En marge de l’ouverture du Congrès des maires de France, le gouvernement s’est engagé à porter devant l’Assemblée nationale en janvier une proposition de loi déjà adoptée par le Sénat, et qui vise à améliorer les conditions d’exercice du mandat d’élu local.
Directive européenne sur les violences faites aux femmes : une version du texte validée sans définition commune du viol
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La directive européenne sur les violences faites aux femmes faisait l’objet de vifs débats depuis plusieurs mois, elle a été validée par le trilogue réunissant des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne ce mardi. Ce texte, présenté par cette dernière le 8 mars 2022, vise à harmoniser le droit dans les pays membres en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Il contient ainsi l’interdiction des mutilations génitales féminines, des stérilisations et des mariages forcés, ou encore du harcèlement sexuel. Mais ce ne sont pas ces dispositions qui ont cristallisé les tensions. C’est son article 5, qui propose une définition commune du « crime de viol » caractérisé dès lors que la victime n’a « pas consenti à l’acte sexuel », qui cristallisait les tensions. Plusieurs trilogues plus tard, cette disposition a été retirée du texte, et la décision tant attendue a pu être prise.
« Une grande déception »
C’est avec une bonne demi-heure de retard que la conférence de presse annonçant l’aboutissement du trilogue a eu lieu, annonçant l’âpreté des négociations. Les trois parties se sont donc accordées sur la directive sur les violences faites aux femmes sans définition commune du viol. Toutefois, un article supplémentaire, l’article 36, a été ajouté. Il contraint les Etats membres à mener des actions de sensibilisation sur le consentement. Un pis-aller pour Evin Incir, eurodéputée suédoise du groupe S & D et Frances Fitzgerald, eurodéputée irlandaise du groupe PPE et rapporteures du texte. Elles salent toutes les deux l’accord, mais reconnaissent une « grande déception » quant à l’abandon de la définition commune du viol. « Je ne comprends pas comment on peut combattre la violence domestique en refusant mordicus d’inclure cette définition du consentement dans le viol », a déploré Evin Incir. Une clause de revoyure a été adoptée dans le texte : dans cinq ans, il sera révisé. Une occasion pour réévoquer la question de la définition du viol.
Dans un communiqué commun, Amnesty International et le Planning familial déplorent une « une occasion manquée de protéger davantage les femmes et les filles victimes de violences sexuelles, à l’échelle européenne », elles regrettent « un échec et la France s’est positionnée au côté des pays conservateur ».
Le trilogue de la dernière chance
Ce texte, présenté il y a plus d’un an, a eu un parcours chaotique. Validé quasiment dans la version de la Commission européenne par le Parlement européen, il n’avait toujours pas fait de consensus au sein du Conseil de l’Union européenne. Les Etats s’y opposant, à cause de la définition commune du viol qu’il proposait, sont des pays comme la Hongrie, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore la France. Les deux camps se sont affrontés pied à pied, et les clivages étaient surprenants. Le groupe de droite du Parlement européen, le PPE, a ainsi voté pour. En décembre 2023, les eurodéputés du groupe Renew, dans lequel siègent les membres de Renaissance, ont fait paraître une tribune dans Le Monde appelant la France à voter la définition commune du viol. Le texte avait été signé par Stéphane Séjourné, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, président du groupe Renew à Strasbourg à l’époque, alors que son collègue garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti est lui défavorable à la mesure.
Si la réunion de ce mardi était si importante, c’est que le temps pressait. Ce sont cinq trilogues qui ont été organisés, en comptant celui d’aujourd’hui, pour trouver un accord. L’Espagne, à la présidence du Conseil de l’UE jusqu’en décembre, n’a pas ménagé ses efforts pour aboutir à un accord. C’est maintenant à la Belgique, à la tête du Conseil de janvier à fin juin 2024, de le faire advenir. En effet, l’avenir de la directive est incertain après cette date, car c’est la Hongrie qui prendra le relais, puis la Pologne. Or, c’est le pays à la tête du Conseil qui fixe le programme de travail. Et la Pologne et la Hongrie de Victor Orban sont des pays conservateurs sur ces sujets. De plus, les élections européennes prévues en juin prochain mettront sur pause le rythme habituel des institutions européennes, amputant les marges de manœuvre de la Belgique. Le trilogue de ce mardi est vu comme celui de la dernière chance par ceux qui veulent que cette directive soit adoptée. C’est sûrement la raison pour laquelle la disposition la plus controversée a été retirée de la version discutée aujourd’hui.
