COMMEMORATION 8 MAI

Le SNU intégré au temps scolaire : le Sénat continue de réclamer un débat sur sa mise en œuvre

Le gouvernement souhaite intégrer à partir de mars 2024 une partie du Service national universel (SNU), toujours en cours d’expérimentation, au temps scolaire de certains lycéens de seconde. Au micro de Public Sénat, plusieurs sénateurs regrettent que son déploiement se fasse en l’absence de tout débat parlementaire, mais l’exécutif pourrait bien s’y résigner s’il veut rendre le dispositif obligatoire, comme annoncé initialement.
Romain David

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Le Service national universel (SNU) sera en partie intégré à la classe de seconde. Dans un entretien au Figaro publié ce jeudi 15 juin, Sarah El Haïry, la secrétaire d’État à la Jeunesse, annonce que les élèves de seconde des lycées volontaires auront la possibilité d’effectuer le « séjour de cohésion », première phase du SNU, sur leur temps scolaire à partir du mois de mars 2024. « Il n’y aura pas d’obligation, un peu comme un voyage scolaire. Je précise que ce séjour ne coûtera rien aux établissements, ni aux parents. Cette nouvelle modalité coexistera avec les séjours de cohésion choisis à titre individuel par les jeunes pendant leurs vacances », explique Sarah El Haïry au quotidien.

Afin de préserver l’objectif de mixité sociale et géographique, les lycéens seront envoyés dans un autre département que le leur, et « mélangés dans les maisonnées avec des jeunes qu’ils ne connaissent pas », a-t-elle également précisé.

Des « points bonus » SNU dans Parcoursup

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le SNU, a été lancé sous forme d’expérimentation en 2019, et se présente comme une lointaine évolution du service militaire, abrogé en 2001. Il s’adresse aux Français de 15 à 17 ans et se découpe en trois étapes : un séjour de cohésion de douze jours en centre d’hébergement, puis une mission d’intérêt général, de 12 jours consécutifs ou 84 heures réparties sur une année, et enfin une troisième phase dite « d’engagement », facultative, sur une durée de 12 mois, à travers une association ou un service civique. L’expérimentation lancée en 2019, sur la base du volontariat dans 13 départements, ne concerne que les deux premières phases. Elle a rassemblé 9 000 participants la première année. Ils étaient 32 000 en 2022, une montée en puissance jugée laborieuse par les détracteurs du projet, le gouvernement ayant initialement misé sur 200 000 jeunes à l’horizon 2022, avant que la crise du covid-19 ne vienne percuter le déploiement.

Par ailleurs, un flou demeure sur le caractère obligatoire ou non du SNU à terme. Dans les colonnes du Figaro, Sarah El Haïry prend soin de ne repousser aucune option. « Le projet du président de la République a toujours été le même : aller chercher une universalité, faire en sorte qu’un maximum de jeunes puissent participer au SNU. Quelle forme doit prendre la généralisation de ce dispositif ? Le débat est ouvert. La question de l’obligation n’est pas un tabou. Mais notre objectif est de créer de l’engouement, pas de la coercition », a-t-elle expliqué.

Un engouement qui pourrait néanmoins être entretenu de façon artificielle en liant le SNU à Parcoursup, la plateforme d’affectation dans l’enseignement supérieur des bacheliers. Toujours dans le même entretien, le secrétaire d’Etat indique en effet vouloir renforcer la prise en compte des « engagements volontaires » au sein du parcours étudiant : « Il y a une piste qui a ma préférence, mais qui est loin d’être stabilisée. Il s’agirait, en cochant une case SNU, d’obtenir des points bonus intégrés dans le calcul algorithmique de Parcoursup. »

Un sujet de tension avec les partenaires sociaux

En avril dernier, dans la foulée de la crise déclenchée par la réforme des retraites, Emmanuel Macron avait voulu temporiser sur le caractère obligatoire du service national : « Je ne vais pas vous dire que la rentrée prochaine, le SNU sera obligatoire. C’est une question de montée en charge progressive. Quelques départements, puis un peu plus », avait indiqué le président de la République à l’occasion d’un échange avec des lecteurs du Parisien. Dans un contexte social dégradé, le sujet est apparu comme explosif, susceptible tout du moins de provoquer une importante levée de boucliers du côté de l’éducation nationale.

Alors que des mesures concernant le SNU étaient annoncées dans le projet de loi de programmation militaire (LPM), le texte finalement présenté – actuellement examiné au Sénat – n’en fait plus mention. Une série de réunions étaient prévues ce jeudi rue de Grenelle avec les représentants des syndicats enseignants et les recteurs pour évoquer le déploiement du programme, sachant que les partenaires sociaux, syndicats d’enseignants, de lycéens et associations de parents d’élèves, ont déjà alerté sur les risques d’une généralisation qui s’inscrirait sur le temps scolaire, venant grignoter sur les enseignements généraux.

