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Nouvelle-Calédonie : pourquoi l’élargissement du corps électoral aux élections provinciales est-il un sujet aussi sensible ?

Après son adoption par le Sénat le 2 avril dernier, l’Assemblée nationale examine le projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie. Un texte sensible qui vient percuter les négociations entre loyalistes et indépendantistes sur l’avenir institutionnel de l’Archipel. Au Sénat, la méthode du gouvernement est critiquée.
Simon Barbarit

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Même s’il avait été largement adopté par le Sénat le mois dernier, le projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, avait été examiné dans une ambiance par moment tendue, laissant parfois transparaître la fébrilité du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Ce lundi, alors que l’Assemblée nationale démarre l’examen du texte et avant le vote solennel prévu mardi matin, la tension est montée d’un cran. Au point de pousser Emmanuel Macron à promettre, via son entourage, de ne pas convoquer le Congrès « dans la foulée », du vote des députés. Une façon de laisser une dernière chance aux négociations entre les parties prenantes en vue d’un accord global sur l’avenir de l’Archipel. Ces dernières seront très prochainement invitées à Paris pour « une rencontre avec le gouvernement », a fait savoir dimanche l’entourage du Président.

« Il ne faut pas perdre de vue le bénéfice du texte qui fixe un délai pour réunir le Parlement en Congrès »

« Ce n’est pas inutile que le gouvernement réunisse à Paris l’ensemble des partis politiques locaux. Si cette réunion permet de trouver les prémisses d’une solution, c’est une bonne chose. Mais, il ne faut pas perdre de vue le bénéfice du texte qui fixe un délai pour réunir le Parlement en Congrès. L’administration a besoin de temps pour établir les listes électorales et organiser le scrutin. Or, les élections doivent avoir lieu avant le 15 décembre 2024 », rappelle François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois.

En effet, le projet de loi constitutionnelle prévoit l’entrée en vigueur de la réforme du corps électoral au 1er juillet 2024. Une loi organique avait, elle, fixé une date butoir à l’organisation des élections, avant le 15 décembre. Mais depuis des mois, la réforme du corps électoral pour les élections provinciales exacerbe les tensions entre loyalistes et indépendantistes qui peinent à trouver un accord global sur l’avenir institutionnel de l’Archipel. Les trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui a vu le « non » l’emporter, ont plongé l’Archipel dans une crise institutionnelle à laquelle il faut ajouter une crise économique notamment de la filière nickel.

Les élections provinciales ont un fort enjeu car les provinces détiennent une grande partie des compétences. La répartition des sièges dans les provinces conditionne la répartition des sièges au Congrès [le Parlement local], qui détermine ensuite le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Ce week-end, indépendantistes et loyalistes se sont massivement mobilisés dans les rues de Nouméa sur cette question du corps électoral.

Que prévoit la réforme ?

Depuis la révision constitutionnelle de 2007, découlant de l’Accord de Nouméa de 1998, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de l’Accord peuvent voter aux élections provinciales. Le projet de loi constitutionnelle propose donc d’ouvrir le corps électoral à tous les natifs et aux personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie. Un dégel qui ajouterait 25 000 personnes, selon les estimations du gouvernement, au corps électoral. Sans réforme, le gel du corps électoral depuis des années a pour conséquence d’évincer de ces élections près d’un électeur sur cinq, ce qui ferait peser un risque d’inconstitutionnalité sur le prochain scrutin. « Cette réforme est indispensable, sans quoi le moindre recours ferait invalider les élections. Maintenant, nous sommes tiraillés entre deux solutions contradictoires : Acter dans la Constitution des éléments qui n’ont pas fait l’objet d’un accord global. Ou respecter la règle démocratique qui fait que les élections provinciales ne peuvent être repoussées indéfiniment. Les accords de Matignon ont assuré 40 ans de stabilité. Les scénarios prévus sont arrivés à expiration après les trois référendums. Il nous faut réécrire une page de notre histoire commune et partagée et ça ne peut se faire que dans le cadre d’un accord global », analyse Philippe Bonnecarrère, sénateur centriste, connaisseur du dossier.

