Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Afghanistan : « Le seul espace d’une femme aujourd’hui, c’est sa maison »
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Qu’est-ce que cette loi change dans la condition des femmes afghanes aujourd’hui ? Pour rappel, elles ne peuvent pas aller à l’école après 12 ans, ne peuvent quasiment plus travailler et ne peuvent plus aller dans des salons de beauté.
C’est une loi qui a été préparée par le ministère de la promotion de la vertu et de la répression du vice. L’ONU en parle comme du « dernier clou dans le cercueil » de la condition des femmes en Afghanistan. C’est la fin d’une descente aux enfers pour les femmes qui a commencé en août 2021. En 2020, à la prise de pouvoir des Talibans, il y a eu comme une lune de miel : ils ont promis à la communauté internationale une transition pacifique, ils l’ont un peu respectée. La situation n’était certes pas simple pour les femmes en Afghanistan, mais elles aillaient à l’université, elles pouvaient travailler, tout comme les journalistes.
C’est au moment du premier anniversaire de la prise de Kaboul que les choses ont changé. Comme les Talibans voulaient être reconnus par la communauté internationale, ils ont essayé de jouer le jeu, mais voyant qu’aucune reconnaissance n’arrivait, que leurs avoirs n’étaient pas dégelés, ils ont changé de stratégie. Il y a eu le choc après choc. Les femmes afghanes étaient un peu enragées par les Talibans et par la communauté internationale qui ne l’a pas vu venir. La question qu’elles se posaient n’était pas de savoir s’ils allaient durcir les conditions des femmes, mais de quand. Le premier choc a été en mars 2022, quand les lycées n’ont pas ouvert le jour où cela avait été annoncé, puis le décret sur le port du hijab, contraignant les femmes à se couvrir entièrement, puis les universités fermées en décembre 2022, puis l’interdiction pour les femmes de travailler dans des ONG et, en avril 2023, à l’ONU. Est ensuite venu le décret sur le mahram, l’homme qui doit obligatoirement accompagner toute femme qui s’éloigne de chez elle. Aujourd’hui, on arrive presque entièrement à la même situation que dans les années 1990. Il ne reste pratiquement plus rien que les Talibans peuvent interdire aux femmes. Tous les endroits où elles peuvent se retrouver ensemble leur sont fermés : les parcs, les salons de beauté. L’espace d’une femme en Afghanistan aujourd’hui, c’est sa maison.
Est-ce que ces règles sont vraiment appliquées pour toutes les femmes ?
Il faut relever qu’il y a aujourd’hui, plus encore que dans les années 1990, un écart entre l’esprit de la loi et son application. Dans les faits, aucune ONG n’a licencié de femme. Il y a eu énormément d’exemptions, de deals au niveau local. Il y a beaucoup de talibans modérés, qui pensent que maintenant que le pays est sous charia, il n’y a pas de raison pour que les femmes ne travaillent pas ou n’aillent pas à l’école. Sur ce point, il y a beaucoup de dissension chez les Talibans. Par exemple, en mai, j’ai visité des écoles secrètes dans le sud de Kaboul. Le taliban local est au courant et décide de fermer les yeux.
Pour autant, il n’existe pas de passe-droit pour les femmes. Même celles qui font partie de la famille de talibans, même si beaucoup d’entre eux m’ont déjà demandé de trouver un travail pour leur femme ou leur fille. Tout n’est pas homogène quand on parle des Talibans. Il ne faut pas se méprendre, bien que la loi ne soit pas appliquée partout pareil, cela ne rend pas la situation moins mauvaise.
Le gouvernement a annoncé que cette loi serait appliquée avec « ménagement », le 26 août. Cette affirmation est-elle donc crédible ?
Cela donne le pouvoir au taliban local, à son checkpoint, dans son quartier, dans sa rue. Cela rend la situation encore pire pour les femmes car elles ne savent jamais comment cela va se passer. C’est une question que l’on se pose beaucoup : la situation peut-elle vraiment s’améliorer ?
Comment ces mesures sont-elles reçues sur place ?
J’ai rencontré des femmes talibanes très affectées par la guerre. Ce qu’elles disent, c’est qu’au moins, il y a la paix. Depuis août 2020, beaucoup d’afghans voient leur pays en paix pour la première fois de leur vie. Beaucoup d’entre eux retournent dans leur province d’origine, qui leur était interdite par la dangerosité des routes.
Mais la conclusion principale, c’est la perte d’espoir que les choses s’améliorent. Au début, l’espoir existait un peu. Aujourd’hui, il est parti, et toutes les femmes que j’interviewe veulent quitter le pays. Cette perte d’espoir est la conclusion la plus amère.
Que peut faire la communauté internationale ?
Elle a de moins en moins de poids, à cause de cette question de la reconnaissance, mais aussi parce que les Talibans ont récupéré leur pays après vingt ans de guerre et ils sont prêts à se passer de la communauté internationale. Il y a certes une crise humanitaire et économique, et la communauté internationale réussit à garder la population sous perfusion. Mais les Talibans cherchent à contrôler l’aide humanitaire et préfèrent la perdre s’ils ne peuvent y arriver. Sur les questions des droits des femmes, on n’a vu aucun progrès, sur les trois ans, il n’y a eu aucune concession. Certains pays de la communauté internationale, comme la France et l’Allemagne, veulent les isoler. D’autres sont plus modérés et se disent que c’est la pire des stratégies. Les droits des femmes ont été un tel cheval de bataille, que les Talibans ne pourraient pas faire un pas en ce sens sans que cela ne soit vu en interne comme une reddition à la communauté internationale.
Sur le plan économique, il existe un potentiel pour que la situation s’améliore. Les internationaux donnent de l’aide humanitaire pour que les Afghans ne meurent pas de faim, mais on n’arrive pas à faire revenir des programmes d’aide à la création d’entreprises, à cause de la baisse des crédits. Il y a une vraie compétition pour le peu d’aide humanitaire qui existe entre tous les pays en crise et les conflits.
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