En marge de l’ouverture du Congrès des maires de France, le gouvernement s’est engagé à porter devant l’Assemblée nationale en janvier une proposition de loi déjà adoptée par le Sénat, et qui vise à améliorer les conditions d’exercice du mandat d’élu local.
Fonds Marianne : l’information judiciaire du PNF empêche-t-elle l’enquête du Sénat ?
Par Tâm Tran Huy
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Il est en théorie impossible pour les parlementaires d’enquêter sur des faits qui font l’objet d’une enquête judiciaire. Il est néanmoins arrivé plusieurs fois que le Parlement lance des commissions d’enquête à la suite ou pendant une action menée par la justice. Le tout est de ne pas se marcher sur les pieds.
Le principe : pas de commission d’enquête en cas d’enquête judiciaire
Les parlementaires, députés ou sénateurs, ne peuvent pas enquêter sur tout. Principale limite : il ne peut y avoir d’investigations parlementaires sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires en cours. Pour quelle raison ? Pour préserver la séparation des pouvoirs, et en particulier le principe, consacré par la Constitution, de « l’indépendance de l’autorité judiciaire » (article 64). Conséquence : toute commission d’enquête doit prendre fin « dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ». Une limite importante pour les commissions d’enquête, qui a d’ailleurs été remise en cause par plusieurs parlementaires, mais aussi par le rapport Balladur. En 2007, le Comité de réflexion mis en place par Nicolas Sarkozy pour moderniser les institutions préconisait d’ailleurs la levée de cette interdiction. La chercheuse Elisabeth Vallet, dans la Revue française de droit constitutionnel (2003), remet clairement en cause cette procédure : « le ministre de la Justice dispose de pouvoirs judiciaires : le parquet est placé sous son autorisé hiérarchique. S’il le souhaite, rien ne l’empêche d’ouvrir une information judiciaire. Il peut donc ouvrir une enquête judiciaire dans le but -vraisemblablement inavoué- d’interrompre les travaux d’une commission d’enquête. »
La commission d’enquête du Sénat pourra-t-elle avoir lieu ?
Alors l’ouverture d’une information judiciaire par le Parquet National financier (PNF) sur le fonds Marianne pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts » peut-il empêcher le Sénat d’enquêter sur le fonds créé à la suite de l’assassinat de Samuel Paty ? Mercredi 3 mai, la commission des finances a décidé, à l’unanimité, de lancer une mission d’information « sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds », et demandé à la conférence des présidents d’avoir les prérogatives d’une commission d’enquête. Le Sénat doit prendre sa décision mardi 9 mai lors d’une réunion de la Conférence des présidents. En attendant, la commission des Lois du Sénat planche pour savoir si le périmètre de l’information judiciaire prévue par le PNF impacte les travaux des sénateurs.
Jean-François Husson, rapporteur général du Budget, sera rapporteur de cette commission d’enquête. Il est, pour l’instant, dans l’attente et reste prudent. Cette procédure judiciaire du PNF « peut avoir des conséquences ; il y aura objectivement un impact mais il reste à en établir la portée de l’impact. » En clair, l’enquête du PNF peut avoir pour conséquence de modifier le périmètre d’investigation des sénateurs, ou carrément d’empêcher la commission d’enquête. Mais en tout état de cause, le sénateur LR estime aussi que l’intervention du PNF montre bien que le sujet est important : « je me dis que le sujet n’est pas si mineur et anodin qu’il n’y paraît. Le Parquet national financier ne se saisit pas de sujets mineurs. » Cela confirme en tout cas le raisonnement des sénateurs et notamment celui du président de la commission, Claude Raynal (PS), qui a réclamé des documents sur le fonds Marianne avant de proposer la commission d’enquête : « au regard de l’objet, des premiers éléments communiqués à la demande de Claude Raynal, il y a comme un écho, une confirmation du sérieux du sujet. Quelle est la gravité éventuelle ? C’est trop tôt pour le dire. » Les sénateurs pèsent leurs mots et ne veulent surtout pas qu’on leur reproche une quelconque instrumentalisation politique de la commission d’enquête. Ils attendent surtout de voir si la Conférence des présidents autorisera cette commission d’enquête mardi 9 mai.
Le précédent de l’Affaire Benalla
A plusieurs reprises, des commissions d’enquête parlementaire ou pu avoir lieu en même temps qu’une enquête judiciaire. Dernier cas marquant en date au Sénat, celui de l’Affaire Benalla, lors de laquelle l’ex-chargé de mission de l’Elysée était poursuivi par la justice pour des violences commises en marge des manifestations du 1er mai 2018. La commission d’enquête sénatoriale s’était elle penchée sur « les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection de hautes personnalités ». Le Sénat avait défini sa mission de façon très alambiquée pour ne pas empiéter sur le terrain de la justice et, lors de son audition, Alexandre Benalla avait pu, à plusieurs reprises, refuser de répondre à des questions qui étaient du ressort de l’enquête judiciaire.
Autre exemple en 1982 : l’Assemblée nationale juge, lors de la constitution de la commission d’enquête sur le Service d’action civique, que « l’existence de poursuites judiciaires n’est pas un obstacle à la création d’une commission d’enquête parlementaire dès lors que se trouvent écartés de son champ d’application ceux des faits qui ont donné lieu à des poursuites. » Les chambres sont seules à juger de l’opportunité d’une commission d’enquête : le garde des Sceaux ne peut que rendre un avis, qui n’est parfois pas suivi par le Parlement. C’est ce qu’il s’est passé en 1992 lors de la création de la commission d’enquête sur les quotas laitiers au Sénat. La chambre haute avait alors estimé que l’ouverture d’une enquête préliminaire n’empêchait pas la création d’une commission d’enquête. On saura le 9 mai si elle tient le même raisonnement et autorise les investigations des sénateurs autour de l’utilisation du fonds Marianne.
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