Frontignan: French soldiers at the military exercise Orion

Loi de programmation militaire : des « incertitudes » pointées par les sénateurs

Le jour de l’adoption de la loi de programmation militaire par l’Assemblée nationale, deux rapports sénatoriaux pointent certaines limites du texte, avant son examen au Sénat. Il est reproché au programme 146 « Equipement des forces » des aménagements de calendriers qui « s’apparentent à des renoncements ». Pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces », les sénateurs soulignent un texte qui se heurte « à la vérité des coûts de la haute intensité ».
François-Xavier Roux

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Le Sénat entame cette semaine l’examen de la loi de programmation militaire en commission. Auditionné mercredi 7 juin le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, estime la construction d’un nouveau porte-avion à « 10 milliards d’euros ». Les sénateurs reconnaissent la « progression nette » qu’offre la LPM en matière budgétaire. En 2024, le budget est fixé à 47 milliards d’euros et montera progressivement pour atteindre 69 milliards d’euros en 2030. « Cette augmentation de crédits s’accompagne toutefois d’incertitudes importantes » selon les sénateurs Hélène Conway-Mouret (socialiste) et Cédric Perrin (LR). Olivier Cigolotti (UC) et Michelle Gréaume (communiste) soulignent eux-aussi « l’effort consenti en faveur des crédits de paiement ». Ils se félicitent même que le programme 178 [Préparation et emploi des forces] est proportionné « pour répondre à l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) comme à la haute intensité (HI) ».

« Une LPM sans réelle ambition » en matière de préparation opérationnelle

Olivier Cigolotti et Michelle Gréaume déplorent toutefois que « la préparation opérationnelle soit devenue une variable d’ajustement de la LPM pour 2019-2025 ». Entre 2019 et 2023, 47% des indicateurs sur la disponibilité technique opérationnelle sont en stagnation ou en diminution. Selon les données de la Commission, la disponibilité des avions de chasse passe de 86% de la flotte à 69% cette année. Cependant, le tableau n’est pas tout noir. Par exemple, la disponibilité des avions de transport tactique passe de 59% à 73%. Pour pallier cette faible disponibilité, les armées prolongent la durée de vie de leurs équipements. Les sénateurs développent le cas du Rafale Marine. Le retard pris pour sa livraison « a obligé la Marine à prolonger l’emploi du Crusader (utilisé depuis le début des années 1960), au prix de 67 heures de maintenance pour une heure de vol ». Ils alertent sur une « gériatrie des matériels qui n’est ni souhaitable, ni adaptée en période d’instabilité internationale majeure ».

L’intégration d’un matériel ancien dans la préparation opérationnelle de nos armées n’est pas récente. Le budget de la LPM 2019-2025 consacrait 35 milliards d’euros pour l’entretien programmé du matériel (EPM). Mais dans les faits, les deux sénateurs constatent que « les crédits d’EPM ont servi à financer des besoins non prévus par la LPM 2019-2025 ». Ce qui est problématique, c’est que ces crédits ont été utilisés « au détriment des besoins initialement retenus », causant un sérieux retard dans l’entretien de l’équipement de nos armées. Mais dans la dynamique d’un budget plus important dans la LPM 2024-2030, l’EPM prend sa part avec 14 milliards supplémentaires. Néanmoins, ils mettent en garde sur une perte « en efficacité si le choix de la cohérence se traduit par une diminution du capital technique des armées et une limitation de la remontée de la préparation opérationnelle faute d’équipements nécessaires à l’entrainement ».

« Le bon séquencement du renouvellement des capacités a été perdu »

Les sénateurs Perrin et Conway-Mouret mettent l’armée face à ses deux principaux défis des années à venir : « Le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire ainsi que du porte-avions, tout en modernisant et en accroissant les volumes dans le domaine conventionnel ». Cette situation est causée par le retard pris dans l’application des programmes et notamment « en reportant des programmes, année après année, le bon séquencement du renouvellement des capacités a été perdu ». Un « aménagement de calendriers » est le principal point d’alerte des sénateurs. Pour eux, « des programmes cruciaux sont reportés à 2035 ». Ce décalage sur un temps très long, une dizaine d’années au moins, interroge les rapporteurs sur une adaptation des missions et moyens confiées aux armées. « Or qui peut dire comment le contexte stratégique aura évolué d’ici là et si les formats actuels, qui sont, pour l’essentiel, reconduits, seront suffisants ? » soulignent-ils.