L’exécutif et la majorité sénatoriale de la droite du centre s’accordent sur un présupposé. La campagne électorale des élections provinciales raidit les positions des deux camps et handicape donc fortement la perspective d’un accord global. « Après les élections, on peut imaginer l’émergence de légitimités fortes. Je rappelle que les accords de Matignon ont été précédés de la poignée de main de Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou », souligne Philippe Bonnecarrère.

« L’erreur originelle, c’est d’avoir nommé Sonia Backès au gouvernement »

Toutefois, consciente que la date butoir du 1er juillet pour la mise en œuvre de la réforme pouvait être perçue localement comme un ultimatum, le Sénat, sous la plume, du rapporteur Philippe Bas (LR) et François-Noël Buffet avait adopté un amendement afin « de desserrer l’étau de la discussion » en permettant, en cas d’accord global, de suspendre le processus électoral jusqu’aux dix derniers jours précédant le scrutin.

Car au Sénat, la méthode du gouvernement est critiquée chez les élus du territoire. « L’erreur originelle, c’est d’avoir nommé Sonia Backès au gouvernement et d’avoir choisi deux députés non-indépendantistes comme rapporteurs pour le projet de loi organique (Philippe Dunoyer) et le projet de loi constitutionnelle (Nicolas Metzdorf). Ce que nous n’aurions jamais fait au Sénat », reconnaît le sénateur non-indépendantiste Georges Naturel (LR). Dans l’entourage de Robert Wienie Xowie, sénateur indépendantiste calédonien, membre du groupe communiste au Sénat, on rappelle que le manque d’impartialité du gouvernement a été maintes fois, dénoncé par l’élu. Lors de l’examen du texte, il avait dit craindre que cette réforme n’entraine une marginalisation des Kanak, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, dans la répartition des sièges dans les provinces. Il avait également rappelé les demandes du FLNKS : retirer le projet de loi et mettre en place une mission de médiation conduite par une personnalité garantissant l’impartialité de l’Etat.

Juste avant le vote solennel sur le texte, les sénateurs de gauche s’étaient émus des déclarations de l’ancienne ministre Sonia Backès, leader des loyalistes et présidente de la province Sud, à destination « des parlementaires qui tremblent ». « Le bordel, c’est nous qui le mettrons si on essaie de nous marcher dessus ! », avait-elle prévenu.

« Le gouvernement doit suspendre le projet de loi et revenir sur le dossier dans sa globalité »

Dans un courrier adressé au président de la République, les deux présidents des groupes PS au Sénat, Patrick Kanner et Boris Vallaud plaident pour la mise « en place d’une mission de dialogue » dont le Premier ministre serait le garant. « C’est à Matignon que réside l’interministérialité. Ce qui a permis d’éviter la guerre civile il y a 40 ans, c’est le consensus trouvé entre les trois partis, l’Etat, les indépendantistes et les loyalistes. Le gouvernement a fait le choix de prendre le sujet calédonien par le petit bout de la lorgnette en ne traitant que la question du corps électoral. Or, le sujet de l’avenir de l’Archipel est multifacette. Il porte également sur les questions économiques et en particulier sur le sujet du Nikel. Le gouvernement doit suspendre le projet de loi et revenir sur le dossier dans sa globalité », appuie le sénateur socialiste, Rachid Temal.

En attendant plus de 200 amendements ont été déposés, sur le texte à l’Assemblée par les élus de la Nupes. « Il y a tout et n’importe quoi dans ces amendements mais si un seul passe, le texte reviendra au Sénat », s’inquiète Georges Naturel. « Ce serait le choix de la complexification maximale », ajoute Philippe Bonnecarrère.

Pour mémoire, avant la convocation du Parlement en Congrès à Versailles pour approuver une révision constitutionnelle au 3/5eme des parlementaires, les deux chambres doivent adopter le texte dans les mêmes termes, c’est-à-dire à l’identique.

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