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Ve République, une Constitution à bout de souffle ?

Alors que la France attend toujours un gouvernement, l’avenir institutionnel semble de plus en plus incertain. Dans ce contexte, les institutions peuvent-elles survivre à une crise politique sans évolution de la pratique des institutions ? Le rôle du Président de la République apparaît comme une contrainte alors qu’un changement du mode de scrutin pourrait faire évoluer le régime.
Henri Clavier

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Un peu plus d’un mois après le résultat des élections législatives, la France n’a toujours pas de gouvernement. Alors que le Président de la République prend son temps, aucune négociation n’a été formellement ouverte entre les différents partis pour tenter de trouver un accord de gouvernement et s’appuyer sur une majorité stable. A l’inverse, véritable singularité démocratique, chacun semble attendre la décision du Président de la République et miser sur la possibilité de gouverner tout en étant minoritaire à l’Assemblée nationale. Une situation inenvisageable dans la plupart des pays de l’Union européenne où l’on s’accommode mieux d’une absence de majorité absolue au Parlement.

S’en remettre au choix d’un seul homme pour interpréter et donner vie aux résultats des élections législatives peut paraître étonnant, mais reflète parfaitement les évolutions de la Ve République. Adoptée en 1958, la Constitution de la Ve République devait permettre de s’appuyer sur des majorités stables au Parlement, tout en renforçant l’exécutif et en conférant au Président de la République un rôle d’arbitre et de contre-pouvoir face aux partis politiques, notamment grâce au droit de dissolution. Presque 70 ans plus tard, la pratique et les modifications de la Constitution donnent à voir une situation bien différente de celle initialement prévue et interrogent sur la pérennité des institutions.

« Il faut bien rappeler que la Constitution de 1958 et la Ve République telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui sont deux choses distinctes »

« Le suffrage universel [direct] ne donne pas un corps électoral normal dans un régime parlementaire. Le Président qui est l’élu du suffrage universel est un chef politique attaché à l’œuvre quotidienne du gouvernement et du commandement », affirmait Michel Debré, qui présidait le comité chargé d’élaborer le texte constitutionnel de 1958, dans son discours devant le conseil d’Etat. D’abord élu au suffrage universel indirect, le Président de la République ne devait pas être, comme il l’est aujourd’hui, le cœur politique de nos institutions. La révision constitutionnelle de 1962 entraînant l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct a profondément transformé la pratique des institutions.

« Il faut bien rappeler que la Constitution de 1958 et la Ve République telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui sont deux choses distinctes », note Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’Université Paris-Cité. Ce dernier évoque notamment le tournant présidentialiste lié à l’élection au suffrage universel direct du Président de la République à partir de 1962, qui entraîne une forme de subordination du chef de gouvernement. Un effet largement renforcé par l’article 8 de la Constitution permettant au Président de la République de nommer le Premier ministre. Or, lorsque le chef de l’Etat dispose d’une majorité au Parlement, le chef du gouvernement est responsable devant la chambre basse et devant le Président de la République. Le quinquennat et la tenue des élections législatives quelques semaines après l’élection présidentielle renforce la centralité du chef de l’Etat.

Vers la disparition du fait majoritaire ?

La possibilité pour le Président de la République de s’appuyer sur une majorité de députés à l’Assemblée a été surnommée « fait majoritaire ». Ce phénomène qui a considérablement renforcé le rôle du Président de la République se trouve désormais remis en question. « On constate que le fait majoritaire écrase les députés qui sont dans la majorité où ils n’ont finalement que très peu de choses à faire, et dans l’opposition vous avez très peu de moyens d’action. Dans une tripolarisation de la vie politique, il n’y a plus de fait majoritaire, donc la centralité du Président est mise en cause », explique Bastien François, professeur de science politique à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne. « Dans cette configuration, le présidentialisme majoritaire a du plomb dans l’aile », abonde Bruno Daugeron. En effet, outre les divisions à l’Assemblée nationale induites par la tripolarisation de la vie politique, cette évolution des clivages impacte également l’élection présidentielle en elle-même puisque le candidat élu risque de plus en plus, dans cette configuration, d’être élu par défaut avec les voix du bloc éliminé au premier tour.

Des évolutions conditionnées à la sortie de la « matrice présidentielle » 

Ce que l’usage a façonné, la pratique peut le défaire. Doit-on pour autant imaginer une évolution de la pratique des institutions, dans le cadre de la Vème, aboutissant à une parlementarisation du régime ? C’est possible assure Bruno Daugeron : « Le texte de 1958 s’accommoderait parfaitement d’un président arbitre qui ne cherche pas à gouverner. La question c’est de savoir si on peut retourner à une pratique plus parlementaire malgré un Président de la République élu au suffrage universel direct et à qui la pratique offre une place prépondérante. » Rappelons-le, les pouvoirs propres du chef de l’Etat ne sont pas extrêmement étendus et le texte constitutionnel charge le Premier ministre de « déterminer et conduire la politique de la Nation ».

Malgré les appels à la démission d’Emmanuel Macron afin d’assumer l’échec de la dissolution, aucun parti ne semble vouloir véritablement neutraliser la capacité d’action du Président de la République. « Tout le monde n’est pas prêt à tirer les conséquences de ce qu’il se passe, on va avoir du mal à couper la vocation présidentielle qui cristallise les ambitions et qui reste perçue comme la clé de voûte du régime », prévient Bruno Daugeron. « La matrice présidentielle reste omniprésente », abonde Bastien François qui pointe la possibilité de parlementariser la pratique des institutions dès 2022. Graal de la politique française, l’élection présidentielle continue de façonner le comportement des partis politiques, moins enclins à nouer des compromis en vue d’un accord de gouvernement avec le risque d’une dissolution et la proximité de l’élection présidentielle.

La proportionnelle, faire évoluer le régime en douceur 

Si le cadre constitutionnel façonne les habitudes politiques, le mode de scrutin joue également un rôle essentiel. En effet, le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour les législatives et la présidentielle induit la volonté de dégager une majorité claire.  « La perspective de l’élection présidentielle de 2027 est un poison dans les têtes, cela explique aussi la difficulté pour les partis d’opter pour une approche parlementaire plus classique comme dans la plupart des régimes des pays de l’Union européenne », souligne Bastien François. Dans ce contexte, le recours à une élection des députés à la proportionnelle pourrait largement modifier les comportements politiques. S’il existe une multitude de modes de scrutin à la proportionnelle différents, l’un des points communs est la difficulté pour un parti à obtenir, seul, la majorité absolue des sièges. « La proportionnelle casse la logique perdant/ gagnant qui prévaut aujourd’hui et dans laquelle on se dit qu’il faut absolument un mode de gouvernement majoritaire. L’avantage de la proportionnelle c’est aussi que c’est un vote d’adhésion qui permet de se projeter dans la politique et écarte l’idée du vote barrage », affirme Bastien François. La proportionnelle pourrait également avoir un autre avantage, la simplicité de sa mise en œuvre. En effet le mode de scrutin des élections législatives est fixé par une loi simple ce qui évite de recourir à la très contraignante procédure de révision de la Constitution pour espérer faire évoluer, par la pratique, les institutions de la Ve République.

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