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Comment l’attaque de l’Iran sur Israël permet aux Etats-Unis de « gagner en crédibilité » dans la région ?

Après les frappes iraniennes sur Israël dans la nuit du samedi 13 avril au dimanche 14 avril, un cabinet de guerre israélien se réunit à nouveau ce lundi. Pour le moment aucune décision n’est prise mais les Etats-Unis qui se sont réaffirmés dans la région, appellent à la désescalade.
Stephane Duguet

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L’Iran n’avait jamais attaqué Israël depuis son sol. Dans la nuit du samedi 13 au dimanche 14 avril, Téhéran a rompu avec cette pratique en envoyant plus de 300 drones et missiles vers plusieurs cibles israéliennes. Une attaque présentée comme une riposte à la destruction le 1er avril dernier, par des frappes imputées à Israël, du consulat iranien de Damas en Syrie. Cette opération avait également coûté la vie à 16 personnes dont sept Gardiens de la révolution de la République Islamique d’Iran. « Malgré les divisions entre d’une part le guide suprême Ali Khamenei, le président Ebrahim Raïssi et le clergé naturellement prudents, et d’autre part les Gardien de la révolution, il y a eu consensus sur le fait qu’il fallait riposter pour sauver la face », explique Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques et auteur de Tsahal, nouvelle histoire de l’armée israélienne (Ed. Tempus).

Dilemme de la riposte israélienne

Cette riposte inédite de l’Iran a eu peu de conséquences matérielles puisque l’armée israélienne revendique la destruction de 99 % des drones et des missiles envoyés par Téhéran avec l’aide de plusieurs pays : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Jordanie voisine. Ainsi, « les Iraniens se sont forcément rendu compte que le système de défense israélien couplé au système américain est redoutablement efficace », détaille Pierre Razoux. Une protection qui permettrait à Benyamin Netanyahu de se projeter dans une nouvelle riposte contre l’Iran. « La riposte israélienne interviendra pour préserver leur crédibilité stratégique », assure Frédéric Encel, professeur à Sciences Po et auteur de l’ouvrage Les 100 mots de la guerre (Ed. Que sais-je ?). Selon le géopolitologue, elle serait de faible intensité et ne se concentrerait, que sur le Hezbollah libanais, allié de l’Iran, d’autant plus que les Etats-Unis ont exclu leur participation à une opération israélienne en affirmant ne pas vouloir « d’une guerre étendue avec l’Iran ». Une position partagée par le Premier ministre britannique et le président français.

Si le cabinet de guerre organisé autour de Benyamin Netanyahu dimanche soir n’a pas débouché sur une prise de décision, une nouvelle réunion a lieu ce lundi autour du Premier ministre israélien. « Le cabinet de guerre israélien paraît divisé. Les « prudents » souhaitent ménager les Etats-Unis et sont hostiles à des frappes de rétorsion en Iran, préférant cibler le Hezbollah ; les « faucons » estiment sûrement le moment opportun pour frapper directement des objectifs stratégiques en Iran », analyse Pierre Razoux. Une intervention israélienne sur l’Iran fait peser un potentiel embrasement régional que tente de calmer la communauté internationale en appelant au calme. « Le risque principal après ce qu’il s’est passé ce week-end, c’est que Benyamin Netanyahu soit convaincu qu’il peut aller plus loin et frapper directement l’Iran en profitant de cette fenêtre d’opportunité », avance le directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques.

Sur le plan israélien, le Premier ministre peut même trouver « un intérêt à ouvrir un deuxième front en plus de Gaza pour justifier son maintien au pouvoir et faire taire une partie de son opposition intérieure, développe Pierre Razoux. En affrontant directement l’Iran, il projette une image de force et peut se permettre de temporiser à Gaza pour gagner du temps et réduire la pression des Etats-Unis. »

Les Etats-Unis, « seule grande puissance du Moyen-Orient »

Washington s’est d’ailleurs illustré comme un acteur important de la région après l’échec des frappes iraniennes. « Les Etats-Unis restent la seule grande puissance du Moyen-Orient, considère Frédéric Encel. Depuis six mois, l’escadre russe n’a pas pointé le bout de son nez tout comme les navires de surface ou les sous-marins chinois. » Pour le professeur à Sciences Po, les Etats-Unis ont montré leur capacité à « tordre le bras à Netanyahu tout en protégeant quasi intégralement Israël ».

Le fait que le système de défense américain ait mis en échec les frappes de l’Iran permet aux Etats-Unis de « regagner en crédibilité dans la région », observe Pierre Razoux. « Les Emirats et l’Arabie saoudite ont tendance à s’intéresser aux technologies militaires de la Chine. Mais ce week-end l’arsenal américain a montré son efficacité en arrêtant les frappes massives de l’Iran ».

« Pour la Chine, c’est une mauvaise nouvelle parce qu’elle n’a pas réagi à part en appelant tout le monde à la retenue et parce que les risques d’escalade régionale sont réels, alors que Pékin a besoin de stabilité pour acheminer sereinement en Chine les hydrocarbures du Moyen-Orient », relève également le directeur académique. Pour Frédéric Encel, « les Emirats, l’Europe, la Chine, les Etats-Unis et même certains régimes arabes hostiles à l’Iran craignent comme la peste une véritable guerre de haute intensité entre l’Iran et Israël car elle menacerait l’approvisionnement en pétrole brut » et impacterait fortement leurs économies.

Concernant les équilibres régionaux, la défense d’Israël par une coalition dont était membre la Jordanie démontre aussi qu’il existe toujours, en dépit de la guerre menée à Gaza, un front contre l’Iran. « Le schéma dominant, c’est toujours celui du clivage très dur qu’il existe entre l’Iran et ses proxys d’un côté (Le Hezbollah libanais, les Houthis au Yémen et les milices chiites en Irak et en Syrie, ndlr) et le monde arabe sunnite d’autre part », conclut Frédéric Encel.

 

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