Prime Minister Keir Starmer hosts a European Leaders Summit

Défense européenne : Emmanuel Macron avait-il raison depuis le début ?

L’attitude de l’administration Trump semble imposer une prise de conscience européenne autour de la construction d’une défense commune, une position défendue par la France et par Emmanuel Macron depuis 2017. Une victoire politique pour le chef de l’Etat, mais qui ne sera pas nécessairement suivie d’effets.
Louis Mollier-Sabet

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« Souveraineté européenne », « autonomie stratégique européenne », « Europe puissance »… Les deux quinquennats d’Emmanuel Macron ont été marqués par les variations du Président de la République autour de la construction d’une défense européenne. Le chef de l’Etat en a fait une orientation majeure de sa politique internationale et européenne, voire un axe politique fort de tout son passage à l’Elysée. Dans un premier discours de septembre 2017, quelques mois après son élection, le président de la République alertait déjà sur un « désengagement progressif et inéluctable des États-Unis » en Europe après la première élection de Donald Trump.

Ce « discours de la Sorbonne » était censé fixer un « objectif » aux Européens : construire une « capacité d’action autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN. » Romuald Sciora, directeur de l’observatoire politique et géostratégique des Etats-Unis de l’IRIS rappelle que cette première tentative d’Emmanuel Macron pour imposer ce thème n’avait pas été couronnée de succès. « On a parlé un moment de construire une puissance commune, puis tout ça est tombé aux oubliettes et Emmanuel Macron n’en a pas fait son cheval de bataille dans la seconde partie de son quinquennat », rappelle-t-il.

« Emmanuel Macron a été à l’initiative de cette prise de conscience européenne »

La rupture est plutôt venu de l’invasion de l’Ukraine, après laquelle le Président a prononcé un deuxième discours dans la même Sorbonne en avril 2024 (voir notre article), réaffirmant que « la question européenne [n’était] pas une priorité géopolitique des Etats-Unis […] quelle que soient la force de notre alliance et la chance d’avoir aujourd’hui une administration très engagée sur le conflit ukrainien. » Et le chef de l’Etat d’ajouter : « Il nous faut bâtir une Europe en capacité de montrer qu’elle n’est jamais le vassal des Etats-Unis d’Amérique. » Des paroles qui résonnent aujourd’hui, tout comme la sortie d’Emmanuel Macron sur « l’état de mort cérébrale de l’OTAN » dans The Economist en novembre 2019, à en réponse à un désengagement des Etats-Unis de Trump, déjà. La Turquie venait par ailleurs d’intervenir unilatéralement en Syrie alors que la France y soutenait les Forces démocratiques syriennes (FDS).

« Récemment, un pays fondateur de l’OTAN, son principal membre, a menacé d’annexer par la force une portion de territoire d’un autre membre », rappelle Romuald Sciora qui voit dans le « bon mot » du chef de l’Etat une « formule utilisée à des fins de promotion personnelle et destinée à faire réagir ses partenaires tout en se présentant comme le leader de l’Union Européenne. » Mais d’après lui, il est tout de même indéniable qu’Emmanuel Macron « a été à l’initiative de cette prise de conscience européenne » sur la nécessité de la construction d’une défense commune. « Il n’est pas le premier chef de l’Etat français à pousser l’idée, ce n’est pas un novateur. Mais c’est celui qui a les moyens de cette politique : on parle d’une des plus grandes puissances militaires du monde, de la seule puissance nucléaire de l’Union Européenne et d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est normal que ce soit la France qui incarne ça en Europe. »

Le chercheur alerte tout de même sur une forme « d’alarmisme » émanant de cette ligne portée par Emmanuel Macron : « À force de mettre dans la tête des Européens que Poutine allait marcher sur Paris demain, il a fait perdre du crédit à ceux qui défendent la Défense européenne au sein des chancelleries. »

« Je crains que les Européens replongent dans leur sommeil »

Il n’en reste pas moins que le ralliement européen actuel – et notamment du futur chancelier allemand Friedrich Merz – au concept d’autonomie stratégique constitue une victoire politique pour Emmanuel Macron.

S’il est aujourd’hui « évident » que l’Europe — mais aussi la Corée du Sud, le Japon ou Taiwan — ne peut plus compter sur les Etats-Unis, qui veut vraiment bâtir une défense commune en Europe ? interroge l’auteur de l’Amérique éclatée (Ed. Armand Collin). « La dissuasion nucléaire britannique dépend des Américains, ils sont moins libres que la France et ils agiront donc prudemment. Au sein de l’Union Européenne, en dehors de la France, l’Allemagne a les moyens d’investir et peut donc devenir l’une des chevilles ouvrières d’une défense commune. Ensuite il reste la Pologne, mais la présidentielle de mai prochain peut changer la donne », analyse Romuald Sciora

Au-delà de la division des Européens sur les questions géopolitiques, avec notamment la question de la Hongrie d’Orban ou l’Italie de Meloni, la question de l’attitude de ces puissances européennes une fois la crise ukrainienne « stabilisée » reste entière, estime le chercheur : « Quand les tensions géopolitiques se déplaceront au Proche-Orient ou vers la mer de Chine, il est à craindre que les Européens replongent dans leur sommeil et que certains recommencent à traîner la patte. »

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