Défenseure des droits : devant les sénateurs, Claire Hédon se défend de toute partialité

Ce mercredi 14 juin, Claire Hédon a été auditionnée par la commission des lois du Sénat. La Défenseure des droits a présenté son rapport d’activité 2022. « Déshumanisation des services public s», climat social et doctrine de maintien de l’ordre dans les manifestations, ont été au centre des débats avec les sénateurs
François-Xavier Roux

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En 2022, les équipes de la Défenseure des droits ont été sollicitées à 226 000 reprises. Soit une augmentation de 9 % par rapport à l’année précédente. Autre source de satisfaction : les plateformes anti-discriminations. La barre symbolique des 100 000 appels a été franchie.

Ses deux principales missions sont de « traiter les réclamations », mais aussi de « promouvoir les droits et les libertés ». Cinq domaines de compétences lui ont été définis, entre autres défendre le droit des usagers des services publics ou celui des enfants. Dans tous ces domaines, Claire Hédon s’inquiète d’une « déshumanisation » ou de « dysfonctionnements » qui « contribuent à fragiliser l’édifice démocratique ». Le sénateur apparenté LR François Bonhomme émet quelques réserves quant à « l’impartialité » de la Défenseure des droits. Ce comportement fausserait donc ses conclusions.

La « déshumanisation » des services publics

Pour mener sa mission à bien, Claire Hédon peut compter sur l’aide de 250 agents, 570 délégués régionaux et 120 jeunes ambassadeurs répartis sur l’ensemble du territoire français. Ce maillage territorial lui permet de constater les défaillances de l’Etat en matière de service public. Elle se dit notamment « frappée par l’éloignement des services publics ». 85 % des plaintes qu’elle reçoit portent sur le service public. « Je ne mets pas en cause l’action des agents publics mais le manque d’agents publics » se défend la Défenseure des droits. Mais la principale cause est la politique publique menée par l’Etat depuis plusieurs années. L’année dernière, Claire Hédon dénonçait déjà le projet de « dématérialisation » qui touche les plus vulnérables. Près d’un tiers de la population est éloigné du numérique. Selon la Défenseure des droits, 11 millions ont du mal à utiliser les outils numériques et 4 millions n’y ont tout simplement pas accès. L’application de cette politique « dont le coût et l’efficacité n’ont pas été mesurés dans sa globalité » se fait au « détriment de certaines personnes ». C’est le principe même d’égalité qui est remis en cause pour Claire Hédon. De plus, cette dématérialisation s’accompagne « d’un report de tâches sur l’usager avant réservé à l’administration ». Cette « charge administrative très lourde » la pousse donc à remettre en cause la dématérialisation du service public. Les chiffres qu’elle cite renforcent sa position. Sur les 1 500 appels au service public que ses collaborateurs ont pu analyser en partenariat avec l’Institut national de la consommation, 40 % n’ont pas abouti et « un certain nombre de réponses étaient de mauvaises réponses ».

Cette réflexion « pose la question de quel service public voulons-nous ? » Pour le qualifier, Claire Hédon ne manque pas d’exemples. Elle parle ainsi d’une « dégradation des relations », d’une « absence de réponse » et même d’une « déshumanisation des services publics ». Le Sénat, chambre des territoires, doit se saisir de cette question avec des conséquences « redoutables », d’autant plus « quand elles se traduisent par des ruptures de droits sociaux ». Ce constat est entendu au sommet de l’Etat puisqu’à partir de janvier 2024 « le dépôt papier sera possible dans les espaces France services. Avec la dématérialisation, c’est l’accélération d’une perte de « confiance dans les services publics ». La population n’a plus accès aux agents de l’Etat et se retrouve à devoir échanger via le numérique. Le long temps d’attente pour recevoir des documents en préfecture illustre bien l’état catastrophique du service public. Alors qu’avant il fallait faire la queue devant les préfectures, désormais l’attente a lieu derrière un ordinateur. Et tout ça pour recevoir des réponses inadaptées. Des citoyens se tournent donc vers la Défenseure des droits. Elle rappelle toutefois que le service n’a pas « vocation à devenir le Doctolib des rendez-vous en préfecture ». Claire Hédon appelle les sénateurs à se charger du dossier alors que son « institution risque l’embolie » et avant qu’elle ne puisse plus assurer n’importe quel service dans les 990 points d’accueil.

