En marge de l’ouverture du Congrès des maires de France, le gouvernement s’est engagé à porter devant l’Assemblée nationale en janvier une proposition de loi déjà adoptée par le Sénat, et qui vise à améliorer les conditions d’exercice du mandat d’élu local.
Décentralisation : le Sénat appelle à rendre du pouvoir aux maires et met la pression sur le gouvernement
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Emmanuel Macron annonçait en octobre dernier sa volonté d’ouvrir un « nouveau chapitre de la décentralisation ». Et plus exactement une « vraie décentralisation ». Le Sénat l’a pris au mot. Un groupe de travail transpartisan a présenté ce 6 juillet quinze propositions pour rendre aux élus locaux leur « pouvoir d’agir », en interpellant directement le gouvernement. Celles-ci se traduiront, quoiqu’il arrive, dans un texte législatif après les sénatoriales, en octobre.
Des pouvoirs en matière de politique du logement à l’autonomie fiscales des collectivités locales, en passant par le statut de l’élu ou encore les relations entre les services de l’État et les maires, la contribution sénatoriale entend redonner du souffle au principe de libre administration des collectivités territoriales, malmené par 15 ans d’une « large recentralisation », selon les mots du président du Sénat, Gérard Larcher.
Alors que les maires se sont retrouvés en première ligne durant ces jours marqués par de violentes émeutes urbaines, les sénateurs estiment que la période justifie une réponse concrète et immédiate. La crise doit servir de catalyseur, à leurs yeux. « Il y a une espèce de devoir absolu de ne pas faire simplement une nouvelle grand-messe et puis que derrière, il ne se passe rien », a prévenu le président de Sénat, qui tient « personnellement » à faire de la défense de ces propositions une « tâche prioritaire ».
« Si on en tire aucun enseignement, on en tirera les conséquences politiques », met en garde Gérard Larcher
Durant la dernière législature, les ardeurs du Sénat à redonner des marges de manœuvre réelles au niveau local avaient été contrecarrées lors de l’examen de la loi 3DS. Au terme de l’examen, les associations d’élus avaient jugé le bilan plutôt décevant, et déploré un texte timoré et manquant d’ambition. Une chose est sûre, beaucoup n’ont pas retrouvé la promesse d’un « nouvel acte de décentralisation », sur lequel s’était engagé l’Élysée après l’épisode des Gilets jaunes. Le Sénat ne souhaite pas que l’histoire se répète. « On ne pourra pas faire une annonce comme nous l’avons entendu en septembre dernier, sans que ça se traduise de manière concrète […] Ce n’est pas fait pour être un rapport de plus ! » martèle le président du Sénat.
Désormais, ce doit être « la bonne », répète-t-il. Chat échaudé craignant l’eau froide, le président du Sénat entend se montrer coriace pour qu’une suite législative aboutisse sur ces nouvelles propositions. « Si on en tire aucun enseignement, on en tirera les conséquences politiques. Je le dis clairement et fermement. »
Le rapport dévoilé ce jeudi, fruit de huit mois de réflexions et de travaux, s’inscrit dans le prolongement des travaux déjà menés ces dernières années. On pense notamment aux 50 propositions pour les libertés locales de juillet 2020. Déjà à l’époque, le remède sénatorial a été rendu après une crise, sanitaire celle-ci. « Il y a une persévérance dans nos convictions, qui n’est pas un entêtement. Il est urgent d’agir », insiste Françoise Gatel, la présidente (Union centriste) de la délégation aux collectivités locales. « Ce sont des coups de bélier successifs qu’on donne dans la porte d’un État qui très dur, très autoritaire, et très fermé », résume-t-elle.
Dans sa volonté de rendre des capacités décisionnelles aux maires, le rapport sénatorial a notamment dans son viseur le logement. Ne pas décider à la place des maires, définir au plus près du terrain la politique du logement, simplifier les décisions en matière d’urbanisme font partie des ambitions des sénateurs. « On ne lâchera pas, que les choses soient claires », prévient tout de suite Gérard Larcher.
Le logement, première politique à « rendre » aux maires
Les sénateurs veulent également que les maires aient les moyens d’encadrer les logements touristiques de type AirBnb, en abaissant si besoin le nombre de nuitées autorisées. Anticipant des difficultés avec la mise en place rapides des restrictions des vieux véhicules dans les zones à faibles émissions (ZFE), le rapport encourage à donner aux maires la possibilité d’adapter le calendrier. Mi-juin, une mission sénatoriale avait conclu que le calendrier était « impossible à tenir ».
Fidèles à une position déjà exprimée dans le passé, les sénateurs du groupe de travail sur la décentralisation appelle par ailleurs à assouplir le fonctionnement des communautés de commence, en plaidant pour de souplesse dans la répartition des compétences, avec des transferts « à la carte ». C’était l’un des chevaux de bataille du Sénat durant l’examen de la loi « Engagement et proximité ».
Le rapport pousse également pour la création d’un statut de l’élu « attractif et protecteur », une demande de longue date portée à la fois par les sénateurs et les associations d’élus. Outre des garanties pour mieux concilier le mandat avec la vie professionnelle, les sénateurs demandent une aggravation des peines en cas d’agressions sur un élu, avec une amélioration de leur prise en charge. Ces deux éléments figurent déjà dans une proposition de loi de François-Noël Buffet, le président LR de la commission des lois. Gérard Larcher a prévenu que la conférence des présidents, la semaine prochaine, inscrirait ce texte à l’ordre du jour de la rentrée. C’est la « première priorité », selon lui.
Inscrire les libertés locales dans la Constitution et refonte du système de financement
Autre façon de favoriser les initiatives locales : le Sénat entend inscrire les libertés locales dans la Constitution, en clair, mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire dans l’action publique. « La différenciation, c’est ce qui nous distingue le plus de la méthode qui a été employée », insiste le sénateur Mathieu Darnaud.
« Nerf de la guerre », les moyens budgétaires des collectivités locales ne sont pas oubliés. « Le système de financement des collectivités territoriales dans son ensemble est à bout de souffle », constate François-Noël Buffet (LR). Le groupe de travail exige que les collectivités retrouvent « la maîtrise de leurs ressources », après la suppression de plusieurs impôts locaux. Cela passe par un renforcement de l’autonomie fiscale et une réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), l’un des principaux apports versés par l’État aux collectivités. Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR) demande l’inscription dans la Constitution des « éléments de la fiscalité pour chacun des niveaux de collectivité ». « C’est une garantie indispensable qui doit être mise en place ».
Reste maintenant à savoir comment le gouvernement accueillera la contribution du Sénat. L’audition la veille, de Dominique Faure, n’est pour rassurer Mathieu Darnaud. La ministre chargée des collectivités territoriales évoquait la tenue d’un colloque au mois de septembre pour synthétiser les propositions, avec des parlementaires et des élus locaux. « On est là pour dire au gouvernement qu’il peut déjà se saisir de ce rapport sans lancer une énième concertation. Nous avons des pistes de solutions applicables dès aujourd’hui. » Le combat du Sénat pour stopper la « recentralisation » s’annonce plus affirmé que jamais.