« On a retiré le SNU de la LPM, c’est un état de fait. Je pense qu’il faudrait que le Parlement soit directement interpellé sur le sujet pour donner son avis sur la mise en œuvre de ce SNU », estime auprès de Public Sénat Christian Cambon, le président LR de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « Il y a un vrai sujet à trancher, on parlait d’une obligation pour toute une classe d’âge, ce qui représentait une dépense oscillant dans les 3 milliards, et maintenant plutôt d’un retour au volontariat. C’est un sujet essentiel. Maintenant que cela se fasse en seconde, en première ou en terminale, c’est une question annexe. »

Répondre à la contrainte matérielle et humaine

Inscrire le SNU au sein de la scolarité des lycéens est pourtant la piste privilégiée par le Sénat, dans un rapport de la commission des finances présenté par le socialiste Éric Jeansannetas en mars dernier, arguant d’une économie non négligeable en termes de moyens humains et matériels. Selon les calculs de la Chambre haute, une généralisation hors temps scolaire nécessiterait de mobiliser entre 2 100 et 2 800 centres d’accueils et un nombre d’encadrants estimé entre 39 375 et 52 500. À rebours, inscrire la généralisation dans le parcours scolaire permettrait de rationaliser les moyens : « Les besoins de recrutement seraient moins élevés (entre 14 000 et 16 153 personnes), mais le nombre d’encadrants requis en simultané serait important (entre 7 000 et 8 076). Les encadrants devraient en outre être disponibles tout au long de l’année pour assurer des séjours de cohésion. » Avec ce scénario, le nombre de centre d’accueil nécessaire varie entre 748 et 862.

« Dans chaque établissement, il y aura un référent SNU rémunéré dans le cadre des missions supplémentaires du futur ‘pacte’ proposé par le ministre de l’Éducation nationale. Nous prévoyons également une aide financière pour les lycées engagés », précise Sarah El Haïry auprès du Figaro.

Ces annonces sont encore loin de correspondre à la création d’une « filière de l’encadrement du séjour de cohésion », également préconisée par le Sénat. Actuellement, les encadrants sont des volontaires issus pour partie des forces de l’ordre, de l’armée ou de la fonction publique. « Généralement, ce sont des gens très engagés et passionnés par ce qu’ils font, mais pour atteindre l’objectif d’une généralisation du SNU, on ne pourra évidemment pas compter sur le seul volontariat. Il faudra nécessairement mettre en place de véritables formations », relève auprès de Public Sénat le sénateur RDSE Henri Cabanel, auteur en 2022 d’un rapport « Jeunesse et citoyenneté ».

Obstacle législatif

Cet élu, qui considère le SNU comme « un outil intéressant pour redynamiser la citoyenneté », estime toutefois que l’inscrire pleinement dans le parcours scolaire risquerait d’en dénaturer la fonction. « J’en ai parlé à la ministre et c’est un point de désaccord que nous avons. J’aurais souhaité que le séjour de cohésion se fasse au moins pour moitié sur le temps des vacances. Si on se cale entièrement sur le temps scolaire, je crains que la symbolique de l’engagement ne soit plus assez forte. »

Si l’intégration du SNU à la classe de seconde permet de minimiser la contrainte matérielle et humaine, elle risque toutefois de compliquer la mise en place d’un service obligatoire. Les voyages scolaires d’une ou plusieurs nuitées sont facultatifs, et imposer un séjour de deux semaines pourrait être considéré comme une atteinte aux libertés. Le gouvernement pourrait donc être obligé de passer par un projet de loi s’il entend persévérer dans cette voie. Une difficulté déjà pointée dans le rapport sénatorial d’Éric Jeansannetas.

« Je ne pense pas que ce soit la volonté d’une seule personne ou d’un gouvernement qui doit primer pour rendre obligatoire un dispositif qui va concerner toute une classe d’âge. Il faut que le Parlement puisse s’en saisir, c’est le rôle de la représentation nationale », souligne le sénateur Henri Cabanel. « La nécessite de renforcer le lien armée-Nation au sein de notre jeunesse est réelle et, d’une manière générale, faire prendre conscience à nos jeunes de leur citoyenneté va plutôt dans le bon sens. Mais sur le fond, le SNU n’a jamais fait l’objet d’un débat au Parlement et cela, nous demandons à l’avoir », abonde Christian Cambon.

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