Choix du Premier ministre : ce que pensent les constitutionnalistes de la prolongation de l’attente

Choix du Premier ministre : ce que pensent les constitutionnalistes de la prolongation de l’attente

Après avoir écarté l’option d’un gouvernement du Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron a annoncé le 26 juillet l’ouverture d’un nouveau cycle de consultations en vue de faire émerger un nom pour Matignon. Plusieurs universitaires contactés par Public Sénat livrent leur analyse.
Guillaume Jacquot

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Les deux journées d’entrevues à l’Élysée n’ont pas permis de sortir de l’impasse institutionnelle dans laquelle la France est plongée depuis la fin des élections législatives, le 7 juillet. Emmanuel Macron a fait connaître sa décision ce lundi soir, après une série d’entretiens avec l’ensemble des partis représentés au Parlement. Il n’a pas retenu l’option d’un gouvernement composé uniquement du Nouveau Front populaire (NFP), sur la base de son seul programme, quand bien même celui-ci disposerait du plus grand nombre de députés. Le chef de l’État a constaté qu’un Premier ministre soutenu par cette alliance serait « immédiatement censuré » à l’Assemblée nationale par l’ensemble des autres formations. Et a refusé cette option, au nom de la « stabilité institutionnelle », avant d’appeler les partis de gauche, à l’exception des Insoumis, à faire preuve « d’esprit de responsabilité ».

De nouvelles consultations reprennent avec les responsables des partis mais également des personnalités. Voici donc six semaines que le gouvernement Attal a démissionné. Quel regard porter sur la méthode d’Emmanuel Macron, du point de vue de la Constitution et du fonctionnement de nos institutions ?

« Il est un peu obligé de jouer un jeu parlementaire, alors que ce n’est pas le rôle du président de la République »

Pour Anne-Charlène Bezzina, le communiqué publié par l’Élysée en début de semaine reste « très constitutionnel ». « On y voit l’appel à l’article 5, le rôle d’arbitre, la stabilité des institutions », souligne cette maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Rouen, qui rappelle en outre ce que le général de Gaulle avait expliqué dans son célèbre discours de Bayeux en 1946. « Au chef de l’État la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement. »

Reste cette possibilité de censure « immédiate » d’un gouvernement. L’Élysée affirme que « plus de 350 députés » pourraient faire tomber un Premier ministre de la coalition de gauche. « L’équilibre est difficile à trouver. Le président de la République est plutôt dans un rôle proche de la IIIe République, qui devait éviter des renversements tous les 15 jours. On est dans l’offre de la garantie d’un Premier ministre, qui puisse au moins présenter le budget a minima, et avoir un automne un peu serein », poursuit la constitutionnaliste. Ce faisant, Emmanuel Macron se « mêle aussi de ce qui ne le regarde pas », à savoir la future coalition, analyse Anne-Charlène Bezzina. « Il est un peu obligé de jouer un jeu parlementaire, alors que ce n’est pas le rôle du président de la République, pour essayer d’avoir une vue sur ce que pourrait être l’Assemblée nationale demain ».

« Emmanuel Macron n’est pas simplement un arbitre »

Le défi en cours pourrait se résumer à un « jeu de société qui repose sur deux règles », décrit Denis Baranger, professeur de droit public, à l’université Panthéon Assas Paris II. Premièrement, le président de la République nomme le Premier ministre, et « il n’y a pas marqué dans la Constitution qu’il doit nommer quelqu’un qui a telle ou telle caractéristique », insiste l’universitaire. Deuxièmement, lorsque le gouvernement se présente devant l’Assemblée nationale, il peut faire l’objet d’une motion de censure. « Vous pouvez imaginer de tirer l’élastique dans tous les sens, entre ces deux pôles. Ici, Emmanuel Macron joue sa carte de président dans le régime politique de la Ve République le plus loin possible », décrit le constitutionnaliste. « Il aurait pu choisir Lucie Castets par exemple. Il appartiendrait ensuite au Parlement d’accorder sa confiance ou non. Emmanuel Macron n’est pas simplement un arbitre, il est tout à fait clair qu’il préférerait un autre scénario, une autre coalition déterminée. Il influence le résultat par l’exercice de sa prérogative constitutionnelle », souligne le spécialiste. Et de souligner une autre donnée : le Nouveau Front populaire ne dispose pas d’une prérogative d’être désigné de droit. « Un régime parlementaire n’est pas un 100 mètres, où c’est le premier arrivé qui gagne. C’est celui qui a une majorité. »

« Ce qu’il aurait pu faire dès le lendemain des législatives se produit dès la fin août »

Autre connaisseur de notre texte fondamental, Jean-Philippe Derosier se montre également surpris par la tournure que prennent les évènements. « Si on relativise par rapport à tout ce qu’il s’est passé depuis la dissolution du 9 juin, le chef de l’État, sous couvert de jouer son rôle d’arbitre, poursuit son rôle de capitaine. » Le professeur de droit public à l’université de Lille considère que les derniers développements sont tardifs. « Ce qu’il aurait dû faire dès le lendemain du deuxième tour des législatives se produit à la fin du mois d’août. Il a laissé s’envenimer la situation, en pariant sur le fait que le Nouveau Front populaire se déchirerait, pour aboutir à une majorité qui ne lui déplairait pas. »

Si la Constitution n’impose pas de délai à la désignation d’un Premier ministre, Jean-Philippe Derosier observe néanmoins un certain déséquilibre au sommet de l’État, qui plus est en l’absence de Conseils des ministres. « Sans gouvernement, le pouvoir du chef de l’État est démultiplié, c’est aujourd’hui la seule autorité exécutive en place, qui n’est pas démissionnaire. Cela renforce inévitablement son autorité. Cela va à l’encontre des institutions. Conduire les négociations fin août, ce n’est pas vraiment conforme à ce qui est établi par notre Constitution », considère le professeur de droit public. Jean-Philippe Derosier pense également que le Nouveau Front populaire sort de son rôle. « Ils veulent imposer leur candidate et leur programme mais n’ont pas les moyens de le mettre en œuvre », observe-t-il.

« Il y a quand même quelqu’un qui a créé cette situation, c’est Emmanuel Macron. Il aurait pu ne pas dissoudre. C’est créateur d’une situation d’instabilité. Il serait permis d’espérer qu’il mette fin le plus vite possible à cette situation », complète Denis Baranger.

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