Un débat juridique
Sur le fond, le débat autour de la définition du viol au niveau européen est plus technique qu’il n’y paraît. Ses partisans y voient une protection indispensable, notamment pour forcer les pays les plus conservateurs à se doter de lois plus sévères. « Ce serait un pas très important », explique la sénatrice écologiste des Français de l’étranger Mathilde Ollivier, « il y a encore des pays de l’Union européenne n’ont pas ratifié la convention d’Istanbul sur les droits des femmes, je le vois en particulier dans des pays de ma circonscription comme la Slovaquie ». Ses détracteurs, parmi lesquels Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, y voient un risque juridique. Ils craignent que l’Union européenne n’ait pas la compétence pour juger des affaires de viols. A ce titre, un Etat membre opposé au texte, comme la Hongrie, pourrait le faire annuler dans son intégralité par la Cour de Justice de l’Union européenne, au motif qu’il contiendrait une disposition contraire à la répartition des compétences dans l’Union. Pour Mathilde Ollivier, c’est un « prétexte » : « les services juridiques de la Commission européenne considèrent que le viol peut faire partie des eurocrimes, c’est dommage que la France se mette dans le camp des pays les plus réactionnaires et conservateurs ». En l’espèce, l’éventualité d’une telle décision fait débat chez les juristes spécialisés et il est difficile de trancher hypothétiquement.
En France, la définition du viol en débat
Si le débat sur la définition du viol est aussi vif au niveau européen, c’est qu’il l’est tout autant en France. Devant la délégation aux droits des femmes du Sénat le 1er février dernier, le garde des Sceaux avait ainsi donné un autre argument expliquant son opposition à la définition communautaire du viol. « Avec cette formulation, il y a un risque de faire peser la preuve du consentement sur la victime », avait-il exposé aux sénateurs présents, « et la loi française est l’une des plus répressives d’Europe sur le viol ». Le débat sur la définition du viol est ancien et mouvant, plusieurs visions existent. Mathilde Ollivier plaide pour l’inscription explicite de la notion de consentement dans le Code pénal, sa collègue Mélanie Vogel a même déposé une proposition de loi en ce sens. « C’est une évolution nécessaire », explique-t-elle, « ne pas avoir le mot de ‘consentement’ dans cette définition, cela sous-tend qu’un viol serait seulement issu de la contrainte, de la violence, … Or on sait bien que ce n’est pas le cas aujourd’hui ». Pour la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, la position du gouvernement français est « non seulement erronée, mais elle ignore la réalité de ces situations ».
A l’opposé, la présidente centriste de la délégation aux droits des femmes du Sénat Dominique Vérien est satisfaite par la définition actuelle du viol par le Code pénal français (un acte de « pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit », ou un « acte bucco-génital » perpétré par violence, contrainte, menace ou surprise). « C’est systématiquement le comportement de l’auteur qui est y interrogé, alors qu’avec la notion de consentement, c’est le comportement de la victime qui est regardé », argumente-t-elle.
Pour autant, les chiffres très bas des condamnations dans les affaires de viol traduisent des lacunes dans le système français. « Il faut que les victimes n’aient plus peur d’aller porter plainte », estime Dominique Vérien. La sénatrice plaide ainsi pour une meilleure formation des policiers et des gendarmes, ainsi que des magistrats, et pour « savoir reconnaître ce que c’est que le contrôle coercitif et ce qu’est la contrainte psychologique ». Pour elle, c’est la condition nécessaire à ce que les plaintes ne soient plus classées sans suite faute de preuves. L’adoption de la directive européenne, loin de clore le sujet, a donc relancé des débats.
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