L’examen du budget 2025 a été suspendu sitôt le gouvernement de Michel Barnier censuré mercredi soir. À ce stade, trois pistes législatives se dégagent pour assurer la continuité de la vie de la nation, sans que les juristes ne semblent s’accorder sur les modalités d’application de certains mécanismes d’urgence, quasiment inédits.
Modifier les règles du référendum : les sénateurs circonspects face à la proposition d’Emmanuel Macron
Par Romain David
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Emmanuel Macron convie les chefs de partis à une nouvelle rencontre dans l’ancienne abbaye royale de Saint-Denis. Un peu plus de deux mois après un premier échange, le président de la République a adressé ce week-end aux principaux leaders politiques une nouvelle missive, dont le contenu a été dévoilé par Le Figaro. « Au vu tant du contexte international que des enjeux auxquels la France est confrontée, notre responsabilité est de dépasser nos clivages dans l’intérêt du pays », écrit le locataire de l’Elysée, qui donne rendez-vous à ses interlocuteurs le vendredi 17 novembre.
Conformément à l’engagement pris à la fin de l’été, le chef de l’Etat formule dans sa lettre plusieurs propositions pour élargir le champ d’application du référendum aux questions de société, estimant que l’article 11 de la Constitution, qui en délimite actuellement l’usage, « ne permet pas de saisir nos concitoyens de certains sujets importants ». Il pose toutefois plusieurs garde-fous, sur le droit pénal, la fiscalité et le budget, autant de thématiques qui, selon lui, doivent rester les prérogatives du Parlement.
Un RIP plus accessible
Emmanuel Macron évoque également un assouplissement de la procédure d’enclenchement du Référendum d’initiative partagée (RIP), un mécanisme législatif instauré par la réforme constitutionnelle de 2008 mais qui n’a jamais pu aboutir jusqu’ici, car jugé inapplicable. Il propose de réduire les seuils requis, avec le soutien d’un 1/10e des parlementaires et d’un million d’électeurs contre 1/5e des membres du Parlement et 5 millions de citoyens inscrits sur les listes électorales dans la mouture en vigueur. Il souhaite également que les citoyens puissent avoir l’initiative de la procédure, qui aujourd’hui ne peut être enclenchée que par les élus.
Mais là encore, le chef de l’Etat dresse plusieurs barrières, pour éviter notamment une concurrence directe entre démocratie participative et représentative, avec un risque d’affaiblissement du Parlement. Le nouveau RIP ne pourra porter sur l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins de cinq ans, ni sur un texte en cours d’examen ou adopté sans avoir encore été promulgué. Surtout, il ne pourra pas concerner une disposition prise sous l’actuelle législature, indique Le Figaro. Cette précision exclut d’emblée deux sujets que l’opposition de gauche a tenté ces derniers mois, en vain, d’imposer à l’exécutif grâce au RIP : la taxation des superprofits et l’abrogation de la réforme des retraites.
Bruno Retailleau évoque « un jeu de dupes »
Le calendrier choisi par le chef de l’Etat pour envoyer sa missive n’a pas échappé à Bruno Retailleau, le président des sénateurs LR. « Avec Emmanuel Macron, il n’y a jamais de hasard, c’est sans doute un clin d’œil, mais chaque chose en son temps », a-t-il commenté au micro de RTL. Le Sénat débute ce lundi 6 novembre l’examen du projet de loi immigration sur lequel l’exécutif, sans le soutien des LR, pourrait échouer à trouver une majorité. De son côté, la droite réclame un référendum sur cette question, elle estime également qu’une véritable réforme de la politique migratoire doit passer par une réforme constitutionnelle, notamment pour permettre à l’Etat de s’affranchir du carcan européen. À cette fin, la Chambre Haute examinera en décembre une proposition de loi constitutionnelle justement déposée par les LR.
Pour Bruno Retailleau, le chef de l’Etat fait « un premier pas, mais seulement un premier pas ». « Le président propose d’y réfléchir, mais en aucun cas cela ne veut dire que nous allons faire un référendum sur l’immigration demain », note-t-il. À ses yeux, les propositions faites ne doivent pas venir alimenter « un marché de dupes » autour du projet de loi immigration, jugé trop laxiste par la droite.
« Une manœuvre basse, grossière et pas particulièrement glorieuse »
« Tout cela ressemble à une plaisanterie énorme », tempête, à l’autre bout du spectre politique, Ian Brossat, sénateur communiste de Paris. « Le président de la République s’est opposé à un référendum sur les retraites alors que des millions de Français étaient en grève et manifestaient. Il nous dit maintenant que l’on pourra peut-être faire un référendum, non pas sur les retraites, mais sur l’immigration », résume l’élu. « Tout cela est proprement hallucinant, et me paraît être une manœuvre basse, grossière et pas particulièrement glorieuse. »
Guillaume Gontard, le chef de file des écologistes du Sénat, salue les évolutions annoncées par le chef de l’Etat. Avec un bémol néanmoins : « J’entends que les choses doivent être encadrées, mais il ne faut pas que l’encadrement empêche tout ». À ses yeux, les limites posées par Emmanuel Macron pourraient le priver d’un instrument de sortie de crise. « Mettre des garde-fous trop importants, notamment en empêchant toute consultation sur un texte en cours d’examen ou fraîchement adopté, condamne une porte de sortie qui consiste à redonner la main aux citoyens. »
Son collègue Yannick Jadot est pour sa part bien plus circonspect sur l’élargissement du champ d’application du référendum, et alerte contre le risque de dérive populiste : « Et maintenant le référendum sur l’immigration ! Décidément Emmanuel Macron abîme notre démocratie, attise les braises d’une société déjà polarisée qui tend à se réfugier dans les boucs émissaires, favorise l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite », a-t-il commenté sur X (anciennement Twitter).
Par-dessus le Parlement
Guillaume Gontard estime malgré tout que les écologistes doivent accepter l’invitation du chef de l’Etat, « car il est légitime de sa part de vouloir échanger avec le reste de la classe politique ». Il réclame toutefois des précisions sur ce format. « C’est la seconde rencontre de ce type. Sont-elles amenées à se pérenniser ? On sait que le président de la République a des problèmes avec la représentation nationale, et cela ne peut pas devenir un moyen de court-circuiter le Parlement », avertit le sénateur.
Pour Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, la réponse est claire : « Ce sera sans moi ! », a-t-il déclaré ce lundi dans la matinale de Public Sénat. Il observe ces rencontres informelles comme une manière d’enjamber les institutions : « Le Parlement, on n’en parle plus, de toute façon, il marche au 49-3. Mais pendant ce temps-là, vous avez un cénacle avec quelques privilégiés qui auraient la chance de parler avec le chef de l’Etat, c’est non ! Je ne veux pas supprimer le Parlement », martèle le député de Seine-et-Marne.
Surtout, il dénonce une manœuvre politicienne dans un contexte de fragmentation parlementaire, l’exécutif offrant des gages à la droite pour faire passer son texte sur l’immigration. « Ce n’est pas un appel d’air, mais un appel du pied aux Républicains qui le réclame à cor et à cri comme le Rassemblement National. Il est là pour leur donner ce nouveau gage de confiance et espérer en retour leur confiance. Ce deal-là, je n’y participerai jamais », conclut-il.
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