En marge de l’ouverture du Congrès des maires de France, le gouvernement s’est engagé à porter devant l’Assemblée nationale en janvier une proposition de loi déjà adoptée par le Sénat, et qui vise à améliorer les conditions d’exercice du mandat d’élu local.
Jugé inapplicable, le référendum d’initiative partagée (RIP) peut-il être réformé ?
Par Romain David
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« On est sur une procédure qui parle de démocratie participative, mais pratiquement de manière virtuelle ». Constat amer que celui de Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat. Nous sommes le 3 mai dernier, et le Conseil constitutionnel vient de rejeter, pour la seconde fois, la proposition de loi référendaire portée par les parlementaires de gauche pour empêcher l’entrée en vigueur de la réforme des retraites. La gauche espérait pouvoir enclencher un référendum d’initiative partagée (RIP) pour rejouer dans les urnes une bataille qui, quelques semaines plus tôt, au Parlement, s’était soldée par le recours à l’article 49.3 de la Constitution.
À l’époque, une partie de la classe politique s’interroge sur la nécessité de réformer ce mécanisme, qui n’est jamais allé au-delà de l’étape du recueil de signatures, quinze ans pourtant après son inscription dans la Constitution. Sur les quatre dernières années, cinq propositions de RIP ont été examinées par le Conseil constitutionnel. Mais une seule a été jugée conforme à la Constitution, celle sur la privatisation des aéroports de Paris, qui a finalement échoué à obtenir le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.
Mardi 5 octobre, Emmanuel Macron a reconnu que la mise en œuvre du RIP devait « être plus simple ». S’exprimant devant le Conseil constitutionnel à l’occasion du 65e anniversaire de la Constitution, le chef de l’Etat a évoqué la possibilité de baisser les seuils qui permettent son usage. Fin août, à l’issue de sa rencontre avec les chefs de partis à Saint-Denis, il s’était engagé à formuler des propositions pour élargir le champ d’application du référendum et faciliter son recours, alors que la droite et l’extrême droite réclament une consultation des Français sur l’immigration.
« Le RIP a plus ou moins été fait pour ne pas être utilisé »
Le RIP est né des travaux de la commission Balladur, crée par Nicolas Sarkozy en 2007, et chargée de proposer des pistes de modernisation et de rééquilibrage des institutions de la Cinquième République. Ils donnent lieu à un projet de loi constitutionnel, adopté par le Parlement réuni en Congrès à l’été 2008. Il faudra néanmoins attendre 2015 pour que les décrets d’application permettant l’entrée en vigueur du RIP ne soient publiés. Les mauvaises langues diront que la droite, qui perd la majorité en 2012, rechignait à déployer un outil législatif susceptible de devenir un contre-pouvoir.
Pensé pour associer de manière plus directe le citoyen à la fabrication de la loi, le RIP a pourtant été bornée par de nombreuses limitations dès sa création. L’objectif de ces différents freins : éviter que ce mécanisme n’entre directement en conflit avec le Parlement – d’autant que l’ambition de la réforme de 2008 était de revigorer le rôle des deux chambres -, et devienne indirectement un moyen de confrontation entre démocratie directe et démocratie représentative. « La réforme constitutionnelle a ouvert un chantier intenable. Le RIP a plus ou moins été fait pour ne pas être utilisé », reconnaît la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. Interrogée dans la matinale de Public Sénat, elle évoque une « concurrence des légitimités » et la nécessité de « retrouver une voie sereine de dialogue entre les pouvoirs publics et le peuple ».
« Il était quasiment de notoriété publique, en 2008, que le RIP ne pouvait pas fonctionner. Cela est apparu dès les travaux en commission », se souvient Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l’université Paris II. « Ses conditions d’application sont clairement déraisonnables. À l’époque, les initiatives se multiplient un peu partout dans le monde. On a beaucoup parlé du modèle suisse, notamment. Les responsables politiques ont senti qu’il y avait un enjeu autour de la démocratie directe, ils ont fini par lâcher du lest avec le RIP, mais sans avoir vraiment envie de le faire. »
Une procédure longue et complexe
La procédure d’enclenchement du RIP passe par de nombreuses étapes, chacune étant susceptible, si elle ne remplit pas les conditions prévues par l’article 11 de la Constitution, de mettre fin au processus.
Pour lancer ce mécanisme, au moins un cinquième des parlementaires, soit 185 élus, doivent signer une proposition de loi dite « référendaire ». Celle-ci ne peut concerner que cinq domaines : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes économiques, sociales ou environnementales, les services publics ou la ratification d’un traité. En outre, la proposition de loi ne peut viser l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an. Le Conseil constitutionnel veille à ce que ces différentes conditions soient remplies.
