Patrick Martin, le président du Medef ne cachait pas son « pessimisme » jeudi 27 février, à l’ouverture du conclave sur les retraites promis par le Premier ministre. Syndicats et organisations patronales ont trois mois pour trouver un terrain d’entente sur la réforme de 2023 et proposer d’éventuelles modifications, avec un éléphant au milieu de la pièce : le sujet de l’âge légal de départ à 64 ans que les représentants des salariés veulent ramener à 62. Une équation d’autant plus complexe à résoudre que dans sa lettre de mission aux partenaires sociaux, François Bayrou leur demande de ramener le système à l’équilibre d’ici 2030, quand il n’était question, jusque-là, que de ne pas aggraver le déficit.
Dans un long entretien au Figaro publié dans la soirée, le chef du gouvernement indique que le recours au référendum pour faire adopter un nouveau texte sur les retraites pourrait être une piste en cas blocage. « J’ai toujours dit que lorsque des questions sont bloquées, lorsqu’il n’y a pas de résolution possible, le référendum est une issue », a-t-il expliqué. Déjà en 2022, à quelques jours de sa réélection, Emmanuel Macron avait évoqué cette hypothèse pour « bâtir un consensus » face à la levée de boucliers suscitée par sa réforme de report de l’âge de départ. La suite est connue : présenté au Parlement en janvier 2023, le projet de loi a finalement été adopté deux mois plus tard par 49.3, après des semaines de mobilisation.
Si le référendum est souvent brandi comme argument politique, son déclenchement est assez rare. « C’est un argument de campagne électorale, qui constitue un risque politique majeur une fois arrivé au pouvoir », relève auprès de Public Sénat Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public. « Non seulement vous ne pouvez pas préempter l’expression du peuple, mais il faut aussi noter que cet instrument a connu une forte dérive plébiscitaire sous l’impulsion de son instigateur, le général de Gaulle, qui y a eu recours quatre fois en huit ans. L’électeur se sent davantage interpellé sur la personne qui propose le référendum que sur le fond. »
Trois mécanismes référendaires
La Constitution prévoit deux types de consultation : le référendum constituant, défini à l’article 89, et le référendum législatif, dont les modalités sont fixées par l’article 11. Tous deux peuvent être déclenchés par le président de la République, éventuellement sur proposition du Premier ministre, ou à l’initiative du Parlement sur la base d’une proposition de loi. Comme son nom l’indique, le référendum constituant permet de réviser la Constitution, il peut venir parachever une procédure parlementaire, mais cela n’est pas obligatoire. Sa dernière utilisation remonte au 28 septembre 2000 pour la réforme du quinquennat.
Le référendum législatif permet de soumettre à consultation des textes de loi ayant trait à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et à l’organisation des services publics, selon le champ de l’article 11. Il permet aussi de ratifier les traités internationaux, c’est d’ailleurs à cette fin qu’il a souvent été utilisé : par exemple en 1992 pour le traité de Maastricht sur l’Union européenne, et pour la dernière fois en 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen.
Au moins deux tentatives référendaires ont déjà eu lieu sur les retraites, mais par le biais d’un autre mécanisme : le référendum d’initiative partagée (RIP), instauré par la révision constitutionnelle de 2008. Le RIP permet de lancer un référendum sur une proposition de loi à condition que celle-ci recueille le soutien d’un cinquième des membres du Parlement et d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Le Conseil constitutionnel doit néanmoins s’assurer de sa recevabilité et de sa conformité avec la loi fondamentale. À ce jour, cette procédure n’a jamais abouti, mais en 2023 les parlementaires de gauche ont voulu l’activer à deux reprises pour faire tomber la réforme des retraites.
Les RIP avortés de la gauche sur l’âge de départ
Le premier RIP visait à empêcher de déplacer l’âge minimum de départ au-delà de 62 ans. Les sages l’ont retoqué, estimant que ce texte ne changeait pas l’état du droit, car au moment de la saisine la réforme des 64 ans n’était pas encore formellement entrée en vigueur. Les élus avaient dû agir dans la précipitation dans la mesure où il n’est pas possible d’abroger une mesure législative moins d’un an après sa promulgation.
Déposé dans la foulée, le second RIP reprenait la première tentative, en l’étoffant d’une mesure de financement du système de retraite par répartition, en l’occurrence une contribution sur les revenus du capital. L’objectif : s’assurer de présenter une vraie proposition de réforme. Mais le Conseil constitutionnel a considéré, cette fois, que le texte ne rentrait pas dans le champ d’application de l’article 11. « Si on se fie à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les Sages ne placent jamais ce qui concerne la fiscalité dans le domaine de la politique économique. C’est une interprétation du droit qui, bien sûr, est sujette à discussion », pointe auprès de Public Sénat le constitutionnaliste Thibaud Mulier.
La liberté d’action du chef de l’Etat
« Il est assez peu vraisemblable que le gouvernement se tourne vers le RIP pour déclencher un référendum sur les retraites. Il s’agirait plutôt d’un référendum législatif, déclenché par le président de la République », pointe Jean-Philippe Derosier. « Mais encore faut-il savoir sur quoi portera la question qui sera soumise aux Français ». Ce cadre n’impose pas un contrôle préalable du Conseil constitutionnel, ce qui laisse a priori les coudées franches à l’exécutif mais n’exclut pas que quelqu’un introduise un recours.
Pour mémoire : la réforme constitutionnelle de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel, déclenchée par Charles de Gaulle, a soulevé de nombreuses critiques car le chef de l’Etat a préféré passer par l’article 1, plutôt que par l’article 89 qui est celui qui fixe le cadre des révisions de la Constitution, et impose un accord des deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce stratagème a permis à Charles de Gaulle de s’affranchir d’un Parlement hostile.
« Saisie par le président du Sénat, Gaston Monnerville, la juridiction constitutionnelle s’est refusée à vérifier la conformité à la Constitution de la procédure suivie, s’estimant incompétente pour connaître des lois adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, qui constituent l’expression directe de la souveraineté nationale », indique le site Vie-publique.
« Le Conseil constitutionnel est généralement un défenseur de l’exécutif et se soucie du respect des prérogatives du président de la République », souligne Jean-Philippe Derosier. « On ne peut pas dire que le Conseil fasse preuve d’une souplesse particulière à l’égard du chef de l’Etat, mais il préfère généralement s’en tenir à une lecture stricte de la Constitution. En l’occurrence, il se déclare incompétent car l’article 11 ne lui donne pas d’habilitation express sur ce type de référendum. En revanche, ce n’est pas parce qu’un juge se déclare incompétent qu’il n’est pas permis de contester la légalité d’une décision. Mais là nous basculons dans la controverse, c’est-à-dire la bataille sémantique et politique », observe Thibaud Mulier.
Un référendum possible sur la retraite par capitalisation ?
Sur les retraites, on imagine mal le président de la République soumettre à consultation une simple mesure d’âge, d’autant qu’un sondage Elabe pour BFMTV, publié en début d’année, indique que 62 % des Français espèrent toujours revenir à un âge légal de départ à la retraite de 62 ans, tandis qu’ils ne sont que 31 % à vouloir maintenir les 64 ans. En revanche, on peut très bien imaginer l’exécutif se servir du référendum pour trancher le débat sur la retraite par capitalisation, une piste défendue depuis plusieurs mois par plusieurs membres du gouvernement et le patronat. « Ce sujet, en tout cas, semble devoir rentrer dans le champ des mesures économiques et sociales », conclut Jean-Philippe Derosier.