivi », se souvient Amélie Zima, docteure en science politique, chercheuse à l’Ifri, qui était à Varsovie à cette époque. « Le durcissement de l’avortement par le PiS ne l’a pas servi. On parlait d’eux comme de ‘cathos talibans’. Ce n’est pas quelque chose que les Polonais avaient demandé », confirme Dorota Dakowska.
Après cette restriction, avorter est devenu presque impossible en Pologne. « Quand le PiS a durci cette loi, certains médecins ont commencé à avoir peur et on a eu plusieurs cas de très jeunes femmes qui sont mortes parce que des médecins refusaient de faire des avortements thérapeutiques », décrit Amélie Zima. Elle raconte un cas qui a particulièrement ému la Pologne : en 2021, Isabella, une femme de 31 ans, est décédée d’une septicémie car les médecins n’ont pas voulu l’opérer, alors que son fœtus, sur le point de naître, s’est révélé porter de graves malformations. La chercheuse se rappelle : « Les femmes ont dit à cette période qu’elles avaient peur d’être enceintes. L’un des mots d’ordre a été qu’il fallait faire cesser l’enfer en Pologne ».
Il faut dire que les médecins pratiquant un avortement risquent la prison s’ils sont pris. Et que la justice est particulièrement méticuleuse en la matière. Certains procureurs très zélés ouvrent même des enquêtes en cas de fausse couche, pour s’assurer que ce n’est pas un avortement escamoté. « Le PiS a complètement modifié l’ordre judiciaire polonais en mutant et en mettant à la retraite des juges arbitrairement. L’ordre judiciaire ne repose plus sur l’Etat de droit », explique Amélie Zima. « Aujourd’hui, les médecins ont toujours peur des poursuites, alors que la majorité a changé et que le gouvernement a promis de légaliser l’avortement », observe Dorota Dakowska.
Un texte rejeté à trois voix près
La coalition élue à la fin de l’année 2023 a donc logiquement inclus dans son programme la libéralisation de l’avortement. Le texte rejeté par l’Assemblée nationale était la première pierre à cet édifice, en supprimant l’article du Code pénal condamnant l’avortement et les personnes aidant à la réalisation de celui-ci. Le texte a été rejeté à 218 voix contre et 215 pour. L’un des membres de la coalition gouvernementale, le parti agraire polonais (PSL), de droite et plutôt conservateur, a largement voté contre.
Ce résultat a été vécu comme une déception par une partie de l’électorat polonais, qui a manifesté hier soir et qui demande la démission du président du PSL. Mais ce résultat n’est pas si surprenant. « La coalition au pouvoir est très diverse, elle va de la gauche modérée sociale-démocrate jusqu’à la droite conservatrice proeuropéenne. Le parti le plus conservateur, PSL, s’adresse à un électorat des campagnes populaires et convoite le même électorat que le PiS », explique Dorota Dakowska. Les différences politiques et électorales s’incarnent dans la question de l’avortement. « Les partis de la coalition n’ont jamais été d’accord sur la légalisation de l’avortement », rappelle Amélie Zima, « Lewica, le parti de gauche, et celui de Donald Tusk sont d’accord sur la légalisation jusqu’à 12 semaines, mais l’alliance de la Troisième voie, composée du PSL et du parti Polska 2050, n’est pas favorable à cette dernière. Elle souhaite revenir au compromis de 1993 ».
Est-ce un revers pour la coalition de Donald Tusk ?
La sentence est sévère, et le rejet d’un texte porté par la nouvelle coalition gouvernementale traduisant une promesse électorale est douloureux. Pour Dorota Dakowska, « cela pose la question de l’identité de cette coalition de partis ». D’autant que la réforme est attendue et soutenue. « C’était une demande de la société », appuie Amélie Zima. La société polonaise est plutôt encline dans son ensemble à la légalisation de l’avortement. La chercheuse rappelle : « un sondage d’avril 2024 donne à 43,7 % les Polonais favorables à l’avortement jusqu’à 12 semaines et à 37 % ceux qui pensent qu’il faut revenir au compromis. 45,7 % des Polonais évaluent négativement la décision de l’Assemblée nationale, cela va au-delà de l’électorat de la coalition gouvernementale ».
Pour autant, la partie n’est pas terminée, il est toujours possible pour la coalition d’aller chercher les quelques voix qui manquent pour l’adoption du texte. La majorité souhaite d’ailleurs le remettre à l’ordre du jour avant la fin de la session parlementaire. Par ailleurs, la coalition gouvernementale a fortement réagi envers les quelques députés du parti de Tusk qui étaient absents lors de ce vote. L’un d’eux, vice-ministre, a été démissionné. Un autre, ancien du PiS qui a rejoint Tusk pour rétablir l’Etat de droit, et qui était président de son club parlementaire, a été suspendu.
Par ailleurs, la coalition de Tusk a été choisie pour mettre en œuvre un programme plus vaste, basé sur le rétablissement de l’Etat de droit, la réforme de la justice, des médias, des services publics. « La coalition ne s’est pas construite sur ces sujets-là et on savait que c’était une question difficile. Dans l’immédiat, cela ne peut pas remettre en cause la coalition », affirme Amélie Zima.
Un veto du président Duda à craindre ?
La possibilité d’une dépénalisation de l’avortement est pourtant fragile. Après un éventuel vote par le Parlement, un blocage peut subsister : le veto du président Andrzej Duda. Membre du PiS et anti-avortement assumé, il a affirmé vouloir mettre son veto sur une loi libéralisant l’avortement. « Ce n’est pas une victoire, mais un échec à la Pyrrhus pour le gouvernement en place : même s’ils l’avaient voté, ce texte aurait probablement reçu un veto de la part du président », analyse Dorota Dakowska. Un avis que ne partage pas Amélie Zima : « Duda avait fait savoir qu’il n’était pas complètement favorable à une interdiction totale de l’avortement. Il a cette possibilité de véto, mais il y a plus conservateur que lui au PiS sur ces questions-là ».
Sur ce sujet, les espoirs de la coalition de Tusk reposent donc en partie sur la prochaine élection présidentielle polonaise qui aura lieu en 2025, dont l’issue n’est pas encore dessinée. « Pour l’élection présidentielle qui arrive, la coalition en place compte sur la vague créée par les élections législatives, mais sa majorité est très faible. La situation côté conservateur dépendra de beaucoup de facteurs, notamment de la situation internationale, en particulier aux Etats-Unis. C’est encore ouvert », analyse Dorota Dakowska.
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