Si les sages valident le texte, celui-ci doit, dans un second temps, recueillir le soutien d’un moins un dixième du corps électoral – soit environ 4,7 millions de signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales – dans un délai de six mois.
Passé cette étape, l’Assemblée nationale et le Sénat ont la possibilité de s’emparer du texte : les deux chambres disposent de six mois pour l’inscrire à leur ordre du jour. Le cas échéant, la piste référendaire est écartée, quelle que soit l’issue du parcours parlementaire (adoption ou rejet du texte). Si passé six mois le Parlement ne s’est toujours pas penché sur la proposition de loi, le président de la République est tenu de la soumettre au référendum.
Réduire le nombre de signatures
La baisse du nombre de soutiens électoraux n’est pas une idée nouvelle. Emmanuel Macron s’était déjà engagé sur ce terrain en 2019. Lors de la conférence de presse conclusive au Grand Débat, parmi les réponses qu’il entendait apporter à la crise des Gilets Jaunes, le chef de l’Etat avait expliqué vouloir passer à un million de signatures sur le RIP. Du même coup, il fermait aussi la porte au référendum d’initiative citoyenne (RIC), principale revendication du mouvement : à savoir le déclenchement automatique d’une consultation à partir d’un certain nombre de signatures, sans avoir, cette fois, à passer par le filtre parlementaire. « Ce type de référendum peut fonctionner comme un droit de veto populaire, dans la mesure où il est plus facile de mobiliser pour rejeter un texte. Mais rédiger et porter une proposition de loi nécessite d’avoir une société civile très organisée », observe Benjamin Morel.
« L’abaissement du seuil applicable aux soutiens électoraux permettrait de rendre la procédure du RIP moins dissuasive et d’inciter les électeurs à s’en saisir », relève Benjamin Lecoq, professeur de droit public à l’université de Strasbourg, dans une communication réalisée pour le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions (Le Gréci). Cette quarantaine de spécialistes des institutions politiques a planché pendant neuf mois sur « les diverses évolutions possibles et souhaitables de notre régime ». Leurs travaux ont été présentés au Sénat le 4 octobre, à l’occasion d’un colloque.
Redonner l’initiative aux citoyens
En plus du nombre de signatures, Benjamin Lecoq propose de faire sauter deux autres verrous. Notamment celui de l’initiative parlementaire. En l’état, l’enclenchement du RIP ne peut se faire qu’à partir d’un texte porté par les élus, le soutien des citoyens intervenant dans un second temps. L’idée serait de pouvoir aussi engager la procédure à l’initiative d’un certain nombre d’électeurs. « L’ouverture d’une véritable initiative électorale en parallèle de l’initiative parlementaire […] présenterait le mérite de ne pas laisser ce mécanisme aux mains des seuls partis, qui l’emploient souvent comme une forme de démission de leur fonction de représentation lorsqu’ils ne disposent pas d’une majorité suffisante pour l’emporter au sein de l’une des deux Chambres », écrit l’universitaire.
Enfin, il souhaite que le Parlement, si celui-ci décide de se saisir du projet de loi pour mettre fin au processus référendaire, soit tenu d’aller jusqu’au bout de l’examen du texte dans les six mois. Ceci afin d’éviter qu’une simple inscription à l’ordre du jour, sans réelle volonté d’examen de la part de l’une ou l’autre des assemblées, ne fasse sciemment capoter la consultation.
Pour Benjamin Morel, l’un des principaux freins au RIP réside précisément dans ce pseudo-droit de veto indirectement accordé au Parlement. « Il place les élus dans une situation très malaisante. D’un côté, ils courent le risque de déclencher une crise démocratique en évacuant la demande de 5 millions d’électeurs, ce qui est considérable. De l’autre, ce sont leurs propres travaux qui pourraient être détricotés par le référendum ». Ce qui, par extension, pourrait aussi ébranler leur légitimité de représentant du peuple.
Un référendum sur le référendum
Quelle que soit la forme qui sera retenue pour réformer le RIP, celle-ci devra être soumise à une révision constitutionnelle. Dans un contexte de forte fragmentation politique, c’est un autre chemin de croix qui s’ouvre. Selon l’article 89 de la Constitution, toute modification de la loi fondamentale doit être approuvée « en termes identiques » par le Sénat et l’Assemblée nationale, avant un vote d’au moins trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès. À moins qu’Emmanuel Macron ne choisisse de passer par… un référendum.
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