Lundi à Washington, Emmanuel Macron a essayé d’infléchir la position de son homologue américain Donald Trump dans le dossier ukrainien. Le chef de l’Etat a déclaré qu’une « trêve » en Ukraine pourrait être conclue « dans les semaines à venir », trois ans jour pour jour après le début de la guerre en Ukraine déclenchée par l’invasion russe. Le Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, tire pour Public Sénat le bilan de la visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis.
Une trêve en Ukraine est-elle pour bientôt ?
Une trêve est possible, mais cela suppose que la Russie cesse ses frappes. Or, aujourd’hui encore, la quasi-totalité du territoire ukrainien a été visée par des tirs russes. Il est donc nécessaire que la Russie accepte l’idée d’une trêve.
Est-ce que cela se fera à l’issue d’une discussion internationale ou cette trêve servira-t-elle prélude aux négociations ? Difficile à dire. Pour l’instant, Vladimir Poutine ne montre aucune volonté de faire la moindre concession.
Quel bilan tirer du voyage d’Emmanuel Macron aux États-Unis ?
Ce déplacement était nécessaire et s’inscrivait dans un contexte très compliqué, notamment en raison de l’impétuosité et de l’imprévisibilité de Donald Trump. Cependant, il est difficile de prévoir l’évolution des événements. Il faudra suivre de près la visite du Premier ministre britannique à Washington ce jeudi pour voir si les conclusions seront similaires à celles tirées hier avec le président français.
Emmanuel Macron et Donald Trump parlent-ils de la même chose lorsqu’ils évoquent « la paix » en Ukraine ?
C’est toute la problématique : derrière le concept de « paix », il existe de nombreuses nuances. Cela peut aller de l’arrêt des combats – qui serait le strict minimum – à une cohabitation avec la Russie.
Quoi qu’il arrive, il n’y aura pas de processus de réconciliation entre l’Ukraine et la Russie avant des décennies, tant la rupture entre les deux pays est profonde. En Europe, il a fallu près d’un siècle depuis 1870 pour parvenir à la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Au mieux, on assistera à une paix froide entre Kiev et Moscou, la Russie restant un empire aux ambitions persistantes.
Donald Trump est semble-t-il surtout intéressé par la signature d’un accord accordant aux États-Unis des droits sur les ressources minérales ukrainiennes. Pourquoi ces « terres rares » sont si importantes pour le président américain ?
Ces ressources sont cruciales pour la compétition économique du XXIe siècle. Les terres rares, en particulier, sont indispensables à l’industrie automobile et au numérique. Trump a répété à plusieurs reprises qu’il est « quelqu’un qui fait des deals », ce qui illustre bien son approche transactionnelle de la situation en Ukraine plutôt que la construction d’un avenir commun. En réalité, le président américain veut un retour sur investissement (« I want my money back »). Volodymyr Zelensky semble habilement jouer sur cet aspect, car derrière ces négociations pourraient se profiler des garanties de sécurité pour l’Ukraine.
Nous sommes entrés dans une époque de prédation économique : hier, c’était le pétrole, aujourd’hui, ce sont les terres rares qui deviennent un enjeu stratégique. On le voit également avec les revendications de Trump sur le Groenland. Les terres rares seront au XXIe siècle ce que les hydrocarbures ont été au XXe et le charbon au XIXe siècle.
Quelle forme pourrait prendre un déploiement de troupes européennes en Ukraine dans le cadre d’un accord avec la Russie ?
Hier, Emmanuel Macron a présenté des options militaires au président américain. L’idée serait de déployer une force européenne à vocation dissuasive, sans entrer directement en guerre contre la Russie. L’objectif serait d’être suffisamment dissuasif pour empêcher Poutine de relancer le conflit. Toutefois, de nombreux flous subsistent. Nous aurons peut-être plus de détails lors de la visite de Keir Starmer jeudi à Washington.
On a l’impression que l’Europe commence enfin à afficher une unité sur le dossier ukrainien…
L’Europe resserre les rangs, et effectivement une plus grande unité commence à se faire sentir. La prise de conscience de l’urgence de la situation est une première étape positive, comme l’a illustré hier la visite d’une dizaine de chefs de gouvernement à Kiev. Mais des divergences persistent quant aux actions à entreprendre. Il faut surtout saluer le leadership franco-britannique dans ce dossier.
Emmanuel Macron est le premier dirigeant européen reçu depuis le début du second mandat de Donald Trump. Qu’est-ce que cela dit sur leur relation ?
La relation entre les deux hommes est complexe mais nécessaire. Emmanuel Macron connaît Donald Trump depuis 2017 et a su en mesurer les ressorts psychologiques. Il adopte une posture pragmatique et réaliste, cherchant le consensus tout en sachant que, pour Trump, c’est toujours lui qui aura le dernier mot. C’est pourquoi la mission du chef de l’Etat est difficile, et bien que les résultats puissent sembler positifs, il faut rester très prudent sur le bilan de sa visite à Washington.