L’accalmie aura été de courte durée. Un mois après avoir subi les foudres du président américain dans le Bureau ovale, voilà Volodymyr Zelensky de nouveau menacé par Donald Trump. Et encore une fois, le point principal de discorde reste le même : la signature du contesté accord sur les minerais ukrainiens, souhaitée par le milliardaire américain depuis son retour à la Maison-Blanche. Ce texte prévoit de faciliter grandement l’accès à Washington à de nombreuses ressources du pays envahi, en guise de compensation de l’aide fournie à Kiev depuis le début de la guerre.
Après leur rencontre avortée à la Maison-Blanche, Donald Trump et Volodymyr Zelensky avaient repris contact, notamment par téléphone. Une nouvelle mouture de l’accord sur les minerais a ainsi été envoyée au pouvoir ukrainien vendredi. Problème : selon Kiev, ce texte comprendrait des clauses totalement remaniées par rapport à des points déjà négociés lors des précédents échanges avec les Américains. « Beaucoup de choses qui n’avaient pas été discutées et certaines qui avaient déjà été rejetées par les parties » ont été ajoutées à la nouvelle mouture, a souligné Volodymyr Zelensky, vendredi.
Zelensky « aura des problèmes » s’il ne signe pas l’accord, menace Trump
Des propos qui n’ont pas plu à Donald Trump. « Je vois qu’il essaie de se retirer de l’accord sur les terres rares. Et s’il le fait, il aura des problèmes. De gros, gros problèmes », a lancé le républicain devant des journalistes, à bord de l’avion présidentiel américain, dimanche 30 mars. Avant de poursuivre, sur le même ton : « Nous avons conclu un accord sur les terres rares et maintenant il dit, eh bien, vous savez, je veux renégocier l’accord. Il veut devenir membre de l’Otan. Eh bien, il ne sera jamais membre de l’Otan. Il le comprend. Donc, il cherche à renégocier l’accord. »
Faut-il voir dans ces déclarations les prémices d’une nouvelle dégradation des relations diplomatiques entre les États-Unis et l’Ukraine ? « Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire que ce soit la même situation qu’au moment de la rencontre à la Maison-Blanche. Oui, Trump n’est pas content. Mais il n’y a pas l’épisode du Bureau ovale, il n’y a pas l’humiliation », tempère Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé à l’institut Open Diplomacy, joint par Public Sénat. « Donald Trump est sans doute extrêmement frustré par le fait que le grand deal qu’il avait imaginé ne se matérialise pas. » Au-delà du président ukrainien, le républicain s’en est d’ailleurs également pris à Vladimir Poutine, se disant « déçu » de certains des propos tenus par le dirigeant russe « ces deux derniers jours ».
Si Donald Trump n’a pas manqué d’exprimer son courroux, le contenu précis du nouveau projet d’accord a aussi été ressenti de manière brutale à Kiev. Dans le détail, le document transmis par les Américains permettrait à Washington de détenir la primauté d’accès sur de nombreuses ressources naturelles ukrainiennes, comme les convoitées terres rares, indispensables à la fabrication de nouvelles technologies. Pétrole, gaz, métaux… L’ensemble des richesses de l’Ukraine ont été intégrées à ce plan. Les bénéfices tirés par l’exploitation de nombreuses infrastructures (réseau ferroviaire, routes…) seraient également concernés.
Un fonds sous contrôle majoritaire américain
Le fonctionnement du dispositif présenté par les États-Unis prévoit la création d’un fonds abondé par ces recettes, directement copiloté avec l’Ukraine, mais placé sous le contrôle majoritaire américain. Le tout justifié par la volonté de rembourser le montant de l’aide fournie par les États-Unis depuis février 2022 – un chiffre initialement fixé à 500 milliards de dollars par l’administration Trump, qui devrait être recalculé. « C’est une véritable mise sous coupe de l’économie ukrainienne par les Américains », pointe Dario Batistella, professeur en relations internationales à Sciences Po Bordeaux et contacté par Public Sénat.
Kiev, qui tente de s’appuyer de plus en plus sur le soutien européen, reste malgré tout échaudé par la récente suspension temporaire de l’aide militaire américaine et du partage de renseignement fourni par Washington. Une opposition frontale au projet d’accord sur les minerais exposerait l’Ukraine à de probables contre-mesures américaines. « Les Ukrainiens ne peuvent pas se permettre de dire non », résume Ulrich Bounat. Kiev, toujours candidate pour rejoindre l’Union européenne, a déjà évoqué le problème du non-respect du cadre européen, notamment en matière de concurrence, si cet accord venait à être conclu avec les États-Unis. « C’est une façon détournée de dire non », décrypte le spécialiste. « Mais les Ukrainiens savent qu’ils devront à un moment donner des gages à Donald Trump, puis renégocier ce texte une nouvelle fois. »
Les autorités du pays envahi par la Russie en 2022 pourraient demander à retravailler certains points précis. L’interdiction de fournir certains matériaux à d’autres puissances que les États-Unis pose par exemple problème. « Les Ukrainiens veulent éviter le fait que les Américains aient une sorte de préemption sur les ressources de leur pays », développe Ulrich Bounat. « Ils ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, ils ont envie d’avoir des marges de manœuvre. » Les terres rares sont par exemple particulièrement stratégiques pour l’Ukraine, étant donné l’intense compétition entre les États-Unis et la Chine pour en posséder.
Absence de garanties de sécurité
L’autre principale préoccupation de Kiev concerne l’absence de garanties de sécurité fournies par la partie américaine en échange de la signature de cet accord. Rien n’a été annoncé sur ce point par la Maison-Blanche – hormis une vaporeuse promesse, mi-mars, d’aider l’Ukraine à se fournir en systèmes de défense antiaérienne Patriot. La problématique des garanties de sécurité « est devenue complètement en dehors de la discussion pour les Américains », précise Ulrich Bounat. « Donald Trump a répété qu’il en était hors de question. » Pour Dario Battistella, la situation témoigne aussi d’une « tendance lourde » : celle de la redéfinition du rôle américain vis-à-vis de ses partenaires. « Désormais, les États-Unis soumettent l’aide qu’ils octroient à une espèce de donnant-donnant : ‘on vous protège, mais on vous réclame votre dû’ », schématise-t-il.
L’Ukraine, qui avait approuvé la proposition américaine d’un cessez-le-feu de 30 jours, se voit donc encore pressée de répondre aux demandes de Donald Trump. La Russie, pendant ce temps, n’a pas donné davantage de signes pour avancer vers une potentielle trêve. L’intransigeance du Kremlin pourrait peut-être d’ailleurs donner un avantage à Kiev en vue de potentielles nouvelles négociations. Sur un plan stratégique, « les États-Unis ne peuvent pas se permettre de lâcher l’Ukraine du jour au lendemain, et ça, Kiev le sait aussi », estime Dario Battistella. « Tout ce qui divise les Occidentaux, c’est bon pour Poutine, qui joue la montre », souligne pour autant Ulrich Bounat. Le président russe a assuré ce lundi « rester ouvert à tout contact » avec son homologue américain.