Borys Filatov, maire de la ville de Dnipro, était l’un des élus ukrainiens invités ce mardi à prendre la parole au Congrès des maires organisé par l’AMF. Mille jours après l’invasion russe de l’Ukraine, il témoigne sur Public Sénat d’un conflit toujours aussi difficile à supporter pour la population de son pays.
Accord sur l’exportation des céréales : quelles sont les conséquences du retrait de la Russie ?
Par Henri Clavier
Publié le
« Une énorme erreur », selon Emmanuel Macron, « une décision cynique » pour la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, les réactions au retrait de la Russie sont cinglantes. Mais à quoi faut-il s’attendre réellement ? Quelles sont les conséquences de ce retrait ? Explications de Carole Grimaud, fondatrice du think tank Center for Russia and Eastern Europe Research (CREER) de Genève et spécialiste de la géopolitique russe.
Est-ce surprenant que la Russie n’ait pas fait le choix de renouveler sa participation sur l’exportation de céréales en mer Noire ?
Oui et non, c’était difficile à dire. Déjà, la conclusion s’était faite in extremis et ensuite en novembre l’accord avait été prolongé de justesse. Suspendre la participation à l’accord est un moyen d’action qui avait déjà été évoqué auparavant, la Russie utilise chacune des armes à disposition.
Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour les exportations de céréales ? L’Ukraine ne pourra plus exporter au risque d’être menacée par la flotte russe ?
Le retrait signifie la fin des garanties en matière de sécurité dans la zone et donc la fin du corridor qui permet à l’Ukraine d’exporter ses céréales. Il y a une flotte russe importante stationnée à Sébastopol, le contrôle de la mer Noire et surtout de la partie la plus proche de la Crimée est un point extrêmement important pour la Russie. Néanmoins, cela paraît relativement peu probable que la Russie s’attaque directement à des navires commerciaux, ce n’est pas sur ce plan qu’il y a une menace. Volodymyr Zelensky parle d’ailleurs déjà de continuer les exportations, même si la Russie ne revient pas dans le traité et que le corridor n’est pas maintenu.
Dans ce cas-là comment la Russie utilise-t-elle cet accord pour fragiliser l’Ukraine ?
On est plutôt dans la recherche de la guerre économique entre les deux Etats. Il ne faut pas oublier que la Russie est le premier exportateur de blé au monde, l’objectif est d’amoindrir les exportations ukrainiennes pour porter un coup dur à Kiev, l’exportation de céréales en général est absolument vitale pour l’Ukraine, c’est une partie majeure de son économie.
Par ailleurs, l’accord sur les céréales en mer Noire a permis d’exporter 33 millions de tonnes de céréales depuis sa conclusion. C’est une occasion pour la Russie d’accroître son partenariat avec les pays africains. Cela fait un moment que la Russie voit dans l’Afrique un continent porteur, un marché où investir. 90 % des échanges entre la Russie et le continent africain portent sur les céréales.
L’objectif dépasse le seul cadre de la guerre en Ukraine ?
La dimension géopolitique est primordiale. Dans les chiffres, les exportations ukrainiennes sont principalement dirigées vers les pays de l’Union européenne et vers la Chine, ce qui est vivement critiqué par la Russie. Moscou avait aussi accepté l’accord en utilisant le prétexte qu’il ne fallait pas accentuer les crises. En réalité, une grande partie du blé exporté vers l’UE l’est ensuite vers l’Afrique, donc c’est un prétexte utilisé par Poutine pour porter le combat sur le terrain de la guerre économique. Les Russes sont parfaitement conscients que l’Ukraine ne peut pas se passer de ses exportations de céréales.
Quels éléments pourraient pousser la Russie à revenir à la table des négociations ?
La Russie utilise ce traité comme un moyen de pression. Les demandes de la Russie pour revenir à la table des négociations sont donc très claires. La principale demande concerne la levée des sanctions contre la banque agricole Russe, la Rosselkhozbank. Poutine souhaite que la banque soit réintégrée au réseau bancaire mondial Swift pour faciliter les exportations notamment vers l’Afrique, mais l’Union européenne a été inflexible sur ce point. Le président de la Fédération de Russie avait déjà dit en mars que même si la Russie se retirait, il n’y aurait pas de conséquences pour les pays importateurs du continent africain et que Moscou était prêt à livrer gratuitement les Etats les plus nécessiteux. Ça fait partie de l’entreprise globale de séduction de la Russie vers les pays africains. Le deuxième sommet Russie-Afrique se tient à Sotchi les 27 et 28 juillet
Doit-on s’attendre à une augmentation massive des prix des céréales ? A des pénuries alimentaires ?
Pas nécessairement. Tant que l’Ukraine maintient le volume de ses exportations il ne devrait pas y avoir d’impact. L’accord sur les céréales a permis, depuis un an, de stabiliser le prix des denrées, mais ce n’est pas pour cela que le retrait de la Russie va relancer l’inflation comme au début de la guerre. L’année dernière, l’incertitude de la guerre a entraîné une augmentation galopante du coût des céréales. Aujourd’hui il y a plus de certitudes, et peu de chances que les prix repartent à la hausse à court terme parce que les récoltes ont été très bonnes. Cependant, la question des assurances pourrait créer des difficultés. S’ils ne sont pas assurés, à cause de la menace russe, les navires ne prendront pas le risque de venir dans le sud de l’Ukraine pour exporter les céréales, c’est l’une des principales conséquences. La capacité à trouver d’autres routes pour l’exportation va être capitale. A moyen terme, cela pourrait réduire le volume d’exportation et potentiellement augmenter la faim dans le monde.
Pour aller plus loin