Les conclusions des sénateurs Perrin et Conway-Mouret mettent en avant « une absence de priorisation des enjeux stratégiques ». Le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron a dévoilé la Revue nationale stratégique (RNS) qui « a pour objet de présenter l’environnement de défense et de sécurité de la France et d’identifier les principaux enjeux dans ce domaine à l’horizon 2030 ». Elle a permis d’anticiper la réflexion sur la LPM 2024-2030. Mais ils constatent que dès la RNS, il existe un décalage entre le contexte et le travail de réflexion sur les missions des armées. Ils se félicitent de l’introduction « d’une nouvelle fonction stratégique – l’influence – ce qui est en effet judicieux au regard du contexte de guerre d’influence au niveau mondial » mais cela ne va pas assez loin. Ils reprochent une analyse qui se concentre exclusivement « sur les modalités d’actions » et le fait que « la Revue nationale stratégique réaffirme les postulats précédents, sans que la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine ou le recul de la France en Afrique ne semblent constituer des chocs majeurs appelant un tournant dans la politique de défense ». Ils y ajoutent des problématiques nouvelles avec « des enjeux transversaux tels que la dégradation du climat ». Pour faire simple, aux yeux de Cédric Perrin et d’Hélène Conway-Mouret, la LPM manque d’un « cadrage global de nos ambitions opérationnelles, et donc capacitaires » sur le temps long. Lors d’une de ses auditions au Sénat, le ministre des armées avait soutenu un cadre « avec plus de souplesse » pour être en capacité de s’aligner sur l’évolution du contexte géopolitique.

« Une LPM de continuation plutôt que de transformation capacitaire »

Les sénateurs se penchent aussi sur le volet capacitaire de la LPM. Les sénateurs Perrin et Conway-Mouret soulignent la dynamique instaurée par la LPM 2019-2025 et la RNS qui comportent « quelques lignes directrices » comme « Ambition 2030 ». L’objectif est de construire un modèle d’armée « complet et équilibré » à la hauteur des enjeux stratégiques. Mais ils jugent le nouveau projet de loi « plus terne ». « Ambition 2030 » a été reportée à 2035 et « la précédente LPM a probablement été trop optimiste » obligeant une révision des ambitions. Toutefois, ils se félicitent de l’effort majeur pour « renouveler les deux composantes » de la dissuasion nucléaire, « la clef de voûte de notre système de défense ». La dissuasion compose avec le formatage des forces armées à « protéger le territoire national » et la capacité de « pouvoir se projeter rapidement à l’étranger » les fondements de notre modèle militaire. Les sénateurs remettent en cause le maintien d’un modèle « hérité de l’après-guerre froide visant à conserver des capacités sur tout le spectre, au prix d’un échantillonnage des moyens conventionnels qui n’est soutenable qu’en temps de paix ».

En parallèle de ce maintien capacitaire, existe une volonté de la part du gouvernement de moderniser l’économie et l’industrie de défense. Bien qu’elle soit « en décalage avec la réalité de l’effort sur le plan capacitaire », les deux sénateurs reconnaissent un « effort bienvenu de simplification et d’accélération des procédures d’acquisition et des processus de production ». Ce chantier répond à la volonté du Président de réaliser un « bilan de la réactivité de l’appareil productif afin d’anticiper une éventuelle montée en puissance future ». Sans rentrer dans une économie de guerre, il s’agit « de sortir des « routines » du temps de paix ». Les rapporteurs « ne sous-estiment pas l’ampleur de l’effort financier proposé » mais dénoncent le manque d’ambition en matière industrielle.

Exemple avec les drones. Le sénateur du Territoire de Belfort Cédric Perrin a profité de la séance de questions au Gouvernement du mercredi 7 juin pour éclaircir la situation. Il cite les directives du programme « Parade » porté par le ministère des Armées et la Direction générale de l’Armement depuis mai 2021. Cédric Perrin rappelle que ce programme prévoyait que la France bénéficie « d’un dispositif anti drones -made in France- capable d’assurer la protection permanente de sites militaires ou civils, avant la fin de l’année 2022 ». Dans sa réponse, le Gouvernement reconnaît le retard pris dans son exécution. Il précise que le système fait « l’objet de quelques difficultés, en cours de résolution ». Au-delà de la date initiale bien dépassée, le sénateur s’inquiète d’une défaillance du système sécuritaire pour les Jeux Olympiques 2024, sujet sur lequel la Cour des Comptes a déjà alerté. La loi de programmation militaire sera débattue dans l’hémicycle du Sénat à partir du 27 juin prochain.

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