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Défense et affaires étrangères : « Le Président de la République reste en situation dominante », selon des constitutionnalistes

Auditionnés au Sénat ce mercredi dans le cadre de la Commission des affaires étrangères, constitutionnalistes et hauts fonctionnaires ont été interrogés sur les relations entre les deux têtes de l’exécutif sur les questions de défense nationale et d’affaires étrangères, en particulier en temps de cohabitation. De manière unanime, ils estiment que le Président de la République garde toujours « le dernier mot » par rapport à son Premier ministre, même en cas de désaccord politique avec ce dernier.
Alexis Graillot

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Au milieu de cette effervescence politique, le Sénat poursuit ses travaux. Pourtant, loin de faire l’impasse sur l’actualité, la commission des Affaires étrangères interrogeait aujourd’hui plusieurs experts sur les relations entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement sur les questions militaires et de défense nationale. Une question particulièrement saillante alors que le prochain Premier ministre a des chances réelles de ne pas être du même bord politique que celui du Président de la République.

Alors que certains diplomates et haut gradés ont ouvertement fait part de leurs craintes quant à cette « période de flottement » au sommet de l’Etat, les intervenants ont tenté de répondre aux nombreuses interrogations des sénateurs, quant à la théorie et la pratique constitutionnelles sur ces questions éminemment régaliennes.

« Pouvoir diplomatique »

Pour comprendre ce dont on parle, il est d’abord nécessaire d’en revenir au texte fondamental : la Constitution. Celle-ci définit de manière relativement claire, les responsabilités des deux têtes de l’exécutif. En vertu de l’article 15 du texte, « le Président de la République est le chef des armées », et « préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». Un titre qui n’est pas « honorifique » (lire notre article), comme l’affirmait, la cheffe de file des députés RN à l’Assemblée, Marine Le Pen. Cet article doit être lu à la lumière de l’article 5, qui prévoit que le chef de l’Etat est « garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».

C’est également ce même Président de la République, qui « négocie et ratifie les traités », au regard de l’article 52 du texte fondamental. « C’est un véritable pouvoir diplomatique donné par le texte de la Constitution », explique Olivier Gohin, professeur émérite en droit public à Paris 2, ajoutant que « ce pouvoir en matière de défense n’a jamais été contesté en période de fait majoritaire ».

Majorité absolue, relative ou cohabitation : « Le Président a le dernier mot sur les situations les plus importantes »

Quant au Premier ministre, il est, selon l’article 20, « responsable de la Défense nationale » et « dispose de la force armée ». Lui échoit ainsi la proposition des nominations des ambassadeurs et les orientations de la politique diplomatique, qui paraît cependant difficilement concevable sans l’aval du chef de l’Etat. « On ne peut pas s’en tenir simplement au texte de la Constitution », précise Olivier Gahin, pour qui « tout n’est pas d’une parfaite clarté ». Avant de pointer les ambivalences du texte : « Comment être le chef des armées sans être le responsable de la défense nationale ? », se demande-t-il. Une analyse de la Constitution que défendait déjà le général de Gaulle dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964. « L’autorité indivisible de l’Etat est déléguée tout entière au président par le peuple qui l’a élu et il n’y en a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui », indiquait-il alors.

Pour le constitutionnaliste, « le Président de la République reste en situation dominante », même en période de cohabitation et de majorité relative, tout en reconnaissant la moindre grande légitimité du locataire de l’Elysée pour agir comme bon lui semble. Sous les 3 périodes de cohabitation (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002), celles-ci ont engendré « peu d’accrocs ». Quant en période de majorité relative, comme cela fut le cas sous Michel Rocard (1988-1991), et depuis 2022, « le système institutionnel n’a pas fonctionné différemment que dans les précédentes situations ».

« Le Président de la République a le dernier mot sur les situations les plus importantes », abonde Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, spécifiant son propos en prenant exemple sur les périodes de cohabitation. Il cite à cet égard les divergences majeures entre François Mitterrand, alors Président de la République, et Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation, sur la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique. Le premier des deux avait eu le dernier mot, en mettant son veto sur cette reprise.

« Constitution atomique »

Cette prééminence du chef de l’Etat s’avère d’autant plus déterminante sur ces questions, que « la France est le seul grand pays occidental où le chef des armées est élu au suffrage universel direct », ce qui lui confère une légitimité extrêmement importante. « Le pouvoir nucléaire consolide la position fonctionnelle du Président de la République », analyse Bruno Tertrais, qui parle de « constitution atomique ».

Quant au Premier ministre, le chercheur précise que ce dernier est « responsable du contrôle gouvernemental », lui conférant une place « première dans la chaîne de dévolution ». Ainsi, si le Président est « empêché », il revient au Premier ministre de prendre le relais. Attention toutefois, la dévolution n’est pas la délégation des pouvoirs. En d’autres termes, les pouvoirs du Président ne peuvent pas être transférés à son Premier ministre. « Le Premier ministre ne pourrait pas modifier les plans militaires, tels qu’approuvés par le Président de la République », détaille Bruno Tertrais. Avant d’ajouter : « Le pouvoir délégué [du Premier ministre] n’est pas la plénitude de celui du pouvoir du Président. Néanmoins, le chercheur reconnaît au chef du gouvernement, « une influence ponctuelle significative », comme ce fut le cas avec Michel Rocard et Pierre Bérégovoy, qui ont tous deux pressé François Mitterrand de mettre fin aux essais nucléaires, ce qu’il fera dès 1991 en lançant un moratoire sur la question. Ce qui fait dire à Pierre Sellal, ex-ambassadeur : « Même si la répartition des rôles et des pouvoirs est définie par la Constitution, tout ceci se caractérise par une certaine plasticité ».

« Un gouvernement, c’est fait pour faire de la politique »

Enfin, les intervenants n’ont pas pu faire l’impasse sur l’actualité politique, encore très évolutive. En particulier, ils ont été interrogés sur ce que pourrait changer dans les relations entre le Président de la République et le Premier ministre, la nomination d’un gouvernement dit « technique ».

« Le gouvernement, c’est fait pour faire une politique, ce n’est pas l’objet d’un technicien », avertit Pierre Sellal. « Un gouvernement reste un gouvernement. La prééminence du chef de l’Etat serait confortée », estime pour sa part, Bruno Tertrais.

Les propositions d’un tel gouvernement ont fleuri ces derniers jours, notamment de la part de Bruno Retailleau, patron des LR au Sénat. « Vous devez appeler à Matignon une personnalité située au-dessus des clans et des courants, une personnalité apaisante et incontestable par sa compétence, son expérience, son sens de l’État et de l’intérêt général. Seule une telle personnalité sera capable de rallier une majorité parlementaire, sur les quelques textes essentiels pour éviter le blocage du pays et une crise financière qui toucherait d’abord les Français les plus fragiles », expliquait dans une tribune auprès du Figaro, le sénateur de Vendée. Un point sur lequel Pierre Sellal, marque son désaccord : « Je ne vois pas comment on s’en sort en dépolitisant la Ve République, le gouvernement n’échappera pas à la censure ».

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