« Il ne faudrait pas à partir d’une situation en faire un cas de figure général »

Dans la suite de l’audition, les débats furent plus houleux entre certains sénateurs et Claire Hédon. La violence dans les cortèges contre la réforme des retraites ne lui a pas échappée. 169 réclamations portent sur ces journées de manifestations. La Défenseure des droits a pu constater « des privations de liberté arbitraires, des dissimulations de visages des policiers contraire à la loi ». Or, elle rappelle que « la première exigence déontologique est le respect de la loi par les gendarmes ». Claire Hédon craint que « la répétition normalise les défauts », visant directement la répression policière pour encadrer les cortèges.  Selon elle, « les droits ont été bafoués » et « le droit de manifester doit être respecté »

Début avril, le Sénat a adopté une proposition de résolution « exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l’ordre ». Plusieurs sénateurs présents lors de l’audition se sont insurgés contre les propos tenus par la Défenseure des droits, aussi bien aujourd’hui que dans le passé. C’est notamment le cas de François Bonhomme (LR). Il dénonce les prises de positions de la Défenseure. Sur ce débat, il rapporte des propos de Claire Hédon « laissant entendre que l’Etat a une responsabilité première dans l’escalade de la violence », sans remise en perspective de la situation.

S’est alors ouvert le débat sur le traitement de l’actualité par les services de la Défenseure. L’un des champs de mission fixé à l’institution est le respect de la déontologie de la sécurité. Et ce sont les conclusions de ce domaine qui créent le plus de débat. En plus des manifestations en métropole, la situation à Mayotte a aussi été évoquée. Claire Hédon pointe les « décasages » de l’opération Wuambushu. Le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi (RDPI) lui rétorque qu’il « ne faut pas employer le mot décasage car il renvoie à de l’illégalité », alors que l’opération est bien conforme à la loi. Il a aussi rappelé la nécessité de recadrer une situation qui devenait hors de contrôle : « L’opération plait beaucoup aux Mahorais » car enfin « on s’occupe de la situation de Mayotte ». Pour François Bonhomme, Claire Hédon voit la situation que « du point de vue des discriminations à l’égard de l’immigration illégale » alors qu’il faut aussi la voir du « point de vue du droit à la sécurité » des Mahorais « qui n’arrivent plus à vivre ».

« Notre travail est tout à fait objectif et impartial »

Le sénateur PS Jérôme Durain qui a notamment suivi une brigade de la Brav lors du 1er mai a voulu en savoir plus sur les méthodes de travail de la Défenseure et comment parvenait-elle à ses conclusions, notamment lorsqu’elle parle des « arrestations arbitraires » en amont des manifestations. Dans le cas présent, elle étudie « la nécessité et la proportionnalité de la force utilisée ». Aux prises de position de différents sénateurs qui l’accusent de prendre parti pour l’un des camps, Claire Hédon « ne nie pas les difficultés des forces de l’ordre et de Mayotte » mais explique qu’elle ne voit « que ce qui ne va pas et l’institution a été créée pour ça ». De plus, pour couvrir l’opération Wuambushu, quatre délégués ont été envoyés sur place pour « créer un lien direct avec les difficultés qui peuvent arriver ». Au sein même du collège sénatorial certaines tensions se font ressentir à propos des conclusions du rapport d’activité 2022. Le sénateur socialiste Hussein Bourgi rappelle à la Défenseure que sa « liberté de ton lui appartient. Si elle nous plait : c’est bien, si elle ne nous plait pas : c’est pareil ».

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