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Refus de nommer Lucie Castets : Est-ce une « faute institutionnelle » comme le prétend François Hollande ? 

Dans un entretien accordé au Point, François Hollande qualifie de « faute institutionnelle » le choix d’Emmanuel Macron d’écarter Lucie Castets de la course à Matignon. Si cette notion n’existe pas en droit constitutionnel, elle pose néanmoins la question de la marge de manœuvre du Président de la République dans la nomination d’un Premier ministre en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Henri Clavier

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Après les premières consultations organisées par Emmanuel Macron, le Président de la République a écarté la possibilité d’une nomination de la candidate du Nouveau Front Populaire (NFP) à Matignon. Une « faute institutionnelle » estime son prédécesseur, et député du Nouveau Front Populaire, François Hollande. Rappelant sa posture de garant des institutions, Emmanuel Macron met en avant la « stabilité institutionnelle » et la menace d’une censure immédiate pour écarter la nomination de Lucie Castets. Sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, François Hollande considère néanmoins que le choix « revient à l’Assemblée nationale après que les députés auront écouté la déclaration de politique générale et la composition du gouvernement ». 

Bientôt huit semaines après les élections législatives, le Président de la République n’a toujours pas nommé de Premier ministre, interrogeant ainsi la marge de manœuvre que lui accorde l’article 8 de la Constitution. Si la nomination du Premier ministre est un pouvoir discrétionnaire, les interprétations des constitutionnalistes divergent. Sans véritable sens juridique, la notion de « faute institutionnelle » se révèle plus politique que juridique. 

« La notion de faute n’est pas utilisée en droit constitutionnel » 

« C’est purement performatif, c’est politique, il n’y a aucune mention de faute institutionnelle dans la Constitution », rappelle directement Bruno Daugeron, professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris-Cité. En effet, le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est irresponsable politiquement. « Le seul moyen d’engager la responsabilité du Président de la République c’est la procédure de destitution, peut-être que François Hollande fait implicitement référence à un manquement dans l’exercice de ses fonctions », envisage Mathilde Philip-Gay, professeure de droit public à l’Université Lyon 3. Néanmoins, le Parti socialiste s’est désolidarisé de l’initiative de La France insoumise d’engager une procédure de destitution du Président de la République. 

« La notion de faute n’est pas utilisée en droit constitutionnel, on parle plutôt de violation, d’abus ou de manquement », explique Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre. La déclaration de François Hollande pose cependant la question de l’interprétation de l’article 8 de la Constitution selon lequel « le Président de la République nomme le Premier ministre ». 

L’article 8 un pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat 

Les différents représentants des groupes parlementaires et des partis politiques fustigent le délai observé par Emmanuel Macron avant de lancer les premières consultations. « Du point de vue institutionnel, il me paraît normal que le Président de la République consulte en l’absence de majorité absolue, la Constitution prévoit explicitement la nomination par le Président de la République donc il peut nommer qui il veut, c’est ensuite à l’Assemblée nationale de censurer », détaille Bruno Daugeron. 

L’Elysée met d’ailleurs en avant la nécessité de former une majorité stable et la plus large possible comme priorité du Président de la République en vertu de son rôle de garant des institutions posé par l’article 5 du texte fondamental. A l’inverse, la gauche estime qu’Emmanuel Macron sort de son rôle d’arbitre en refusant de nommer Lucie Castets qui serait ensuite chargée de trouver des majorités au Parlement. Dans un entretien avec Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach en 1977, François Mitterrand qui dirigeait le PS livrait sa vision du rôle du Président de la République dans la nomination d’un Premier ministre. Le chef de l’Etat « n’a aucune obligation de choisir un Premier ministre dans le parti qui a le plus de voix », affirmait alors François Mitterrand. Avant d’ajouter : « Il n’a aucune obligation morale, juridique… La politique c’est autre chose. » 

Un droit politique 

Des hésitations qui font apparaître les spécificités du droit constitutionnel qui est abordé comme un « droit politique ». « Cette notion de droit politique peut vouloir dire que, plus que dans d’autres domaines, les questions d’opportunité prennent tout leur sens », pointe Bruno Daugeron. « L’article 5 par exemple est très indéterminé, on peut lui faire dire beaucoup de choses différentes », abonde Thibaud Mulier. Des ambiguïtés qui sont en principe tranchées par la pratique du régime. Si historiquement, le Président de la République a pu être contraint de nommer un Premier ministre n’appartenant pas à sa couleur politique, ce dernier pouvait systématiquement compter sur une majorité absolue à l’Assemblée nationale. 

« La contrainte sur le Président s’exerce en fonction des rapports de force politique » 

Si la nomination du Premier ministre est un pouvoir discrétionnaire du Président de la République, la marge de manœuvre du Président de la République dépend des rapports de force au Parlement. Sans majorité absolue à l’Assemblée, et alors qu’il manque 96 sièges au NFP pour atteindre cette majorité, le rôle central du Président de la République est mis en cause. « Il y a tellement de difficultés d’interprétation sur les articles de la Constitution que l’on sort presque d’un problème de légalité pour poser la question de la légitimité du chef de l’Etat à choisir le Premier ministre », juge Thibaud Mulier. Ce dernier souligne que « même en perdant il accepte difficilement l’alternance », mettant ainsi en doute son interprétation de son rôle d’arbitre. 

« Les partis politiques de gouvernement ne doivent pas oublier les circonstances exceptionnelles d’élection de leurs députés au second tour des législatives. Ce vote les oblige », affirme Emmanuel Macron dans le communiqué de l’Elysée publié lundi à l’issue de la première phase de consultation. Une formule destinée à faire évoluer les positions de chacun mais qui traduit également un président loin d’une position de médiateur ou d’arbitre. « Du fait de la configuration politique à l’Assemblée, il n’a plus un pouvoir discrétionnaire de nomination du Premier ministre, sa décision est contingente de la situation politique », explique Thibaud Mulier. « La contrainte sur le Président s’exerce en fonction des rapports de force politique », confirme Bruno Daugeron. Pour clarifier la situation, les sénateurs communistes ont déposé, le 25 juillet, une proposition de loi constitutionnelle visant à encadrer la durée de vie maximale d’un gouvernement démissionnaire en fixant la limite à huit jours. Une idée reprise par Eric Ciotti qui défend un délai de quinze jours avant la nomination d’un nouveau Premier ministre. 

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