Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.

Djihadistes : « Beaucoup d’entre eux préféreront rester en Syrie que rentrer en France »

Le régime de Bachar al-Assad est tombé en Syrie après l’offensive victorieuse, ce week-end, des rebelles islamistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le groupe compte dans ses rangs de nombreux djihadistes, dont quelques Français. Faut-il craindre un retour de certains d’entre eux ? Pour le spécialiste Thomas Pierret, cela n’est pas évident. En revanche, selon lui, une résurgence de Daech dans le pays est à craindre.
Théodore Azouze

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

La chute d’un régime qui soulage le peuple syrien, mais dont les conséquences inquiètent au-delà de Damas. Les rebelles islamistes qui ont fait tomber Bachar al-Assad sont issus d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une ancienne branche d’Al-Qaïda. Si leur chef de file, Abou Mohammad al-Joulani, tente d’afficher une image plus lisse depuis quelques années, l’idéologie des djihadistes qui composent ce groupe inquiète.

Faut-il craindre un retour en Europe de certains Français partis faire le djihad en Syrie ? Pour Thomas Pierret, chercheur rattaché au Centre national de la recherche scientifique et spécialiste de l’islamisme en Syrie, il n’est pas évident qu’un tel phénomène se produise dans les prochains mois. En revanche, le risque d’une résurgence de Daech consécutive à l’instabilité politique en Syrie est selon lui bel et bien présent. Entretien.

Dix djihadistes français ont été identifiés dans les rangs d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le succès de la rébellion en Syrie peut-elle conduire à un retour de certains djihadistes en Europe ?

Ils étaient restés sur le front, sur lequel ils participaient à des opérations contre les militaires du régime. C’était leur raison de rester en Syrie. Maintenant, ils risquent de se retrouver désœuvrés. Si aujourd’hui, la guerre s’arrête et que HTS se consacre à la gestion du territoire syrien, est-ce qu’ils auront encore un statut en Syrie ? Déjà, ce n’est pas acquis qu’ils n’aient plus rien à y faire sur le plan militaire, car le nouveau pouvoir pourrait avoir besoin d’eux.

Dans tous les cas, je pense quand même que beaucoup d’entre eux préféreront rester en Syrie que de rentrer en France. On peut penser qu’ils se sentiront plus à l’aise en termes d’environnement politique et religieux que ce n’est le cas en France. D’ailleurs, finalement, ça peut être une bonne solution pour tout le monde : eux sont contents de rester dans un pays musulman, avec un régime islamique ; et la France peut se satisfaire de ne pas avoir à les reprendre, car ce sont des gens qui sont facteurs de problèmes. Donc, je ne vois pas pourquoi ils se précipiteraient soudain pour rentrer en France.

Le leader d’Hayat Tahrir al-Sham, Abou Mohammad al-Joulani, assure ne plus vouloir adopter le terrorisme international au profit d’un islamisme national uniquement centré sur la Syrie. Dans son groupe, les djihadistes se positionnent-ils comme lui sur ce plan ?

C’est une question qui est en réalité réglée depuis longtemps. Cela fait des années que c’est la position et la pratique de ce groupe-là. Cela fait presque 10 ans, depuis 2016, qu’Abou Mohammad al-Joulani promeut une stratégie nationale, qu’il n’autorise pas qu’on organise des actions terroristes à l’étranger. HTS a bien compris que c’était une position pour survivre : pour ne pas subir le sort de Daech, il fallait se positionner comme un groupe purement national.

Ceux qui d’ailleurs refusaient cette logique-là ont été éliminés d’une manière ou d’une autre. Soit directement par HTS, soit par les Américains qui ont assassiné pas mal de monde dans la région d’Idlib (au nord-ouest du pays, ndlr), avec des frappes de drone, jusqu’il y a encore quelques semaines. Ces derniers ont éliminé tous les groupes, toutes les factions, qui gardaient des ambitions de terrorisme international dans la région. Beaucoup soupçonnaient alors que cela ne dérangerait pas trop HTS, que finalement, cela les débarrassait de gens qui constituaient des sources de problème pour eux. Il y a d’ailleurs eu énormément de purges dans HTS depuis plusieurs années.

Daech, bien qu’affaibli, reste actif dans certaines poches dans le centre de la Syrie. Le groupe djihadiste pourrait-il tirer profit de l’instabilité consécutive à la chute de Bachar al-Assad pour reprendre de l’ampleur ?

Je pense qu’ils vont essayer, car c’est toujours leur stratégie d’essayer de profiter de l’instabilité. Il y a une double opportunité qui est en train de s’ouvrir pour eux. D’une part, il y a les Forces démocratiques syriennes (la coalition militaire du nord du pays dominée par les Kurdes, ndlr) qui sont en train de vaciller dans pas mal d’endroits. Il y a un mouvement populaire dans certaines régions arabes qu’ils contrôlent pour retourner dans le giron de l’État syrien, avec notamment des manifestations à Deir ez-Zor aujourd’hui. L’offensive turque dans le nord du pays est aussi en cause.

