Le gouvernement toujours à la peine pour publier dans les temps les textes nécessaires à l’application des lois

Le gouvernement toujours à la peine pour publier dans les temps les textes nécessaires à l’application des lois

Dans son dernier rapport sur le suivi de la publication des décrets et des arrêtés, nécessaires à l’application des dispositions législatives, le Sénat n’observe pas d’amélioration. Certaines lois marquantes de l’an dernier sont presque inapplicables en l’état. La Haute assemblée épingle également des carences importantes dans les remises de rapport au Parlement, prévus par les textes.
Guillaume Jacquot

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Il ne suffit pas de voter et de promulguer une loi pour que tous ses articles puissent s’appliquer. Beaucoup de dispositions nécessitent d’être précisées à travers la publication de décrets ou d’arrêtés, prérogative de l’exécutif. Sans ces textes réglementaires, pas d’application possible. Et certains d’entre eux se font parfois attendre longtemps. Le Sénat s’est fait une spécialité d’adresser une piqûre de rappel comme chaque année, à travers son bilan sur l’application des lois.

Les chiffres de la dernière session parlementaire écoulée (2022-2023), dans un rapport publié ce 24 mai, sont loin d’être satisfaisants pour son auteure Sylvie Vermeillet (Union centriste). L’étude, arrêtée au 31 mars, concerne toutes les lois adoptées entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023. Pour les textes de cette période, 64 % des mesures attendues sont appliquées, un chiffre quasi-stable par rapport à celui de l’an dernier (en excluant les mesures dont l’entrée en vigueur est différée dans le temps, le taux d’application montre à 68 %, exactement comme l’an dernier).

En moyenne, il a fallu 5 mois et 23 jours au gouvernement pour publier les mesures réglementaires après la promulgation d’une loi, c’est à peu de choses près le délai moyen constaté un an auparavant (5 mois et 20 jours). Il s’inscrit sous la barre des six mois, que le gouvernement s’est lui-même fixé, dans une circulaire. S’agissant des lois adoptées dans le cadre d’une procédure accélérée (une lecture simple par hémicycle), c’est-à-dire l’essentiel des projets de loi, le délai de publication des mesures d’application est plus long, puisqu’il s’est établi à 6 mois et 17 jours. « Le gouvernement ne s’astreint pas à la célérité qu’il impose pourtant au Parlement », regrette Sylvie Vermeillet. Ce n’est pas la première année que le Sénat s’offusque de ce paradoxe.

Des chiffres toujours en deçà des bons résultats du début du quinquennat

En dézoomant, on s’aperçoit qu’à moyen terme le taux d’application des lois reste tout de même bien loin des statistiques du début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans son rapport 2019, sur les textes de la session 2017-2018, le taux d’application des dernières votées caracolait à 78 %. L’indice n’a ensuite cessé de dégringoler, avant de rebondir l’an dernier.

Alors, verre aux deux tiers plein ou au tiers vide ? Derrière le chiffre global de 35 % des mesures toujours en attente d’application, une analyse plus fine révèle quelques données surprenantes. Le rapport sénatorial regrette en effet que des « lois emblématiques » de la session précédente enregistrent de « très faibles taux d’application ».

C’est notamment le cas de la loi visant à accélérer le développement des énergies renouvelables, du 10 mars 2023, adoptée en moins de quatre mois dans un contexte, rappelons-le, d’inflation des prix de l’électricité du gaz. Le rapport du Sénat précise que plus d’un an après sa promulgation, « seulement 26 % » de ses mesures sont appliquées. Un comble pour un texte dont l’ambition était justement d’accélérer le déploiement de ces sources d’énergie verte.

Quant aux textes d’origine parlementaire, la proportion de non-publications de décrets et arrêtés est encore plus marquée. Les propositions de loi de la période étudiée ne sont appliquées qu’à hauteur de 43 % (contre 64 % pour l’ensemble des textes, projets de loi du gouvernement inclus). Le chiffre est en fort recul sur un an. Dans le précédent rapport, ce taux d’application était de 56 %.

Énergies renouvelables, ZAN, anti-squat : des mesures emblématiques de la cession précédente en attente d’application

Le rapport Vermeillet donne une série d’illustrations de propositions de loi, promulguées, mais toujours en attente de la publication de certains textes réglementaires clés. La loi portée par le Sénat, pour assouplir les conditions d’application du « zéro artificialisation nette », en fait partie. Au 31 mars, un seul décret a été publié, autrement dit les trois quarts des textes réglementaires de la loi manquaient à l’appel. Elles concernent la comptabilité des projets d’envergure nationale ou européenne. Cette absence réduit « la capacité des collectivités à en tirer pleinement parti », épingle le rapport.

Même lacunes dans l’application de la loi sur l’amélioration de l’accès aux soins (dite Rist 2), du 19 mai 2023. Seulement 30 % des textes d’application ont été pris par le gouvernement, rendant inapplicables les dispositions relatives à l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA) ou encore aux orthophonistes. Et ce, à une époque où le temps médical est une denrée rare.

Le rapport sénatorial cite aussi le cas édifiant de la loi anti-squat, du 27 juillet 2023. Le texte, porté par le ministre du Logement Guillaume Kasbarian, du temps où il était encore député, vise à mieux protéger les propriétaires et à punir plus sévèrement les sanctions en cas d’occupation illicite d’un logement. Au moment de la rédaction du rapport sénatorial sur l’application des lois, aucune mesure réglementaire n’avait été encore prise. Selon l’échéancier de la loi, la publication des premiers décrets est envisagée pour le mois de mai.

Un rapport sur cinq, prévu par les textes, remis par le gouvernement au Parlement

La question des remises de rapport par le gouvernement aux parlementaires est aussi symptomatique. Dans beaucoup de lois, le législateur demande à l’exécutif de lui remettre un rapport sur l’application d’une mesure ou sur politique publique. Il s’agit bien souvent une manière d’attirer l’attention du gouvernement sur un point en particulier, ou encore d’étudier les effets d’une mesure que des parlementaires auraient bien voulu faire figurer dans la loi.

Sur les 98 demandes de rapports de la session 2022-2023, le gouvernement n’en a remis que 18 %, c’est le plus mauvais chiffre depuis la session 2018-2019. C’est en proportion deux fois moins que lors de l’année précédente (36 %), qui avait été marquée par une amélioration notable. Autre curiosité : sur les 7 demandes inscrites par le gouvernement dans le texte initial ou en cours d’examen, seulement une a été satisfaite. Sylvie Vermeillet ne pointe pas seulement la faiblesse numérique, elle s’interroge aussi sur l’aspect qualitatif. « Plusieurs commissions insistent dans leur bilan sur la faible qualité de plusieurs rapports transmis », écrit-elle.

Bien souvent, l’usage pour les rapporteurs au Sénat est de refreiner leurs collègues de voter des demandes de rapport. Sur la période 2022-2023, seulement 15 demandes de rapport émanent de demandes du Sénat (contre 57, dans les amendements de l’Assemblée nationale). Le Sénat en a reçu 4 (soit 27 %) au 31 mars. C’est beaucoup plus qu’il y a un an, où sur 21 demandes, aucun n’avait été transmis, agaçant passablement l’hémicycle l’an dernier. Le ministre des Relations avec le Parlement de l’époque, Franck Riester, avait alors pris l’engagement de contacter les différents ministères. Le coup de gueule des sénateurs semble avoir porté ses fruits.

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