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A Milwaukee, Trump laisse tomber les discours rassembleurs et retrouve ses tropes habituels

Dans la nuit de jeudi à vendredi, quelques jours après la tentative d’assassinat contre lui, Donald Trump a prononcé son discours d’acceptation d’investiture à la convention républicaine de Milwaukee. Un discours dans lequel il s’érige à la fois comme grand réconciliateur des Américains et tout en retombant dans ses antiennes anti-immigration et ses propos évangélisateurs. Quelle stratégie de campagne se dessine-t-elle, maintenant qu’il est officiellement investi par le parti Républicain, face à un Joe Biden affaibli, poussé vers la sortie par certains de ses troupes ? Interview avec le spécialiste de la politique et de la géographie électorale américaine, enseignant agrégé à l’Institut français de géopolitique, Maxime Chervaux.
Mathilde Nutarelli

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Sur la forme, d’abord. Le discours a duré 90 minutes, un record. Est-ce que cela veut dire quelque chose ?

Donald Trump, pour la troisième fois, a réalisé un des plus longs discours pour une convention nationale républicaine. C’est à la fois un record et c’est à moitié surprenant. En 2016 et 2020, il a fait des discours longs. Ce qui est surprenant, c’est la différence entre le discours transmis à la presse et le discours final : il y a d’énormes écarts, qu’il n’a pas pu s’empêcher de faire. Cela se voit dans le fond du discours. Il y a un discours qui essaie de rentrer dans la continuité des discours précédant le sien lors de la convention : ils sont retravaillés, vérifiés, pour construire l’image d’un Trump homme normal, du peuple, duquel on peut que se sentir proche. Sa famille a insisté sur à quel point c’est un père et un grand-père formidable. La trame du discours joue sur cela : on peut se sentir proche de lui et à la fois, il ressort comme l’homme politique qui joue la carte du rassemblement. Il y avait de la part de ses équipes la volonté de structurer un discours rassembleur, un peu classique, mais les innombrables digressions de Trump ont cassé cette dynamique. Tout du long, ce sont des allers-retours entre le discours rassembleur et la rhétorique classique de Trump.

Dans cette rhétorique classique de Trump, il a manqué hier soir la mention à l’IVG. Est-ce une stratégie délibérée de la part du candidat ?

Complètement. C’est le gros sujet qu’on aurait pu attendre dans son discours. Mais lors du travail du programme, ils ont compris qu’il y avait un sujet perdant pour lui là-dedans. Il a pris le risque de ne pas faire plaisir à une frange très à droite de son parti sur les sujets de société. Ce n’est pas une surprise, mais c’est assez rare que Trump ne mentionne pas l’avortement. Plus largement, toutes les questions sociétales n’ont pas été mentionnées hier. Il parle à un moment des hommes transgenres et de leur participation aux compétitions sportives, mais c’est tout. Pourtant, toutes les questions sociétales ont été derrière la contrerévolution que Donald Trump, le Tea Party et les conservateurs ont porté et qui l’ont beaucoup aidé.

Pour autant, ceux qui sont mobilisés par ces sujets-là votent très largement républicain et voteront de toute façon pour Trump. Il n’y a pas vraiment d’autre option ouverte à eux.

Hier soir, Trump s’est présenté comme « celui qui sauve la démocratie ». Après avoir contesté le résultat de l’élection en 2020 et avoir vu ses troupes partir à l’assaut du Capitole, n’est-ce pas paradoxal ?

C’est le meilleur exemple de la différence entre le discours tel qu’il a été écrit en amont et tel qu’il a été prononcé. Il est là en principe pour jouer l’apaisement après la tentative d’assassinat. Il retourne les arguments que les démocrates ont pu utiliser contre lui depuis plus de huit ans. Et pourtant, il attaque Joe Biden, il attaque Nancy Pelosi, il attaque même la direction d’un des plus grands syndicats américains, celui de l’automobile. Il y a une différence entre une volonté qu’il a liée, à la clôture de la convention, de se montrer comme l’homme politique par référence, et ce qui est fait effectivement.