Et puis, d’autre part, le régime de Bachar al-Assad n’est plus là et le nouveau pouvoir qui le remplace n’a plus d’armée. Il possède certes des combattants avec des fusils et des pick-up, mais il n’a plus d’hélicos et d’avions, car Israël vient de tous les détruire dans des bombardements. Or, faire de la contre-insurrection militaire sans moyens militaires, ce n’est pas terrible. C’est des choses que Daech peut vouloir exploiter.

Jusqu’où peut s’étendre cette possible résurgence ?

Malgré tout, politiquement, Daech a des arguments en moins. Ils n’ont plus l’argument de l’occupation iranienne, de l’occupation russe ou de la présence d’un régime dirigé par des alaouites comme cela était le cas jusqu’à présent. Ça évidemment, cela réduit un peu leur pouvoir d’attraction. Mais je suppose qu’ils parviendront à convaincre certaines personnes, à jouer sur certaines formes de mécontentement et des clivages locaux – comme ils le font toujours.

Après, peut-être que le nouveau pouvoir va réussir à les contenir… En Libye, il y avait une poche de l’État islamique en 2015-2016 qui a été éliminée par les milices libyennes, sans trop de difficultés ni d’appuis extérieurs. C’est peut-être possible en Syrie, mais en tout cas, il y a pour l’État islamique des opportunités à exploiter.

D’autres factions djihadistes pourraient-elles tirer parti de la situation en Syrie après la chute de Bachar al-Assad ?

Je n’en vois pas d’autres. Par exemple, au sein de HTS, vous avez encore des groupes, comme des combattants ouïghours, qui ont encore l’ambition de faire des choses pour soutenir leur peuple en Chine (les Ouïghours sont persécutés par le pouvoir de Pékin, ndlr). Mais maintenant qu’al-Joulani, est plus ou moins à la tête de la Syrie, il va fortement encourager ses amis ouïghours à mettre cela en veilleuse, car il aura tout intérêt à avoir de bonnes relations avec la Chine s’il reste au pouvoir.

Et cela fait tellement longtemps qu’ils sont intégrés à l’appareil militaire d’HTS, qu’ils ne vont pas chercher à faire des problèmes. Ils n’ont pas le poids pour cela. Ce sont seulement quelques centaines de personnes, qui peuvent être utiles pour combattre le régime et avoir des combattants prêts à tout pour enfoncer des lignes adverses. Mais ils ne vont pas pouvoir proclamer un émirat ouïghour en Syrie…

Dans la même thématique

Un réfugié syrien en France célèbre la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
6min

International

Syrie : Plusieurs pays européens suspendent les demandes d’asile des réfugiés, la France « suit attentivement la situation »

Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.

Le

Des Syriens célèbrent la chute du régime de Bachar Al-Assad, après la prise de Damas par les rebelles du groupe HTS.
7min

International

Syrie : de la Turquie à l’Iran, les équilibres bouleversés au Moyen-Orient après la chute du régime Assad

Après 24 ans de pouvoir, Bachar al-Assad a fui la Syrie, chassé par une offensive éclair du groupe islamiste Hayat Tahir Al-Sham. Une large partie du pays est désormais aux mains d’une coalition de rebelles, aux soutiens et intérêts divergents. De la Turquie à l’Iran, en passant par Israël, tour d’horizon des enjeux de la chute du régime Assad, qui bouleverse les équilibres régionaux.

Le

Syrie : Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur
6min

International

Syrie : « Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur »

La fuite du président syrien Bachar al-Assad, chassé par les rebelles islamistes en dépit du soutien de la Russie, rebat les cartes au Moyen-Orient. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, cette situation illustre l’affaiblissement d’une Russie incapable de maintenir ses ambitions internationales, car vampirisée par la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine.

Le

APTOPIX Syria
7min

International

Syrie : qui est Abou Mohammad al-Joulani, le chef rebelle islamiste qui a fait tomber Bachar al-Assad ?

Chef de file des rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abou Mohammad al-Joulani a mené l’offensive victorieuse de son groupe vers Damas, où il a fait chuter ce week-end Bachar al-Assad de son règne long de 24 ans. Un temps relié à Daesh puis à Al-Qaïda, il tente aujourd’hui de lisser son image et de rassurer les minorités religieuses et la communauté internationale sur ses objectifs. Portrait.

Le

La sélection de la rédaction

Syrie : Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur
6min

International

Syrie : « Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur »

La fuite du président syrien Bachar al-Assad, chassé par les rebelles islamistes en dépit du soutien de la Russie, rebat les cartes au Moyen-Orient. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, cette situation illustre l’affaiblissement d’une Russie incapable de maintenir ses ambitions internationales, car vampirisée par la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine.

Le