Après la chute de Bachar al-Assad et l’arrivée au pouvoir de rebelles en Syrie, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, ont annoncé un gel des procédures de demandes d’asile. Plusieurs partis politiques ont également ouvert la voie au retour des réfugiés syriens dans le pays. Un débat qui soulève des questions politiques et juridiques.
Décryptage : ce qu’Israël reproche à l’Unrwa, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens
Par Romain David
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Une mesure sans précédent. Le Parlement israélien a adopté lundi, à une très large majorité (92 voix contre 10), deux textes qui ont pour conséquence d’interdire toute activité « sur le territoire israélien » de l’Unrwa, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a indiqué avoir écrit au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. « Si elles étaient mises en œuvre, les lois adoptées aujourd’hui par la Knesset empêcheraient probablement l’Unrwa de poursuivre son travail essentiel dans le territoire palestinien occupé, avec des conséquences dévastatrices pour les réfugiés palestiniens », a alerté le chef de l’ONU sur le réseau social X.
Le bras de fer entre cet organe humanitaire, présent dans la région depuis plus de soixante-dix ans, et les autorités israéliennes, dure depuis des décennies. Mais les tensions sont montées d’un cran avec l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre, et les accusations réitérées d’Israël de collusion entre l’Unrwa et le mouvement islamiste.
Quelle est la fonction de l’Unrwa ?
L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens a été créée le 8 décembre 1949, par la résolution 302 de l’Assemblée générale des Nations unies, après la première guerre israélo-arabe. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ayant été créé un an plus tard, l’Unrwa est à ce jour la seule entité de l’ONU attachée à la prise en charge d’une catégorie spécifique de réfugiés. « Elle remplit au moins trois rôles fondamentaux : en termes d’accès à l’éducation, d’assistance générale aux populations et un rôle sanitaire très important. Elle est devenue indispensable à l’acheminement de l’aide à Gaza », explique Jean-Paul Chagnollaud, le président de l’iReMMO, l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.
L’Unrwa qualifie de réfugié palestinien toute personne dont « le lieu normal de résidence » était la Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948, et qui a perdu sa maison et ses moyens de subsistance dans le conflit de 1948. Elément particulier : l’agence considère également les descendants de ces personnes comme des réfugiés. En revanche, le Haut-commissariat, dans sa propre définition du terme « réfugié », ne va pas aussi loin.
« C’est ainsi que nous sommes passés de 750 000 réfugiés à la fin des années 1940 à 5 millions aujourd’hui. 85 % des habitants de la bande de Gaza, l’équivalent de trois générations, sont considérés comme des réfugiés par l’Unrwa », précise Jean-Paul Chagnollaud. L’agence est aujourd’hui présente sur cinq zones : la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza. Elle emploie 30 000 personnes, dont 13 000 dans la bande de Gaza, principalement des Palestiniens.
Que lui reproche Israël ?
Les critiques de l’Etat hébreu à l’égard de l’Unrwa ne datent pas d’hier. Le gouvernement estime que le soutien qu’elle apporte aux populations contribue à maintenir l’emprise du Hamas sur la bande de Gaza. Israël a même accusé l’Unrwa d’avoir participé aux massacres du 7 octobre 2023. En début d’année, le ministre israélien des affaires étrangères a fait savoir dans un communiqué que les autorités israéliennes ne toléreraient pas son maintien dans les territoires palestiniens une fois le conflit terminé.
« Ce qu’Israël reproche fondamentalement à l’Unrwa, c’est tout simplement d’exister. Depuis longtemps, les gouvernements israéliens veulent se débarrasser de la question palestinienne. Historiquement, l’Unrwa est indissociable de ce sujet. On lui reproche d’entretenir de manière perpétuelle le statut de réfugié. La droite et l’extrême droite israélienne ont toujours cherché à la faire disparaître », explique le président de l’iReMMO. « Depuis le début du conflit, l’armée israélienne a détruit de très nombreuses infrastructures de l’Unrwa dans la bande de Gaza, notamment des écoles. »
« Israël répète que l’on n’a jamais vu une condition de réfugié se transmettre de père en fils. Dans les années 1950, les autorités imaginaient que la question des réfugiés serait réglée sur une génération, notamment parce qu’ils se sont installés dans des pays arabes voisins, avec une proximité linguistique, culturelle et religieuse totale », note Denis Charbit, professeur de science politique à l’Open University of Israel et auteur d’Israël, l’impossible Etat normal aux éditions Calmann Lévy. « À travers l’Unrwa, l’ONU concède implicitement à l’objection des pays arabes d’intégrer ces populations. »
Que sait-on des accusations de collusion avec le Hamas ?
Dix membres de l’Unrwa ont été licenciés en janvier, après qu’Israël a alerté les Nations unies sur l’implication supposée de ces personnes dans les attaques du 7 octobre. Dans la foulée, le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU a ouvert une enquête, qui a permis d’identifier 9 autres membres du personnel de l’agence, qui ont eux aussi été renvoyés. Israël a lancé des accusations contre d’autres agents de l’Unrwa, mais sans fournir de preuve matérielle.