Ce discours rassembleur peut convaincre la partie de l’électorat américain qui va faire l’élection, notamment ceux qui ont pu voter pour lui en 2016 mais pas en 2020, de revenir vers Donald Trump. Ce sont des personnes qui sont déçues par Biden et le fait qu’il soit encore candidat aujourd’hui, et sur lesquels le message de la lutte contre l’inflation peut être moteur. Les digressions de Trump, ce n’est pas surprenant, mais elles ne vont pas décourager des électeurs modérés. Très peu de gens vont vraiment regarder le discours du début jusqu’à la fin. C’est très facile pour la campagne de créer des petites vidéos avec des moments plus régaliens de son discours. Il y a des passages forts, rassembleurs, notamment dans le contexte de la tentative d’assassinat.

Avec ses nombreuses références religieuses et ses militants arborant un pansement sur l’oreille, comme lui, Donald Trump cherche-t-il à devenir un guide spirituel ?

Dans ses mentions religieuses, il y avait peut-être une référence à l’autre cas qui existe aujourd’hui d’un candidat à la présidentielle qui a été blessé pendant la campagne : Theodore Roosevelt. Cet ancien président qui, sur une plateforme progressiste et en dehors du parti républicain a lancé une campagne en 1912. On lui a tiré dessus un peu avant la convention et il a utilisé à l’époque des expressions religieuses pour mobiliser son électorat et donner l’impression qu’il y avait une volonté divine derrière lui. C’est extrêmement ancré dans l’imaginaire collectif américain. On est dans un pays qui se présente depuis toujours avec une mission divine. On a vu des présidents américains à travers les époques reprendre ces tropes, notamment dans des moments très importants. C’était assez attendu, on savait que c’était une rhétorique très messianique qui était utilisée par ses proches. Cela peut avoir un réel intérêt politique et électoral qui peut rassembler, cela marchait assez bien dans le discours de départ, mais en réalité, cela se perd un peu dans le discours tel qu’il a été donné effectivement. Par rapport à Theodore Roosevelt, l’effet est dilué, parce que ce dernier avait quand même voulu se placer au-dessus de la mêlée, alors que Donald Trump est très fan du fait divers, du détail, du gore. Il est dans une version téléréalité de ce qu’aurait pu être Roosevelt, beaucoup moins intellectualisée, plus proche du récit de fait divers très accrocheurs.

Y a-t-il une différence avec sa campagne de 2016, celle de 2020 et celle d’aujourd’hui, dans le ton et la stratégie ?

C’est un entre-deux. Aujourd’hui, il n’est pas le président sortant, il n’a pas cherché de la même manière à défendre son bilan. Il est plutôt dans l’opposition du sortant, ce qui le rapproche de 2016. Les thématiques sont comme cette année-là : le lien entre l’immigration et les crimes, les impôts, l’Iran et la guerre perpétuelle américaine, avec les questions sociétales en moins. En 2016, il comparait les immigrés et les violeurs, là il fait le lien entre immigrés et Hannibal Lecter. Il inclut, en 2024, des éléments régaliens, qui étaient présents dans sa campagne de 2020.

Ses opposants dans la primaire républicaine étaient présents hier et lui ont ouvertement apporté leur soutien. Est-ce fréquent ?

Cela reste un discours extrêmement personnel, il rassemble autour de lui, pas du parti. On n’est pas sur un projet collectif rassembleur, on est sur un homme qui montre qu’il souhaite le rassemblement. C’est classique de voir une partie des perdants de la primaire participer à l’élection. En 2016 et en 2020, nous avons vu que Trump aimait bien laisser de coté ses opposants, parce qu’il y avait une réelle volonté d’OPA sur le parti républicain. Toutes les figures qui représentaient l’ancien monde étaient vilipendées. Cette année, toutes les figures de la primaire sont là, même ses opposants de 2016. Ce n’est pas surprenant, parce que c’est la plus belle image possible, montrant à quel point Trump est aujourd’hui le parti républicain. La primaire a montré qu’il y avait parfois 20 % des sympathisants au niveau des états qui n’étaient pas convaincus par sa candidature, mais que ces voix ont été marginalisées. Les huit dernières années ont bien installé Donald Trump, ainsi que ceux qui ont retourné leur veste. Il n’y a plus vraiment d’expression alternative, peut être au niveau interétatique, mais ils n’ont pas la capacité de se faire entendre.

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