More protests in Turkiye over suspension of Istanbul mayor

Arrestation du maire d’Istanbul : jusqu’où peut aller le mouvement de protestation en Turquie ?

Après l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, principal opposant du président Recep Tayyip Erdogan, de nombreuses manifestations ont éclaté un peu partout dans le pays. Si l’ampleur de la mobilisation semble inédite, le chercheur Adel Bayawan pointe une « nécessaire radicalisation » pour la poursuite du mouvement.
Marius Texier

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La veille de son interpellation, le maire d’Istanbul reçoit un message l’avertissant de l’annulation de son diplôme universitaire. Pour se présenter à l’élection présidentielle, les candidats doivent justifier d’un minimum de quatre années d’études supérieures. Ekrem Imamoglu s’est indigné regrettant que « les droits acquis de chacun dans ce pays sont menacés ».

Le lendemain, à son domicile, le maire d’Istanbul est arrêté. Dans une vidéo publiée le jour de son arrestation, Ekrem Imamoglu dit vouloir « s’en remettre à sa nation ». Le soir même, plusieurs milliers de manifestants se réunissent aux abords de la mairie en scandant des slogans hostiles au président : « Erdoğan dictateur ! », « Istanbul dans la rue, les voleurs au palais ! », comme le relatait l’Agence France-Presse (AFP). Les raisons de son interpellation : des soupçons de corruption et une suspicion de proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) considéré comme terroriste par Ankara. Figure de proue de l’opposition à Recep Tayyip Erdogan, le maire social-démocrate d’Istanbul dénonce la corruption du président, son autoritarisme et sa mainmise sur le pays depuis plus de dix ans.

« L’accusation de proximité avec le PKK permet de parler à la mémoire turque », analyse Adel Bakawan, chercheur associé au Programme Turquie/Moyen-Orient de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Dimanche 23 mars, le maire d’Istanbul est incarcéré à la prison de Silivri. « Sur le papier, il n’est pas mis en prison pour proximité avec le terrorisme, mais bien pour corruption », rappelle le chercheur. Ekrem Imamoglu est également visé par cinq autres procédures judiciaires notamment pour avoir insulté des membres du Conseil électoral suprême de Turquie. Deux des procédures ont été ouvertes en janvier.

15 millions de personnes en soutien

Le même jour que son arrestation, les élections pour désigner le candidat du Parti républicain du peuple (CHP) lors des prochaines présidentielles en 2028 ont lieu. En soutien au maire d’Istanbul, près de 15 millions d’électeurs ont fait le déplacement, dont 13,2 millions extérieurs au parti, afin de le désigner comme candidat à la présidentielle pour le compte du CHP. Par le biais de ses avocats, le maire d’Istanbul s’est exprimé sur X saluant « les millions de personnes qui crient sur les places du pays » et ajoutant : « Ces urnes viendront, la nation donnera à ce gouvernement une gifle qu’elle n’oubliera jamais ».

300 000 manifestants à Istanbul

Les rassemblements se sont poursuivis jusque tard dans la nuit dans tout le pays. Malgré les interdictions de manifestations et la réduction du trafic des réseaux sociaux, on comptait des mobilisations dans 45 des 81 provinces du pays. Vendredi 21 mars, près de 300 000 personnes se sont rassemblées à Istanbul.

Dans les cortèges, les étudiants se mobilisent en masse au cri d’ « ensemble contre le fascisme » ou « droit, loi, justice ». Le mouvement touche aussi les universités du pays. Samedi, les autorités ont annoncé 342 arrestations dont plusieurs à domicile. Parmi eux, de nombreux jeunes qui réclament un changement de gouvernement. Pour la plupart, ils n’ont connu que Erdogan comme président ou comme Premier ministre. Selon l’ONG « association turque de défense des droits humains » (MLSA), dix journalistes dont un photographe de l’AFP ont également été arrêtés à leur domicile, lundi 24 mars.

« La seule chose qu’il reste au CHP, c’est la rue »

« La Turquie se trouve avec un président qui a une volonté solide de se présenter pour un nouveau mandat ou alors qui souhaite organiser des élections anticipées », rappelle Adel Bayawan. « Factuellement, on voit que Erdogan n’est pas tellement en difficulté dans son pays ».

En 2018, pour soutenir l’élection de Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle, est fondée l’Alliance populaire, une coalition entre l’AKP, le parti du président avec le Parti d’action nationaliste, classé à l’extrême droite. « Il a déjà le centre, la droite et l’extrême droite à sa disposition », souligne Adel Bayawan. Le président est également investi dans un processus de paix avec le PKK, en guerre depuis 40 ans avec la Turquie. Le 1er mars 2025, l’organisation a annoncé un cessez-le-feu et l’ouverture de discussions en vue de sa dissolution. « Le président a parfaitement réussi à diviser la gauche sur la question kurde. Il est peu probable que les Kurdes se décident à abandonner Erdogan et à soutenir Imamoglu alors qu’ils sont engagés dans un processus de paix. Je pense que le PKK ne mouillera pas la chemise pour le CHP », analyse le chercheur.

Le parti d’Ekrem Imamoglu se trouve alors esseulé à l’échelle nationale et internationale. Au vu des nombreux intérêts entre l’Europe et la Turquie, Adel Bayawam juge « peu probable » une intervention européenne ou américaine. « La seule chose qu’il reste au CHP c’est la rue, c’est le rapport de force. Cela tombe bien, c’est le seul langage audible pour Erdogan ».

« Si le CHP ne change pas de paradigme, alors la fatigue va s’installer »

Mais est ce que le CHP souhaite aller vers une radicalisation du mouvement ? Dans l’histoire du parti, il n’existe pas de précédent. Créé en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la république de Turquie, le parti social-démocrate s’est toujours présenté comme réformiste et respectueux des institutions. « Si le CHP ne change pas de paradigme et ne souhaite pas aller vers plus de radicalisation, alors il est clair que la fatigue va s’installer et que tout le monde rentrera chez soi comme ce fut le cas pour Gezy », prévient Adel Bayawam. En 2013, de nombreuses manifestations ont secoué le pays durant plusieurs semaines. Des centaines de milliers de manifestants réclamaient plus de liberté d’expression et la démission du gouvernement Erdogan. Le mouvement s’est terminé dans la violence et la répression.

« Erdoğan est un joueur »

Pour le chercheur, il est également possible que le CHP trouve un « accord » en coulisse avec le gouvernement comme cela « se fait régulièrement en Turquie ». Cet accord laissera partiellement libre Ekrem Imamoglu dans le but d’apaiser la situation. « Le gouvernement peut également modifier la Constitution afin d’organiser des élections anticipées. Avec sa force de coalition, Erdogan a de fortes chances de les remporter ».

« Cependant, si le CHP réussit à mobiliser les différents mouvements sociaux à l’œuvre dans le pays comme le mouvement étudiant, le mouvement des femmes ou encore celui contre la corruption, alors il pourra véritablement créer un rapport de force, évalue Adel Bayawam. Mais pour ce faire, il faudra rentrer dans la désobéissance et réussir à maintenir le niveau de participation dans les manifestations actuelles ».

Pour l’heure, le mouvement se poursuit. Plusieurs organisations de jeunes ont appelé à une grève générale. Mais Adel Bayawam reste pessimiste sur la suite des évènements : « Erdogan est un joueur, il regarde son échiquier et il engage un processus de paix avec le PKK ou il liquide la figure charismatique du CHP. Pour lui, tout est jouable ».

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