« Ces employés ont servi de prétexte à Israël pour faire interdire l’Unrwa. Toutefois, on peut aussi s’interroger sur les liens tissés entre l’agence et le Hamas, depuis sa prise de contrôle de la bande de Gaza en 2007 », pointe Denis Charbit. « Sans aller jusqu’à parler de connivence et de complicité généralisée, on peut considérer qu’il existe, dans la bande de Gaza, une relation objective de dépendance de l’Unrwa vis-à-vis du Hamas, qui ne pouvait que cherchait à infiltrer l’organisation onusienne à travers ses employés palestiniens. »
« À la demande d’Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, un comité indépendant d’évaluation a été mis en place en février, piloté par Catherine Colonna, notre ancienne ministre des Affaires étrangères », rappelle Jean-Paul Chagnollaud. « Les experts ont conclu qu’il n’y avait aucune preuve de complicité entre l’Unrwa et le Hamas, et surtout que son action était indispensable et irremplaçable. » Le rapport formule néanmoins plusieurs recommandations pour permettre à l’agence de renforcer ses mécanismes de neutralité.
Que se passerait-il si l’Unrwa venait à disparaître ?
En interdisant l’Unrwa sur son territoire, et en privant ses personnels de visa, Israël compromet sa logistique et, indirectement, son action auprès des Palestiniens. « Si on leur enlève l’Unrwa, ce serait une catastrophe pour les populations de la bande de Gaza », alerte Jean-Paul Chagnollaud. « À moins que la puissance occupante assume de prendre en charge les populations, comme le prévoit normalement le droit international humanitaire ».
Le Jerusalem Post note que ce sont l’équivalent de 1,2 milliard de dollars de services que l’agence fournit aux Palestiniens, ce qui, là aussi, place l’Etat hébreu devant une responsabilité financière. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a fait savoir lundi qu’il était prêt à travailler avec la communauté internationale pour continuer à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza, « d’une façon qui ne menace pas la sécurité d’Israël ».
Pour mémoire : la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies sur les réfugiés palestiniens, adoptée le 11 décembre 1948, prévoit le versement d’une compensation financière aux Palestiniens empêchés de regagner leur foyer. « Politiquement, les conditions d’application n’ont, bien sûr, jamais été réunies », souligne Jean-Paul Chagnollaud. « Aujourd’hui, le degré de confusion juridique et politique est tel que personne n’est en mesure de dire ce qui va arriver dans les territoires ou l’Unrwa est implantée. Au-delà de la bande de Gaza, je pense aussi à la situation de Jérusalem Est », relève Denis Charbit.
Avec cette décision, Israël risque-t-il de se couper de la communauté internationale ?
Cette décision est d’abord à replacer dans un contexte global de tension avec l’ONU. Au lendemain des attaques du 7 octobre, les autorités israéliennes ont vivement dénoncé les commentaires d’Antonio Guterres, qui avait notamment évoqué « l’occupation étouffante » subie par le peuple palestinien depuis plus d’un demi-siècle. Plus récemment, des tirs de l’armée israélienne contre les positions de la Force intérimaire des Nations unies au Liban ont fait monter les tensions d’un cran.
« Il y a un paradigme qui permet de comprendre l’attitude d’Israël : depuis vingt ans les autorités estiment qu’elles ne sont pas liées par le droit international », analyse Jean-Paul Chagnollaud. « Pour mesurer cet écart, il suffit de mettre en parallèle l’avis rendu le 19 juillet par la Cour internationale de Justice (CIJ), qui liste les atteintes au droit international commises par Israël, notamment en ce qui concerne l’occupation des territoires palestiniens. Et de l’autre, le discours qu’a tenu fin septembre Benyamin Nétanyahou devant l’Assemblée générale de l’Onu. Sous les sifflets, le Premier ministre a qualifié l’organisation de marécage antisémite. »
L’interdiction du travail de l’Unrwa a déclenché un tollé sur la scène internationale. Depuis lundi, les réactions se multiplient. Dans un communiqué, le quai d’Orsay alerte sur les conséquences « très graves » qu’aurait la mise en œuvre de cette décision sur la situation humanitaire à Gaza. Même les Etats-Unis, alliés historiques de l’Etat hébreu, s’étaient dits « très préoccupés » avant le vote de la mesure, exhortant le gouvernement à y renoncer. « Avec l’élection présidentielle américaine, il est probable que les choses n’aillent pas plus loin à ce stade. Si Kamala Harris est élue, peut-être qu’il y aura une nouvelle politique de fermeté vis-à-vis d’Israël. Si c’est Trump, on plonge dans l’inconnu… », souffle le président de l’iReMMO.
« La diplomatie traditionnelle est complètement balayée par l’impulsivité du gouvernement Israélien. Depuis que Benyamin Nétanyahou dispose de cohabitations idéologiquement homogènes, avec le concours de l’extrême droite notamment, il s’est autorisé à franchir de nombreuses entraves internationales », décrypte Denis Charbit. « Il sait bien que les Occidentaux, malgré leurs protestations, n’ont d’autres choix que de soutenir Israël face aux islamistes. Un revirement, en faveur de l’Iran par exemple, reste inimaginable. »
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